Le texte qui suit est la traduction d’un commentaire publié par la revue Nature le 4 mai 2022 dans laquelle cinq climatologues (dont Gavin A. Schmidt directeur du GISS (Goddard Institute for Space Studies de la NASA) mettent en garde la communauté scientifique sur l’utilisation des modèles de la génération CMIP6 qui surchauffent. Cet article avait déjà fait l’objet d’un commentaire sur ce site le 4 juin 2022.
La sixième et dernier rapport d’évaluation du GIEC pondère les modèles climatiques en fonction de leur capacité à reproduire le passé. L’ensemble de la communauté scientifique devrait maintenant faire de même.
Les modèles informatiques qui simulent l’évolution du climat futur sont largement utilisés pour planifier l’adaptation, l’atténuation et la résilience. Plus de 50 modèles de ce type ont été évalués et comparés lors de la dernière phase du projet d’inter comparaison des modèles couplés en phase 6 (CMIP6), géré par le Programme mondial de recherche sur le climat. Il est crucial que les chercheurs sachent comment utiliser au mieux ces résultats pour fournir des informations cohérentes dans l’intérêt de la science et des politiques climatiques. Nous sommes des modélisateurs et des analystes du climat qui développons, distribuons et utilisons ces simulations. Nous savons que les scientifiques doivent les utiliser avec beaucoup de précaution.
Avis aux utilisateurs : un sous-ensemble de la dernière génération de modèles « surchauffent » et prévoit un réchauffement climatique en réponse aux émissions de dioxyde de carbone qui pourrait être plus important que celui obtenu à partir d’autres modèles.
Certains suggèrent que le doublement de la concentration atmosphérique de CO₂ par rapport aux niveaux préindustriels entraînera un réchauffement supérieur à 5°C. Les modèles plus simples de la précédente génération ne produisaient pas de tels résultats. La Terre est un système complexe dans lequel les océans, la Terre, la glace et l’atmosphère sont interconnectés, et aucun modèle informatique ne pourra jamais en simuler exactement tous les aspects. Les modèles varient dans leur complexité qui font chacun des hypothèses et des approximations différentes sur les processus qui se produisent à petite échelle, comme la formation de nuages.
Les modèles CMIP6 incluent des traitements plus sophistiqués de la glace, de l’eau et des nuages que les précédents, y compris ceux de la phase 5 (CMIP5). Les derniers modèles incluent également une plus grande variété de processus physiques qu’auparavant. À mesure que les modèles deviennent plus réalistes, on s’attend à ce qu’ils convergent. Des améliorations apportées ponctuellement à certains modèles peuvent affecter leur sensibilité à certains processus de réchauffement, d’une manière souvent imprévisible.
Il faut mettre au crédit du GIEC qu’il a reconnu ce problème de modèles qui « surchauffent ». Les scientifiques qui ont contribué aux principales sections de son sixième rapport d’évaluation (AR6) publié au cours des derniers mois ont réconcilié les modèles climatiques les plus récents avec les principales données d’observation notamment le réchauffement moyen mondial, l’élévation du niveau de la mer et le contenu thermique des océans. Ils ont utilisé des statistiques pour déterminer les projections les plus raisonnables, compatibles avec de nombreuses sources de données, qu’ils appellent « réchauffement ré évalué ».
Malheureusement, peu de conseils ont été mis à la disposition des scientifiques souhaitant étudier des projections dans d’autres contextes. Nous craignons qu’en l’absence de telles lignes directrices, une grande partie de la littérature scientifique produise des projections incompatibles avec l’approche adoptée par le GIEC et qui sont trop influencées par les modèles qui « surchauffent ».
Les études qui couvrent par exemple les extrêmes mensuels ou quotidiens ou encore les impacts climatiques régionaux, doivent plutôt prendre en compte l’ensemble complet des modèles CMIP6. Et le simple fait de prendre une moyenne de leurs résultats conduisant à des projections de réchauffement plus élevées que les moyennes de réchauffement évaluées par le GIEC. Ainsi, certaines études ont rapporté des projections qui pourraient être incompatibles avec les évaluations du rapport AR6. Les évaluations montrant des prévisions climatiques du type « pires que nous ne le pensions » sont souvent attribuables aux « modèles chauds » du CMIP6.
Il est important de souligner que, bien que des résultats exagérément chauds sont peu probables, même si cela ne signifie pas que le réchauffement climatique ne constitue pas une menace sérieuse. De multiples éléments de preuves établissent que la planète est plus chaude de plus de 1 °C qu’elle ne l’était avant la révolution industrielle, et qu’un réchauffement supplémentaire présente des risques graves pour la société et le monde naturel. Il y a de nombreux aspects du changement climatique que nous ne comprenons pas encore, d’où la nécessité de continuer à améliorer la science du climat. Mais il n’y a pas de désaccord sérieux sur le fait que la poursuite des émissions conduira à des niveaux de réchauffement dangereux. Le GIEC a proposé une solution pour les projections moyennes globales. Les chercheurs, les communautés et les décideurs ont besoin de davantage d’informations. Afin de les informer sur les meilleures pratiques, nous décrivons ici ce que le GIEC a fait de différent dans son rapport AR6, et proposons quelques suggestions sur la meilleure façon de combler ces lacunes.
Les modèles à haute sensibilité échouent à reproduire les températures historiques
La plus grande source d’incertitude concernant les températures mondiales dans 50 ou 100 ans est le volume des futures émissions de gaz à effet de serre, qui sont largement sous le contrôle de l’homme. Cependant, même si nous connaissions précisément ce volume, nous ne saurions toujours pas exactement quel serait le niveau de réchauffement de la planète. En effet, le réchauffement climatique d’origine humaine est un phénomène sans précédent, et les processus de rétroaction tels que les modifications de la couverture nuageuse sont déterminants dans le rythme et l’ampleur du réchauffement. Pour quantifier l’influence de ces effets, les modélisateurs du climat ont défini des systèmes de mesures (métriques) standardisés. L’un est la réponse climatique transitoire (TCR), qui est le réchauffement attendu avec une augmentation de la concentration en CO₂ de 1% par an. La TCR est donc l’élévation atteinte au moment précis où a lieu le doublement. Une deuxième mesure est la sensibilité climatique à l’équilibre (ECS), qui représente l’élévation atteinte lorsque les températures se seront totalement stabilisées. Les deux mesures sont distinctes mais liées : l’ECS mesure une réponse climatique d’équilibre à long terme, tandis que le TCR mesure un climat qui n’a pas encore eu le temps de s’ajuster complètement. Les modèles avec un TCR élevé ont tendance à avoir un ECS élevé.
Aucun des modèles climatiques de la génération précédente (CMIP5), n’avait un ECS supérieur à 4,7 °C. Selon notre analyse, avec le CMIP6 plus d’un quart des modèles ont des sensibilités supérieures à cette valeur, et environ un cinquième montrent un réchauffement d’au moins 5 °C en réponse à un doublement des concentrations atmosphériques de CO₂. De nombreuses études ont montré que ces modèles à haute sensibilité réussissent mal à reproduire les températures historiques et à simuler le climat d’un passé lointain. En fait, ils ne montrent souvent aucun réchauffement au cours du XXe siècle, puis un pic de réchauffement brutal au cours des dernières décennies ; certains simulent même la dernière période glaciaire comme ayant été beaucoup plus froide que ne l’indiquent les preuves paléoclimatiques.
Au moment où ces nouveaux modèles étaient développés, les climatologues essayaient également d’améliorer la compréhension de la gamme de sensibilité climatique et d’en réduire la fourchette de valeurs. Une étude de 2020 (dont quatre d’entre nous étaient les coauteurs) combinait des données paléoclimatiques, sur les températures de surface et la teneur en chaleur des océans, avec les résultats de modélisation de processus physiques. L’étude concluait que l’ECS est susceptible (avec une probabilité de 66 %) de se situer dans la plage de 2,6 à 3,9 °C, et avec une probabilité de 90 % de se situer dans la plage 2,3 à 4,7 °C.
Sur la base de cette analyse et d’autres résultats de recherche récents, les auteurs du rapport AR6 ont décidé de situer la sensibilité climatique qu’ils considéraient comme probable dans l’intervalle 2,5 à 4 °C, et très probable entre 2 ° C et 5 °C.
Tous les modèles ne se valent pas
La communauté des scientifiques du climat a débattu de l’utilisation qu’il convenait de faire des modèles « chauds » depuis que les résultats ont commencé à apparaître en 2019. Auparavant, le GIEC et de nombreux autres chercheurs utilisaient simplement la moyenne et la dispersion des modèles pour estimer leurs impacts et leurs incertitudes. Une telle « mise à égalité » des modèles suppose que chaque modèle pris isolément est valide. D’autres méthodes de combinaison des projections de modèles n’ont pas donné de résultats plus cohérents ou crédibles .Dans le rapport AR6, ces méthodes simples ne fonctionnent plus : les modèles à haute sensibilité pris isolément ne sont pas d’égale valeur que les autres pour estimer la température globale. Les auteurs du rapport AR6 ont décidé d’appliquer des pondérations à chaque modèle avant d’en faire la moyenne, afin de produire des projections de réchauffement climatique « réévaluées ». Plus précisément, le rapport AR6 a utilisé diverses méthodes de pondération statistique publiées pour combiner les projections de différents modèles climatiques, en donnant plus de poids à ceux qui s’accordaient le mieux avec les observations de température historiques.
Ils ont également utilisé un « émulateur » de modèle climatique (un modèle plus simple nécessitant moins de puissance de calcul) qui intégrait les dernières estimations de la sensibilité du climat aux émissions de CO₂, basées sur d’autres éléments de preuve que les modèles climatiques. Cette approche fournit des projections de réchauffement futur plus réalistes s’ajustant mieux aux observations que les sorties brutes du modèle CMIP6. En revanche, ces projections sont difficiles à reproduire par les non-spécialistes.
Les projections de réchauffement « réévaluées » du GIEC ne produisent que des moyennes annuelles globales. Les chercheurs s’attaquant à l’étude des impacts climatiques régionaux, des extrêmes quotidiens ou à d’autres variables climatiques ont dû choisir leur propre méthode. De nombreux analystes ont adopté par défaut l’approche pré-AR6 consistant à traiter chaque modèle de la même manière. Cela conduit à des projections exagérées : des températures de surface moyennes mondiales en 2100 qui sont de 0,2 à 0,7 °C plus élevées que celles obtenues avec un réchauffement réévalué par le rapport AR6 ( cf. « Modèles climatiques : le choix compte » ; les données sous-jacentes sont disponibles dans les informations complémentaires). Les projections de réchauffement « réévaluées » sont par contraste globalement cohérentes avec celles du CMIP5.
Les résultats utilisant les modèles CMIP6 bruts sont déjà introduits dans la littérature sur les impacts du réchauffement climatique. D’après notre expérience, peu de climatologues (en dehors de ceux directement impliqués dans la création de modèles) sont conscients de l’approche du réchauffement « réévaluées » adoptée dans le rapport AR6. Au cours des derniers mois, nous avons vu de nombreux articles soulignant à quel point les résultats climatiques régionaux et mondiaux sont bien pires avec les modèles CMIP6 qu’avec les modèles de la génération précédente, principalement en raison de l’inclusion de modèles irréalistes à haute sensibilité.
Que faire ?
La communauté vaste et diversifiée des chercheurs qui étudient le changement climatique et ses impacts a un besoin urgent de conseils sur les meilleures pratiques pour combiner les résultats de plusieurs modèles climatiques. Un message clé : la moyenne et la dispersion multi-modèles du nouvel ensemble CMIP6 ne doivent pas être utilisées de la même façon que l’ancien ensemble CMIP5. Nous suggérons que les climatologues envisagent les options suivantes :
Tout d’abord, suivre l’exemple du rapport AR6 pour baser les analyses sur les niveaux de réchauffement climatique plutôt que sur le temps. Par exemple, au lieu d’évaluer les changements dans les précipitations d’ici l’an 2100, les chercheurs pourraient annoncer des changements à des niveaux de réchauffement planétaire de 1,5, 2, 3 et 4 °C. Cela présente plusieurs avantages : Etre en phase avec le discours politique autour des objectifs de l’accord de Paris de 1,5 °C et « bien en dessous de 2 °C ». Etre également largement indépendant du choix du scénario d’émissions futures (si l’on met de côté malgré quelques différences liées au taux de réchauffement et au forçage des aérosols, ce qui importe c’est la Terre à +2 ° C, peu importe comment nous y parvenons). Dans une certaine mesure, l’utilisation des niveaux de réchauffement climatique évite d’avoir à sélectionner ou de pondérer les modèles CMIP6. Chaque modèle a quelque chose à offrir pour une température donnée, de sorte que l’ensemble CMIP6 complet peut être utilisé. L’atlas interactif du groupe de travail I du GIEC est un bon outil pour calculer les moyennes multi modèles à un niveau particulier de réchauffement climatique (voir le site https://atlas-interactif.ipcc.ch).
Les niveaux de réchauffement global nous forcent à une interrogation simple : à quel moment la Terre atteindra-t-elle un niveau de réchauffement donné ? La réponse, bien sûr, c’est que cela dépend de nous. Faire savoir que des risques graves et des phénomènes catastrophiques sont prévus de se produire à un moment donné peut donner une fausse impression d’inévitabilité et obscurcir le rôle du choix humain dans la détermination de l’avenir. Pour des situations dans lesquelles les décideurs ont besoin d’informations sur les échéances temporelles, nous suggérons d’utiliser le réchauffement “réévalué” du rapport AR6 pour cartographier les prévisions de niveaux de réchauffement global correspondant aux scénarios d’émissions assurant ainsi la cohérence entre les études régionales et le rapport AR6.
Deuxièmement, si la trajectoire de réchauffement – plutôt que le niveau de réchauffement global – est importante pour un résultat climatique particulier, concentrez-vous sur le sous-ensemble de modèles CMIP6 qui est le plus cohérent avec les projections de réchauffement “réévalué” du rapport AR6. Nous recommandons de filtrer les modèles avec un TCR qui se situe en dehors de la plage 1,4 à 2,2 °C correspondant à une probabilité de 66 %. Les contraintes de réchauffement « réévalué » du rapport AR6 sont corrélées avec le TCR, ce qui donne une bonne approximation du réchauffement estimé 4 . Cette approche permet d’évaluer l’évolution dans le temps des changements régionaux. Alternativement, l’utilisation d’une plage ECS «probable» de 2,5 à 4 ° C reproduit également bien les résultats du rapport AR6, bien que cela implique l’élimination de 60% des modèles de l’ensemble CMIP6, contre 40% dans le sous-ensemble criblé TCR.
Troisièmement, choisissez les modèles les mieux adaptés à la tâche à accomplir. Le problème n’est pas qu’il existe des modèles à haute sensibilité, mais plutôt que leur prépondérance dans l’ensemble CMIP6 biaise la moyenne et la plage d’incertitude vers le haut. S’il existe un réel besoin d’examiner les risques de « queue chaude » (parce qu’il y a encore plus de 5 % de chances que l’ECS dépasse 5 °C 8) utilisez un sous-ensemble à haute sensibilité. Demandez si les changements dans les conditions moyennes ou les événements extrêmes dans la région étudiée sont cohérents avec la température moyenne mondiale. Dans les cas où l’amplitude du modèle n’est pas clairement liée à celle de la sensibilité au climat, alors d’autres mesures pourraient être appropriées. L’utilisation de la dernière génération de modèles d’une manière cohérente avec AR6 nécessite à la fois une prise de conscience du problème et des alternatives faciles à utiliser telles que celles que nous avons exposées dans ce document.
Nature 605 , 26-29 (2022)
Gavin Shmidt et Zeke Hausfather sont hilarants dans cet opus où l’on voit que la valeur de la sensibilité climatique est en entrée et pas en sortie du processus des rapports du GIEC.
De par sa genèse, le GIEC n’a jamais été autre chose qu’un organe politique et idéologique destiné à inciter les Etats à prendre certaines mesures et aux populations à s’y résigner.
Cette entreprise est facilitée parce que le calcul de l’effet du CO2 additionnel est impossible et qu’il est paramétré arbitrairement dans les GCM, merci Manabe. Le prix à payer est la couverture par la pataphysique du forçage radiatif. A priori, pari risqué mais la pression de la bien-pensance suffit malheureusement à faire taire les scientifiques qui comprennent quelque chose au problème.
Les calculs numériques ne font en réalité que disperser les résultats autour de ce que la paramétrisation impose. Plus les modèles cherchent à intégrer de phénomènes, plus ils sont complexes et, logiquement, plus leurs résultats sont dispersés.
L’objectif étant d’assurer des résultats vendables, la sensibilité climatique doit se maintenir dans certaines limites. La borne basse est contrainte par l’efficacité du message, il faut que sa valeur soit suffisamment inquiétante. La borne supérieure dépend, elle, de la maestria des climatologues pour justifier l’incohérence des modèles avec les observations. Même s’il convient de saluer leurs performances, une sensibilité de 5 °C est apparemment jugée au-dessus de leurs forces.
Les constats de l’OMM sont pour le moins inquiétants :
2020 a été l’une des trois années les plus chaudes jamais observées, malgré le refroidissement dû à La Niña.
La température moyenne à la surface du globe a dépassé de 1,2 °C celle de l’époque préindustrielle (période 1850-1900).
Les six années écoulées depuis 2015 ont été les plus chaudes jamais enregistrées.
La décennie 2011-2020 a été la plus chaude jamais constatée.
https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/rechauffement-planetaire
Moi cela m’inquiète quand même; la sortie du Würm a duré 10 000 ans; si l’on continue à ce rythme c’est effrayant ; heureusement que nous pouvons manipuler en réduisant le CO2
Mouais….
j’aimerais quand même être sûr que les protocoles de mesure de température utilisés entre 1850 et 1900 et ceux employés aujourd’hui sont rigoureusement identiques…
Bref, que ces mesures sont réellement comparables entre elles.