Réchauffement stratosphérique majeur en Antarctique.

Les relations du vortex polaire et de l’ozone dans le contrevortex

Brigitte Van Vliet-Lanoë, Directeur de Recherche CNRS émérite

Article initialement publié sur le site Science, climat, énergie le 11 octobre 2024


La couche d’ozone est normalement localisée entre 10 et 40 km d’attitude. L’ozone naturel (hors pollution anthropique) est surtout formé à basse altitude par les orages, les fumées des feux de forêts plus particulièrement dans la zone intertropicale et, au-dessus de la glace des grandes calottes. Les données du site web Copernicus s’avèrent un excellent complément pour la compréhension des Réchauffements Stratosphériques Soudains (RSS). Le réchauffement du vortex polaire et complexe (SCE, 2024) est lié à la destruction de l’ozone sous contrôle par les particules importées par des vents solaires, notamment en période de forte activité solaire et surtout d’émissions de masses coronales (CME).

Introduction

 L’amincissement hivernal classique de la couche d’ozone, alias « le trou », est lié à la réaction de l’ozone avec le chlore stratosphérique, comme après l’éruption du Hunga Tunga en 2002 avec aussi un très grand trou en 2023. Cette réaction chimique exothermique se produit principalement à la surface des cristaux de glace stratosphériques sous l’action des rayons UV solaires en été ou sous l’impact du flux de particules solaires seulement en hiver. C’est un phénomène naturel qui existe depuis le Miocène (âge d’installation des glaciers antarctiques) (voir ici).  Au printemps, la destruction de l’ozone est très importante en présence des UV solaires, surtout après l’équinoxe ; l’atmosphère antarctique est à cette période enrichie de cristaux de glace injectés dans la stratosphère via le vortex cyclonique polaire, tout comme lors de Hunga Tunga. En hiver l’impact des UV étant nul, cette réaction doit donc être attribué au flux particulaire solaire (vent solaire). En raison de l’isolement climatique de l’Antarctique, l’ozone détruit dans la couche d’ozone (10-40 km) ne serait pas remplacé par des apports extra-régionaux.

Les observations

Selon la modélisation CAMS (Figure 1) du 7/10 on voit très bien une concentration en basse stratosphère de l’ozone troposphérique via l’action des vents, plus particulièrement le jet stream polaire, ce qui aboutit à un gainage du vortex stratosphérique par une couche d’ozone, surépaissi à proximité de la bordure et des parois du cyclone du vortex. L’ozone est pompé par le bord externe du vortex à partir des zones intertropicales (vers 1500m, base des orages), puis brassé par le jet stream antarctique (Figure 1). Il existe bien une connexion avec l’ensemble de la troposphère.  

Nos observations récentes du 5-8 octobre 2024 confortent notre interprétation initiale des RSS (SCE, 2024) et montrent que le vortex a été comprimé par la formation d’un antivortex. Les vents au contact entre les deux sont accélérés par un effet Venturi, induisant une élongation du vortex (Figure 2). Ces vents ont atteint 418 km/h et ont été associés à une augmentation notable de la température dans la zone accélérée (-4°C) et plus modeste dans le vortex (-38 °C au lieu de -80°C) et dans l’antivortex (-27°C) et des vents affaiblis du vortex (343 km/h) et de l’antivortex (Figure 3). 

Figure 1 : Alimentation en ozone (orange  à vert) de la basse stratosphère,  le 7 octobre 2024  (Copernicus Atmospheric Model Service / CAMS).

L’accumulation d’ozone est flagrante en octobre 2024, au niveau de l’antivortex (Figures 1 et 2) et un maximum a été atteint le 8/10/24 d’après les températures et les vitesses en baisse dans la zone de convergence vortex-antivortex (effet Venturi). Celles-ci favorisent une destruction rapide de l’ozone en l’absence hivernale de rayonnement UV (SCE, 2024).  La destruction importante de l’ozone dans l’antivortex ne peut avoir lieu que si le vent solaire est puissant et cantonné dans le cornet magnétique polaire antarctique.

En 2024, le trou d’ozone hivernal au-dessus de l’hémisphère sud a été plus petit que d’habitude. l’Antarctique a connu deux événements de réchauffement stratosphérique soudain de faible puissance en juillet et août 2024. Les températures de juillet 2024 dans la stratosphère au-dessus de l’Antarctique sont généralement autour de moins – 80°C. Une série d’événements de RSS est apparue en 2024, notamment le 7 juillet en association avec une élongation notoire du vortex : les températures la stratosphère à 10hPa ont grimpé à  -65°C, générant un record pour les températures hivernales les plus chaudes observées dans la stratosphère de la région antarctique. La température a ensuite baissé le 22 juillet avant de remonter à -63°C le 5 août.

Figure 2 : 7 /10/2024 L’accumulation d’ozone est flagrante au niveau de l’antivortex. Ce pompage est en relation avec un péristaltisme lié à la rotation du vortex écrasé par l’antivortex. Source Copernicus, CAMS). Noter que le 8/10, la rotation du contrevortex affecte la couche d’ozone.

 Des températures supérieures à 4 °C par rapport à la moyenne de juillet ont couvert de grandes parties du continent antarctique, et de l’ensemble de la région antarctique, et, l’anomalie thermique a également été observée dans le Sud de l’Australie et en Tasmanie. Pour le mois d’août en Australie, le record thermique troposphérique de 1919 a été battu, et associé à des incendies de forêt  (que les évènements du 7 juillet et du 5 août 2024 sont associés avec de pics de vents solaires de faibles magnitudes 680 et 720 km/s. 

Pendant l’hiver austral, deux centres anticycloniques se sont formés dès fin juin 2024, l’un au sud de l’Australie, l’autre sur le sud de la Terre de Feu. Ce sont des anticyclones ou antivortex, les structures de base pouvant générer un RSS (SCE, 2024). Un vrai RSS, avec un configuration vortex-antivortex est un phénomène rare dans l’Hémisphère sud. 

Figure 3 : A) image des vents du Vortex ; B) des températures, le chaud est en bleu) selon https://earth.nullschool.net/C) ozone total le 7/10/24, Copernicus ; D) couche d’ozone (en jaune) percée et modelée par le vortex (5 août ; NASA). Noter l’élongation en cours du trou (vortex).

Il vient de se produire le 6 octobre 2024 avec une température de -4°C (au lieu de -80°C) dans la zone de contact entre le vortex et l’antivortex, en relation avec une activité solaire majeure. Le phénomène qui s’est développé le 5 octobre et fait suite à deux pics très rapprochés de vents solaires, l’un au cours de la nuit du 1 au 2 octobre (X7.1 CME) est lié à une éjection coronale de masse solaire (CME), et celui du 3 octobre (X9.05 CME), une éjection orientée vers la Terre, qui représente l’éruption solaire la plus forte du cycle solaire actuel (cycle 25). La dernière fois que nous avons eu des éruptions solaires plus grande que celle-ci remonte à 2017 dans cycle solaire 2. Il s’agit en fait de la plus forte éruption solaire en 7 ans. Le pic de vent solaire a atteint la Terre le 4 octobre 2024 et n’a pas dépassé 600 km/s. L’accumulation d’ozone est flagrante au niveau de l’antivortex qui est emballé côté vortex par la concentration de ce gaz (Figures 2 et 3). Ce pompage d’ozone est en relation avec un peristaltisme lié à la rotation du vortex, lui-même écrasé par celle de l’antivortex (Figures 2 et 3C). 

Conclusions

Pour conclure, en 2024, hormis les évènements décrits, le trou d’ozone au-dessus de l’hémisphère sud a été plus petit qu’en 2023. La formation du vortex, même petit, entraîne l’ozone des basses latitudes troposphériques et celle formée en altitude au-dessus des calottes glaciaires vers les régions polaires stratosphériques. Le changement de circulation stratosphérique lors d’un RSS est systématiquement associé à l’exacerbation d’un contrevortex, enrichi en ozone destructible, sous l’impact de décharges de vents solaires rapides chargés en particules solaires. En plus du réchauffement Venturi entre les vortex et contrevortex, la réaction exothermique de destruction de l’ozone, est responsable des épisodes de réchauffement rapides (Figure 4, SCE, 2024). 

Figure 4 : Schéma de formation d’un RSS ( SCE, 2024)

Cette chaleur est ensuite dissipée vers la basse troposphère, provoquant jusqu’ici des canicules inexpliquéesVu la position longitudinale du contrevortex, il faut s’attendre dans les prochains jours à une canicule grave sur le Sud de l’Australie, la Tasmanie et probablement sur l’île Nord de la Nouvelle Zélande. Par conséquent, les RSS sont des phénomènes naturels issus essentiellement de l’activité solaire, mais la pollution atmosphérique liée aux activités humaines peut en accentuer l’intensité.

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16 réflexions au sujet de « Réchauffement stratosphérique majeur en Antarctique. »

  1. “mais la pollution atmosphérique liée aux activités humaines peut en accentuer l’intensité.”

    Intéressant, mais jusque quel point d’accentuation?
    Est-ce que c’est linéaire?

  2. Le fameux “trou” dans la couche d’ozone a toujours existé mais est devenu détectable avec l’avancée technologique des instruments de mesure… comme de nombreux autres phénomènes!

  3. @ Brigitte Van Vliet-Lanoë,

    Je suis avec beaucoup d’intérêt vos développements théoriques.
    Lorsqu’on regarde le patron des courbes isotopiques (oxygène) qui décrivent le climat sur le dernier million d’années (les 9 dernières grandes glaciations), on constate grosso modo une chose, les glaciations se mettent en place de façon lente et très oscillante (d’ailleurs à expliquer) sur le cycle de 100.000 ans mais la déglaciation aboutissant à ce qu’on appelle un interstade (comme l’Holocène) est toujours brutale, s’effectuant en quelques milliers d’années. Ces déglaciations sont à l’origine de débacles fluviatiles qui ont engendré de grands épandages caillouteux, par exemple dans les Alpes françaises. Recoupés par l’érosion ultérieure due au soulèvement lent alpin, ils donnent les terrasses fluviatiles bien connues dans nos paysages.
    Le cycle de 100.000 ans est largement interprété (théorie de Milankovitch) comme un cycle d’insolation lié à l’excentricité de l’orbite terrestre. Mais il me paraît bien difficile d’expliquer par des changements faibles d’insolation ces rapides déglaciations.
    Question : se pourrait-il que ce cycle de 100.000 ans soit en fait un cycle solaire (et non dû à l’orbite terrestre), agissant sur le climat terrestre via vos vortex polaires ?
    Corollaire : dans le fond, le climat terrestre serait-il totalement contrôlé par le soleil via une multitude de cyclicités propres emboitées ? La théorie de Milankovitch serait-elle à revoir ?
    Merci d’avance.

  4. Message laissé initialement sur SCE
    “”””””Vaut mieux que le réchauffement soit stratosphérique que troposphérique ; le CO2 en prendra un coup”””””

  5. Qu’est-ce qu’une anomalie en matière de climat ? Parce qu’un climat sans anomalie, c’est comme un climat réglé, ça n’existe pas ! Il n’y a pas de normalité en matière de climat. La caractéristique des climats, c’est qu’ils changent en permanence. Toute stabilité relative ne peut s’évaluer que sur des périodes de plusieurs siècles voir plusieurs millénaires.
    Les pseudo-scientifiques comme cet auteur feraient bien d’étudier et de se cultiver avant de prêcher leur religion obscurantiste à la mode.

  6. Cet article présente des observations et des explications sur le phénomène du trou d’ozone en Antarctique, en particulier sur son évolution en 2024, influencée par des événements naturels comme les éruptions solaires et la dynamique des vortex stratosphériques. Il montre que les modifications dans la couche d’ozone et les réchauffements stratosphériques soudains (RSS) peuvent être influencés par des événements naturels, mais il ne remet pas en question les fondements du dérèglement climatique.

    L’étude du trou d’ozone et des réchauffements stratosphériques est un sujet distinct des changements climatiques liés aux émissions de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone, qui contribuent au réchauffement global.
    Bien que les événements décrits ici soulignent l’influence de phénomènes naturels dans des variations temporaires de température et de circulation atmosphérique, ils n’infirment pas l’idée que le réchauffement climatique est dû aux activités humaines. Le dérèglement climatique est basé sur une accumulation de preuves scientifiques mondiales montrant l’impact humain à travers des modifications mesurables durables dans l’atmosphère, les océans et les températures terrestres.

  7. Bonsoir ,
    Quid de la climatisation ? a combien peut on estimer l’influence de la clim sur les hausses de température surtout dans les régions chaudes des USA ou de la Chine .
    Pourquoi dans ces contrées ne mettons nous pas l’accent sur l’isolation thermique des bâtiments ?
    Jimmi

      • Si vous croyez que la relecture par les pairs est un critère, je crois que vous connaissez mal le milieu scientifique et surtout le business de la publication scientifique qui est en train de déraper dangereusement, non seulement sur les sujets sensibles comme le climat, mais est en train de se répandre dans tous les domaines. C’est devenu un business, forcé par le “publish or perish”.
        Désolé d’être un peu brutal mais c’est la vérité brutale.
        La vérité n’existe pas, vous n’avez affaire qu’à des interprétations des observations. Au mieux. Si vous voulez vous en convaincre, lisez ce qui est publié en cosmologie par exemple. C’est transposable à d’autres domaines des sciences dites dures. Quant aux sciences dites molles…

          • La vérité est que la carbonophobie conduit un innocent sur l’échafaud, donnant ainsi, au vrai coupable, non seulement un alibi, mais la liberté d’agir encore plus machiavéliquement! Qu’on se le dise, la bourse du carbone est le subterfuge qui permet l’équivalent d’un brevet sur un élément fondamental du tableau de Mendeleiev, le carbone élément de base de toute vie…

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