Une nouvelle étude internationale [1] suggère qu’un réchauffement même limité à 2°C serait susceptible de provoquer l’emballement du climat qui devenant incontrôlable ferait basculer la Terre dans un état qualifié de “Hothouse Earth”. La planète deviendrait alors inhabitable avec des températures de 4 à 5°C au dessus de celles de l’ère préindustrielle, avec un niveau de la mer gagnant 10 à 60 mètres.
La figure ci-dessous (Fig 1), extraite de l’étude, illustre le chemin que pourrait emprunter notre planète :
Fig 1: Les systèmes dans un état stable sont en fond de "vallée" avec une énergie potentielle faible. Une énergie considérable est nécessaire pour les sortir de cet état. Les systèmes dans un état instable (au sommet d'une "colline") ont une énergie potentielle élevée et il ne faut qu'une faible énergie supplémentaire pour les pousser vers une "vallée". ((© Trajectories of the Earth System in the Anthropocene ; Will Steffen et al. - PNAS August 6, 2018 - Licence : Tous droits réservés)
L’étude envisage une dizaine de rétroactions et notamment la fonte du pergélisol, la déforestation, l’absence de couverture neigeuse dans l’hémisphère nord, la disparition de la banquise et la fonte des calottes polaires. La carte ci dessous (Fig 2) illustre les interactions susceptibles de provoquer ce basculement :
Carte globale des cascades de basculement potentielles. Les flèches montrent les interactions potentielles entre les éléments de basculement (© Trajectories of the Earth System in the Anthropocene ; Will Steffen et al. - PNAS August 6, 2018 - Licence : Tous droits réservés)
Une vision prométhéenne de l’action de l’homme sur le climat
Sortant de l’Holocène pour l’Anthropocène[2], deux trajectoires sont possibles nous disent les auteurs : celle d’une Terre plus chaude, mais supportable car stabilisée par des mesures massives et drastiques de nos sociétés ; ou celle d’une Terre qui ayant basculé dans un état bien trop chaud deviendrait inhabitable. C’est la voie dans laquelle nous serions engagés :
« Nous soutenons que les décisions sociales et technologiques qui seront prises au cours des deux prochaines décennies pourraient influencer de manière significative la trajectoire du système terrestre pendant des dizaines ou des centaines de milliers d’années et potentiellement ramener la Terre dans des conditions qu’elle a connues il y a plusieurs millions d’années, conditions qui seraient inhospitalières aux sociétés humaines actuelles et à de nombreuses autres espèces contemporaines », affirment les auteurs.
L’étude conclut qu’une action humaine collective est nécessaire pour éloigner le système terrestre de ce seuil potentiel et le stabiliser au niveau d’un état interglaciaire habitable. Une telle action collective impliquerait la reprise en main par l’homme de l’ensemble du système terrestre (biosphère, climat et sociétés) en vue d’imposer « la décarbonisation de l’économie mondiale, l’amélioration des puits de carbone de la biosphère, les changements de comportement, les innovations technologiques, de nouveaux mécanismes de gouvernance, une transformation de nos valeurs sociales », (et même) la réduction du rayonnement solaire en modifiant les propriétés radiatives ou réflectives de la surface et de l’atmosphère ».
Une publication spéculative qui n’a n’ajoute rien à la science du climat
« Pas de nouvelle science, pas de nouvelles données, pas de nouveau scénario et par conséquent pas de nouvelle cause de panique » commente le Dr David Whitehouse, rédacteur scientifique du GWPF (Global warming Policy Forum) [3] expliquant que cette publication ne résulte pas d’une nouvelle recherche et n’apporte rien de nouveau à la science du climat. C’est un scénario élaboré sur la base d’une compilation de précédents travaux scientifiques portant sur les seuils de rupture de la Terre. Il n’existe dans la littérature scientifique aucune publication établissant ou cherchant à établir qu’une élévation des températures mondiales de 2° C au-dessus des températures préindustrielles nous rapprocherait d’un point de basculement. Le rapport le plus récent du GIEC a rejeté un tel scénario comme hautement improbable.
Commentant cet article sur son site [4], Judith Curry note que la possibilité de ces types de seuils climatiques a déjà fait l’objet de nombreuses études. Le plus souvent, les experts sont d’accord sur le fait que ces seuils existent théoriquement, mais que la probabilité de leur franchissement est voisine de zéro. Une étude, publiée en juin dans Nature Geoscience [5] par 59 chercheurs de 17 pays (dont plusieurs experts français) a examiné les conséquences du réchauffement sur les quelques millions d’années écoulées de l’histoire du climat de la Terre. Cette étude conclut que « les observations des époques chaudes passées suggèrent qu’avec un réchauffement limité à 2°C, comme le propose l’accord de Paris, le risque d’un emballement catastrophique lié à de fortes émissions induites de gaz à effet de serre est relativement faible ».
D’autre part, les échelles de temps impliquées par ces processus sont extrêmement longues comme l’indique Michael Ghil (2013)[ 6], Professeur distingué de recherche en sciences atmosphériques et océaniques, Université de Californie, Los Angeles (UCLA) :
« Le système climatique mondial est composé d’un certain nombre de sous-systèmes (atmosphère, biosphère, cryosphère, hydrosphère et lithosphère) dont chacun agissant à des échelles de temps différents, allant des jours et des semaines aux siècles et millénaires. De plus, chaque sous-système a sa propre variabilité interne, toutes les autres choses étant constantes, sur une gamme assez large d’échelles de temps. Ces plages se chevauchent entre un sous-système et un autre. Les interactions entre les sous-systèmes entraînent donc une variabilité climatique à toutes les échelles de temps. »
Conclusions
Immédiatement après la publication de cette étude, la presse (toute en nuances et avec une magnifique unanimité) titrait : « un terrible effet domino risque de transformer la Terre en étuve ».
« Il n’y a rien de mal à présenter un scénario extrême pour stimuler la recherche, mais cet article provocateur ne reflète pas l’état de la recherche sur le climat et en tout cas ne justifie pas les gros titres de la presse » note le Dr David Whitehouse du GWPF.
Les media s’honoreraient en effet à replacer ce type de publication alarmiste dans leur contexte scientifique avant de la présenter au public comme des prédictions alors qu’il ne s’agit que de simples pistes de recherche.
L’objectif de cette publication est politique : elle vise à accélérer l’agenda climatique des gouvernements des Etats en faisant valoir que les seuils dangereux de 1,5 °C à 2° C énoncés par la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) pourraient être insuffisants pour empêcher la basculement du climat par effet domino.
Laissons à Judith Curry la conclusion : « Supposons que vous croyez aux projections des modèles climatiques, alors il n’y a pratiquement aucun espoir de rester en dessous de ces seuils dangereux. Si vous croyez les estimations de Nic Lewis [7] sur la sensibilité du climat, alors ces objectifs peuvent être atteints. Si vous croyez que les circulations océaniques dominent la variabilité climatique à des échelles allant de la décennie au millénaire, alors nos émissions de CO2 ne feront pas beaucoup de différence ».
[1] PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) : Trajectories of the Earth System in the Anthropocene (http://www.pnas.org/content/early/2018/07/31/1810141115)
[2] L’Holocène est une époque géologique s’étendant sur les 10 000 dernières années, toujours en cours de nos jours. C’est une période interglaciaire relativement chaude qui suit le dernier glaciaire du Pléistocène. L’Anthropocène est le terme proposé pour caractériser l’époque qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Notons que quelques jours à peine après la publication de cet article, la Commission internationale de stratigraphie a décidé de ne pas valider le passage à l’Anthropocène, affirmant que nous vivions plutôt à l’époque Meghalayan, le plus récent des trois étages géologiques de l’Holocène. Il a débuté 4 200 ans BP (Before Present en anglais) et continue actuellement. La division de l’Holocène en trois étages, le Greenlandien, le Northgrippien et le Meghalayen, a été ratifiée par la Commission internationale de stratigraphie en 2018 (wipikedia)
[3] Hothouse earth : it’s extremely dodgy (https://www.thegwpf.com/hothouse-earth-its-extremely-dodgy/)
[4] https://judithcurry.com/2018/08/08/hothouse-earth/
[5] Les modèles climatiques actuels pourraient sous-estimer les changements climatiques à long terme ( http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/cp_lsce_globalwarming_c_val_dcom_vf.pdf
[6] L’étonnante mathématique de la sensibilité climatique de Michael Ghil (https://judithcurry.com/2014/05/30/the-astonishing-math-of-michael-ghils-climate-sensitivity/)
[7] Nic Lewis et Judith Curry estiment à 1,65 °C la sensibilité climatique (augmentation de température induite par le doublement de la concentration en GES). The Impact of Recent Forcing and Ocean Heat Uptake Data on Estimates of Climate Sensitivity (https://journals.ametsoc.org/doi/10.1175/JCLI-D-17-0667.1?utm_source=CCNet+Newsletter&utm_campaign=a24cafd790-EMAIL_CAMPAIGN_2018_04_24&utm_medium=email&utm_term=0_fe4b2f45ef-a24cafd790-20156641&)