Par MD
Le document statistique publié annuellement par la compagnie énergétique BP vient de paraître. On peut télécharger gratuitement la version Excel en cliquant ici. Ce document, toujours très attendu, comporte des séries longues de données énergétiques mises à jour chaque année, donc avec cette fois les données relatives à l’année 2017. Les chiffres des séries ne diffèrent que très légèrement d’une édition à la suivante,les différences concernant essentiellement les années les plus récentes comme il est habituel : cette continuité de l’information constitue une qualité très appréciable.
Les lignes et les illustrations qui suivent donnent un aperçudes enseignements que l’on peut tirer de cette nouvelle édition
Les nouveautés de l’édition 2018.
- Le nombre des pays répertoriés dans les séries a augmenté d’une vingtaine (77 pays, regroupés par sous-continents et continents).
- Cinq feuilles nouvelles fournissent le détail des différents combustibles utilisés pour produire l’électricité (séries de 1985 à 2017) ; ces feuilles sont encore lacunaires (seuls 29 pays sont répertoriés). Elles seront certainement complétées dans les éditions suivantes.
- Cinq feuilles nouvelles sont relatives aux réserves connues des métaux rares utilisés notamment dans les batteries (cobalt, lithium, graphite, terres rares).
Principales conclusions
Le monde n’est pas à la veille de se passer des énergies fossiles, en dépit des déclarations martiales et des conférences internationales. Ces dernières présentent au moins l’intérêt de rassembler des orateurs plutôt que des combattants. Il y a des cas où le bavardage est préférable à l’empoignade.
1. Consommation d’énergie.
1.1 Répartition entre les différentes énergies.
Le graphique ci-dessous représente l’évolution de la consommation mondiale d’énergie primaire répartie entre les différentes énergies, et en superposition la courbe des émissions énergétiques de CO2, avec une échelle adaptée. Les unités sont le million de tonne équivalent pétrole (Mtep) et le million de tonnes(Mt) de CO2 [1]
Les émissions de CO2 sont calculées par BP à partir des consommations d’énergies fossiles déclarées par les pays. Comme ces énergies sont très prépondérantes dans le « mix énergétique », il y a quasi-coïncidence entre la courbe des émissions de CO2 et le total de la consommation d’énergie (aux échelles près évidemment). Toutefois, un décrochement est observable à partir de 2013, en raison du recours accru aux nouvelles énergies non fossiles, notamment les énergies intermittentes éolienne et solaire.
En complément, voici le détail de l’évolution des énergies non fossiles (donc réputées non émettrices de CO2), qui sont utilisées en quasi-totalité pour produire de l’électricité.
La répartition entre les différentes énergies s’est progressivement modifiée au fil des années. L’année 1990 étant habituellement considérée comme référence, il est intéressant de comparer la répartition des énergies de 1990 avec celle de 2017. Pendant ces 27 années, la consommation d’énergie est passée de 8 100 Mtep à 13 500 Mtep, elle a donc été multipliée par 1,66.
L’augmentation importante de la consommation n’a pas entraîné de bouleversement dans la répartition entre les types d’énergies. La différence entre ces deux graphiques ne saute pas aux yeux :le charbon a conservé sa part de marché et l’ensemble pétrole + gaz n’a perdu que 3 points (de 61% à 58%). Tout se passe comme si les énergies intermittentes avaient surtout grignoté la part de l’hydraulique et du nucléaire.
Dans le même temps, les émissions de CO2 sont passées de 21,3 à 33,4 millions de tonnes, elles ont donc été multipliées par 1,57 donc un peu moins que la consommation d’énergie.
Voici à ce sujet deux ratios utiles à connaître, concernant les émissions de CO2 (chiffres pour 2017) :
- CO2 / consommation d’énergie fossile (toutes confondues avec la répartition actuelle) : # 2,9 tonnes /tep.
- CO2 / consommation d’énergie totale : # 2,5 tonnes / tep, en légère diminution tendancielle (on avait # 2,6 en 1990).
En 2017, les énergies fossiles représentent 85,2% du total (les agro-carburants, soient 0,6%, sont comptés dans la rubrique pétrole), les énergies non fossiles classiques (nucléaire, hydraulique, biomasse) 12,2%, et les énergies intermittentes 2,6% (dont 1,9% pour l’éolien et 0,7% pour le solaire).
1.2 Répartition de la consommation d’énergie entre les régions du monde.
Le graphique ci-dessous illustre l’évolution entre 1990 et 2017 de la répartition de la consommation entre les principaux pays ou grandes régions (les pays restants se trouvent essentiellement en Europe hors UE et en Asie du sud-est). On constate notamment que la Chine, les USA et l’Union européenne totalisent, en 1990 comme en 2017, environ la moitié de la consommation mondiale ; mais la répartition entre ces trois entités a été bouleversée : la Chine occupe désormais le premier rang, avec le quart de la consommation mondiale. L’Inde est encore très loin derrière.
2. Production et échanges d’énergies.
La production mondiale d’énergie et celle de chacun des types d’énergie sont par définition égales aux consommations, à quelques écarts statistiques près.
- Les énergies non fossiles sont essentiellement consacrées à la production d’électricité. Celle-ci, qui n’est ni stockable ni transportable à longue distance, est le plus souvent consommée sur place,parfois échangée entre pays limitrophes (c’est le cas en Europe de l’ouest). Il n’y a pas de marché mondial de l’électricité[2].
- Les énergies fossiles au contraire, aisément stockables et transportables par voies terrestres ou maritimes, donnent lieu à des échanges internationaux intenses, car la répartition des ressources diffère considérablement de celle des consommations.
Cette disparité entre production et consommation est illustrée par les trois graphiques et le tableau ci-dessous qui donnent un aperçu, à la fois de l’importance des échanges internationaux et des enjeux géostratégiques qui gouvernent le monde de l’énergie, fondamental à beaucoup d’égards.
Pays appartenant à l’OCDE et les autres :
Continents ou sous-continents :
Grands pays (et Union européenne) :
Enfin, on a établi une sorte de palmarès des pays excédentaires (chiffres positifs en haut du tableau) et des pays déficitaires (chiffres négatifs au bas du tableau) pour les trois énergies fossiles et leur somme (en millions de tep). Les pays non représentés présentent des valeurs intermédiaires.
Chacun pourra analyser ces informations et en tirer les conséquences. Ajoutons que la base de données BP comporte des tableaux à double entrée du commerce extérieur de pays à pays pour le pétrole et le gaz.
3. Réserves de combustibles fossiles
« Plus le vase versait, moins il s’allait vidant:
Philémon reconnut ce miracle évident »
(La Fontaine)
3.1 Réserves mondiales et leur évolution.
BP consacre plusieurs feuilles aux « réserves prouvées », terme consacré qui désigne des gisements repérés avec certitude et dont l’exploitation peut être faite par des méthodes existantes et éprouvées. Pour l’homogénéité avec les consommations et les productions évoquées précédemment, les séries [3] (respectivement barils, tonnes et m3) ont été converties en tonnes-équivalent-pétrole en utilisant les coefficients de conversion classiques.
Comme toutes les autres données, les « réserves prouvées » résultent des déclarations des différents pays. Il convient donc de faire la part des approximations voire des évaluations de circonstance, compte tenu des aspects stratégiques de la question. Les évaluations des réserves de charbon, notamment, ont subi des fluctuations notables (données inchangées pendant plusieurs années, ou au contraire écarts inexplicables d’une année à l’autre).
Quoiqu’il en soit, voici comment se présentent les réserves recensées en chaque fin d’année depuis fin 1980. Il est facile de constater que, malgré l’exploitation des ressources, croissante année après année, les réserves n’ont cessé d’augmenter. Le miracle évoqué par notre fabuliste n’en est pas un, sauf à considérer comme tel le savoir-faire et l’imagination inépuisables des ingénieurs. Les fameux « pics » annoncés régulièrement ne sont pas encore clairement visibles. Encore faut-il ajouter que BP ne comptabilise pas dans les réserves les sables pétroliers du Canada ni l’ « Orinoco Belt » du Venezuela (environ 50 milliards de tep).
Une autre façon d’illustrer la compétition entre les exploitations et les découvertes consiste à l’exprimer par le rapport « R / P », réserves en fin d’année par rapport aux productions de l’année. Le nombre d’années restant à l’exploitation future correspond à l’hypothèse que la production se maintienne au niveau de celle de la dernière année connue.
Il resterait donc environ 120 ans de réserves de charbon, et 50 ans de réserves de pétrole et de gaz naturel, et ceci inlassablement depuis des décennies, les nouvelles découvertes compensant donc presque exactement les extractions, et ceci année après année. Encore faut-il ajouter que nombre de continents et de fonds marins n’ont pas été explorés [4].
3.2 Répartition géographique.
Comme on sait, les richesses minérales ne sont pas équitablement réparties à la surface du globe, mais résultent des caprices de la géologie. C’est ainsi que pour chacun des trois combustibles, dix à douze pays se partagent environ 80% des ressources, comme l’indique le graphique ci-dessous. Le Moyen-Orient dans son ensemble dispose d’environ 40% des ressources d’hydrocarbures, l’Asie du sud-est et l’Australie d’environ 40% des gisements de charbon.
Dans une prochaine chronique, nous aurons l’occasion de développer plus spécialement la production d’électricité, qui représente environ 45% de l’énergie mondiale consommée, et où les énergies intermittentes occupent une place croissante quoi qu’encore très modeste : en paraphrasant Pareto, on pourrait dire que 5% de l’énergie occupe 95% des discours.
[1] Certaines autres publications statistiques se réfèrent à la tonne de Carbone C : 1 tonne de Carbone égale 44/12 = 3,67 tonnes de CO2.
[2] On ne parle pas ici des échanges internationaux portant sur les équipements : panneaux solaires ou autres.
[3] Pour le pétrole et le gaz, BP publie un historique des réserves en fin d’année depuis 1980. Pour le charbon, on peut reconstituer cette série à partir des éditions successives.
[4] Certains bons esprits suggèrent même d’interdire purement et simplement la connaissance du sous-sol, afin d’éviter d’y faire de mauvaises rencontres, telles que des gisements de combustibles utiles à l’humanité.