Par Jim Johnstone et Judith Curry (Posté le 2 juillet 2023 par Judith Curry)
Traduit par Camille Veyres
La saison des ouragans dans l’Atlantique étant en cours, nous surveillons de près les TSM (températures de surface des mers, SST en anglais) exceptionnellement chaudes dans l’Atlantique. Ce billet décrit ce qui s’est passé et pourquoi.
Températures de surface de la mer (SST) sur l’Atlantique
Les températures de surface des mers (TSM) sur une grande partie de l’Atlantique Nord sont à la fin du mois de juin 2023 exceptionnellement élevées, en grande partie à cause d’une période de réchauffement rapide qui a commencé vers mars-avril.
Les séries temporelles quotidiennes de la température de surface des mers à la figure 1 montrent son évolution récente dans plusieurs régions, encadrées sur la carte ci-dessus : la mer des Caraïbes, l’Arc Atlantique Nord, la région Niño3 du Pacifique Est et la région tropicale de l’Atlantique Nord dite Main Development Region, MDR.
Les indices de température de surface des mers de l’Atlantique Nord montrent un réchauffement irrégulier depuis mars-avril avec un « pic de chaleur » [NdT : de l’ordre de 1° Celsius] au début du mois de juin.
Les conditions chaudes dans l’est du Pacifique équatorial reflètent les conditions actuelles d’El Niño, qui ont crû régulièrement depuis le début de 2023.
Des anomalies locales de la température de surface des mers de 1°C et plus (par rapport à la moyenne sur 1995-2019) sont présentes tout au long d’un “Arc” nord-atlantique qui structure l’essentiel de la variabilité de la température de surface des mers sur une large gamme d’échelles de temps (Fig. 1). L’ampleur exceptionnelle du réchauffement récent de l’Atlantique Nord se voit sur les anomalies de la température de surface des mers en moyennes mensuelles sur cet Arc depuis 1980, représentées à la figure 2.
Après une période de variabilité relativement faible depuis 2020, la température de surface des mers de l’Arc s’est fortement accrue au cours des derniers mois, atteignant un maximum historique en juin.
Structures de la circulation atmosphérique
Les conditions atmosphériques du mois de juin sur l’Atlantique Nord sont également très inhabituelles, comme le montre l’anomalie de l’indice de l’oscillation nord-atlantique (NAO, North Atlantic Oscillation), qui est à près de 3 écarts-types en dessous de sa moyenne mensuelle.
La NAO est la différence, entre régions subtropicales et régions subpolaires, des anomalies de la pression atmosphérique au niveau de la mer (SLP, Sea Level Pressure) ; elle reflète approximativement l’intensité de la circulation atmosphérique des basses couches sur l’Atlantique Nord.
Les valeurs extrêmement basses de la NAO en juin sont cohérentes avec un très faible anticyclone subtropical (anticyclone des Bermudes [et/ou des Açores]) et des vents de surface relativement faibles, avec une faiblesse du flux d’ouest aux latitudes moyennes et, en zone tropicale-subtropicale, une faiblesse des alizés d’est.
Les valeurs climatologiques de la pression au niveau de la mer et des vents de surface en juin sont présentées à la vignette de gauche de la figure 3. A la vignette du milieu, juin 2023 montre un anticyclone subtropical remarquablement faible et aux moyennes latitudes une absence de vents d’ouest en surface.
La vignette de droite montre les anomalies de juin 2023 de la pression au niveau de la mer et du vent : une pression anormalement basse et une circulation cyclonique sur une grande partie du bassin, reflet de la faiblesse de la circulation anticyclonique [dont la « normale » est figurée à la vignette de gauche de la figure 3].
Un indice NAO très négatif en juin a été précédé par des anomalies modérément négatives en mars et en avril (tableau 1), ce qui a entraîné un réchauffement mensuel répété de l’Arc Atlantique Nord et des effets cumulatifs extrêmes à la fin du mois de juin. Le réchauffement de l’Arc observé de février à juin (+0,85°C) dépasse le réchauffement net total de l’Atlantique au cours du siècle dernier.
La figure 4 illustre l’ampleur de l’anomalie NAO de juin dans le contexte de l’enregistrement historique depuis 1980. La très faible valeur de la NAO en juin 2023 n’est pas sans précédent dans les valeurs climatologiques mensuelles ; cependant, elle est extrêmement faible par rapport aux valeurs de juin précédentes et aux valeurs du printemps (mars-juin).
Anomalies et changements associés
Les anomalies atmosphériques associées à la NAO sont les principaux facteurs des perturbations de la température de surface des mers de l’Arc nord-atlantique, sur des périodes courtes (mensuelles à saisonnières). La figure 5 illustre les anomalies mensuelles du flux net de chaleur de surface en ondes courtes (solaire)(Shortwave), du flux de chaleur turbulente (chaleur latente/évaporation plus chaleur sensible), du flux de chaleur total et des tendances de la température de surface des mers (SST).
Les anomalies négatives de la NAO correspondent à des anomalies négatives de la pression en surface (Sea Level Pressure, SLP) en subtropical et à des alizés faibles plus au sud, y compris sur la Main Development Region, MDR. Des alizés plus faibles réduisent le refroidissement par évaporation, la surface sous-jacente de la mer en est plus chaude ; ils affectent aussi les températures de surface des mers tropicales par plusieurs mécanismes complémentaires, par des réductions de la nébulosité des stratocumulus, de l’advection de poussière saharienne, du mélange des couches supérieures de l’océan et de la remontée d’eaux côtières [froides] au large de l’Afrique du Nord-Ouest. Globalement, le flux turbulent associé aux vents faibles a dominé le flux solaire dans le réchauffement de l’Atlantique.
Le réchauffement de l’arc nord-atlantique en mars, avril et juin s’explique principalement par la faiblesse des vents de surface (due aux anomalies de la NAO) et par de faibles valeurs du refroidissement par évaporation (flux de chaleur turbulente positif).
La récurrence et la croissance de conditions extrêmes de la NAO et du réchauffement de l’arc nord-atlantique au cours des derniers mois sont probablement dues en partie à des rétroactions positives entre la température de surface des mers et l’atmosphère. [NdT : ça fait savant mais ça ne veut rien dire ! ]
Des structures « NAO / Arc nord-atlantique » dans l’atmosphère et dans les couches superficielles de l’océan sont étroitement liées au mode méridien atlantique (Atlantic Meridional Mode, AMM), où des températures de surface des mers chaudes et des alizés faibles peuvent se renforcer mutuellement.
Une autre contribution à ces remarquables changements printaniers sur l’Atlantique Nord peut être le réchauffement tropical qui accompagne la transition vers des conditions de type El Niño. Le réchauffement de surface dans les tropiques amène généralement à une élévation quasi-uniforme des températures troposphériques et des hauteurs géo-potentielles dans toute la ceinture tropicale, de ~20°N à 20°S.
Les augmentations printanières des hauteurs géo-potentielles à 250 hPa (Z250) sur les tropiques ont été accompagnées de baisses du côté des pôles et sur le Pacifique Nord-Est subtropical et sur l’Atlantique Nord, tandis que les anomalies la pression en surface ont chuté brusquement dans une zone tropicale cohérente du Pacifique central à l’Atlantique Est.
Poussière africaine, pollution, fumée des feux de forêt et Hunga-Tonga
Comme le montre la figure 5, les TSM extrêmement chaudes de l’Atlantique cette saison sont en partie dues à un réchauffement radiatif anormal de la surface.
Les twitterati [ou « twittos », ces gens qui communiquent par tweet] ont incriminé de nombreux facteurs : les émissions de CO2, la diminution de la quantité de particules de sulfate à cause de l’emploi par les bateaux de pétroles plus propres, l’éruption du Hunga-Tonga et les faibles niveaux de poussière africaine. Et maintenant, ce sont les incendies de forêt au Canada. Tous ces facteurs sont relativement mineurs par rapport à l’impact dominant des variations de la nébulosité.
Les particules atmosphériques ont été réduites à l’échelle mondiale grâce à l’utilisation de carburants plus propres pour le transport maritime, obligatoire à partir de 2020, qui produisent moins de particules de sulfate. Les particules de sulfate ont un effet refroidissant en rétrodiffusant le rayonnement solaire. Un air plus pur signifie que moins de rayonnement solaire est rétrodiffusé, ce qui contribue au réchauffement de la surface. Parmi les effets indirects, on peut citer l’assombrissement des nuages subtropicaux, dû à des effets microphysiques sur les nuages, qui réduit la réflectivité de ces derniers. L’effet de réchauffement des océans serait le plus important dans l’hémisphère nord, et les nuages subtropicaux sont les plus sensibles à ce type de modification. Dans l’image ci-dessous, vous pouvez voir les traces de navires provenant des nuages plus brillants, qui réfléchissent davantage le rayonnement solaire (ces traces de navires ont maintenant été considérablement réduites) [lien].
Les particules provenant de la fumée des incendies de forêt ont un effet similaire sur la réduction du réchauffement solaire à la surface. Mes contacts à New York ont estimé que la production d’énergie solaire a été réduite de moitié pendant la période avec une épaisse couche de fumée provenant des incendies de forêt canadiens. Pour les trajectoires de la fumée sur l’Atlantique Nord, il y aura un refroidissement variable de la surface, en fonction de la trajectoire de la fumée et de sa profondeur [ou épaisseur] optique.
Les tempêtes de poussière africaines ont le même effet en termes de réflexion [rétrodiffusion] du rayonnement solaire et donc de refroidissement de la surface. Jusqu’à présent, les tempêtes de poussière ont été anormalement faibles (graphique de Michael Lowry) :
Mais finalement une forte poussée de poussière saharienne n’a pas un grand impact sur les températures de surface de la mer : “Les épisodes aigus de poussière saharienne peuvent réduire le rayonnement solaire en surface de jusqu’à 190 W/m2, et une analyse des changements correspondants de SSTskin , la température de peau de la surface des mers, avec un modèle de peau thermique suggère des effets de refroidissement induits par la poussière jusqu’à -0,24 K pendant la journée et un réchauffement jusqu’à 0,06 K pendant la nuit, respectivement.” [lien]
Un autre effet radiatif vient de l’éruption du Hunga-Tonga en 2022. Normalement, les volcans rejettent des particules de sulfate dans la stratosphère, ce qui réfléchit [rétrodiffuse] la lumière du soleil et a donc refroidit la surface. Cependant, le Hunga-Tonga n’a émis qu’une faible quantité de dioxyde de soufre (qui se transforme en particules de sulfate), avec un refroidissement estimé à -0,004oC en 2022. Le principal impact climatique de l’éruption du Hunga-Tonga est la grande quantité de vapeur d’eau injectée dans la stratosphère. On estime qu’elle a augmenté la teneur en eau de la stratosphère de 10 à 15 %, entraînant un réchauffement planétaire de +0,034oC au cours des cinq prochaines années. [lien]
Voici une capture d’écran de Zoom Earth le 24 juin, montrant la fumée des incendies de forêt au Canada et la poussière africaine. La blancheur de la fumée sur l’image satellite, par rapport à la poussière saharienne, indique la grande profondeur optique de la fumée (qui est proportionnelle à l’effet de refroidissement de la surface).
Résumé
Les conditions extrêmes de ces derniers mois sur l’Atlantique Nord sont probablement dues à une combinaison de facteurs dynamiques, y compris des anomalies météorologiques stochastiques, des rétroactions positives régionales et des changements à l’échelle mondiale. Le réchauffement récent de l’Arc nord-atlantique est remarquable par ses anomalies extrêmes de la température de surface des mers. Des réchauffements comparables, sur des périodes de 4 à 6 mois, ont été observées précédemment à la fin de l’hiver et au printemps en 1983, en 1987, en 1989 et en 2010 (Figure 2), qui ont précédé une large gamme d’anomalies des ouragans à la fin de l’été.
La cause dominante de températures de surface des mers chaudes est dynamique (circulations atmosphériques) : ça modifie les vitesses des vents de surface (donc l’évaporation qui est apparemment le facteur le plus important) et les nuages (donc le rayonnement solaire).
Il y a des impacts radiatifs mineurs en dehors des nuages : le volcan Hunga-Tonga a un effet global, les émissions d’aérosols sulfatés par les navires sont un effet local principalement dans l’hémisphère nord, l’impact des incendies de forêt sur les océans est rare et à apprécier cas par cas comme les évènements de poussière africaine.
C’est la variabilité des nuages qui dans la plupart des endroits prédominera sur le forçage des aérosols sur les températures de surface de la mer. On peut s’attendre à un léger refroidissement de l’océan Atlantique dû à la fumée canadienne et à la poussière saharienne.
Bonjour,
J’ai découvert votre existence grâce au Valeurs Actuelles, Grands débats, hors série sur Climat info et intox.
Je suis ravi que vous ayez pris cette initiative . Je viens de lire votre intéressante étude sur le réchauffement de l’Atlantique nord.Merci pour vos explications: Voilà qui est plus sérieux que le baratin quotidien des journalistes des chaînes de TV; même Cnews a fini par rentrer dans la désinformation.
Je pense adhérer et je vais vous faire connaître. Malheureusement pas par Twitter qui m’a “suspendu” de manière définitive (sic)…parce que je ne suis pas “politiquement correct”. Je gagne ainsi du temps 🙂
Le réchauffement récent des eaux marines ne serait-il pas du par la circulation de la vapeur d’eau lancée dans la stratosphère lors de l’éruption du Tonga-Hunga ?