Rémy Prud’homme
En 2022, les prix de l’électricité en France se sont envolés bien au-delà des coûts moyens de production de l’électricité en France, engendrant des rentes colossales pour certains et des difficultés terribles pour d’autres. Pourquoi ? Parce que les prix de gros européens, qui s’imposent à nous, sont égaux aux coûts marginaux de production, qui se trouvent être les coûts de production de l’électricité au gaz en Allemagne, qui se sont envolés du fait de la hausse du prix du gaz en Europe. Cette explication est correcte, mais elle n’est pas une justification acceptable.
Les tenants du système actuel nous disent que l’on ne peut pas sortir de ce système, pour des raisons politiques ; et surtout qu’on ne doit pas le faire, pour des raisons économiques, car la tarification au coût marginal, le coût du dernier kWh produit, est un instrument et un gage d’efficacité économique et sociale. Ceux qui veulent faire savant s’abritent derrière l’autorité de Marcel Boiteux, brillant économiste et glorieux PDG d’EDF, qui vient tout juste d’avoir cent ans. C’est lui faire gravement injure. Marcel Boiteux a bien fait l’éloge d’une tarification au coût marginal. Mais c’était (i) dans un contexte très différent du contexte actuel, (ii) avec des objectifs radicalement différents, et (iii) au moyen d’une notion de coût marginal complètement différente.
Le contexte des années 50 et 60 dans lequel Marcel Boiteux réfléchissait était celui de la France seule, c’est-à-dire d’un pays relativement homogène, alors que celui d’aujourd’hui est celui de l’Europe toute entière, c’est-à-dire d’un ensemble de pays très hétérogènes du point de vue de l’électricité. De plus, la demande d’électricité de la France était alors en progression rapide, de 7% par an, c’est-à-dire du doublement tous les dix ans, ou si l’on préfère de la multiplication par quatre dans les vingt années suivantes. Par contraste, la demande actuelle de la France (et de l’Europe en général, d’ailleurs) est caractérisée par une stagnation de la demande.
La tarification désirable à mettre en place préconisée par Boiteux était alors celle qui allait assurer, et orienter au mieux, le financement des investissements nécessaires pour répondre à cette demande française à la fois globalement croissante et avec des pointes horaires très marquées : quel mélange d’électricité hydraulique, d’électricité au fioul, d’électricité au charbon, bientôt d’électricité nucléaire (on ne considérait pas le gaz à l’époque) ? On dira que le monopole EDF était alors bien capable de faire tout seul les calculs pour répondre à cette question. Peut-être, mais ledit monopole était modeste, et préférait mettre en quelque sorte la demande de son côté. Il ne bénéficiait d’aucune subvention étatique, et voulait convaincre les prêteurs, notamment étrangers, du sérieux de sa démarche afin d’obtenir pour les emprunts qu’il allait faire des taux aussi bas que possibles. Aujourd’hui, on ne sait pas très bien quels objectifs sont visés par la tarification européenne. Ils ne concernent pas du tout les investissements de long terme, qui sont définis ou contraints par des décisions « politiques » (au sens de « arbitraires ») du genre : diminution du nucléaire, multiplication des renouvelables, diminution du thermique fossile, etc. Ils semblent ne considérer que le très court terme : faire en sorte que, à chaque instant, les installations de production mises en œuvre soient les moins coûteuses afin de faire baisser les coûts et de réduire les prix. Les objectifs de la tarification « à la Boiteux » et de la tarification de la Commission européenne sont donc radicalement différents : Boiteux vise le futur de la France et cherche à optimiser les investissements à engager, la Commission vise le présent de l’Union européenne et cherche à optimiser l’utilisation du stock d’investissement existant.
La tarification préconisée par Boiteux était adaptée à son objectif. Elle consistait à faire payer l’électricité au coût marginal de développement. Rien à voir avec le « coût marginal » égal au prix qui se fixe au jour le jour sur le marché allemand, et qui ne reflète que les coûts variables d’aujourd’hui. Ce coût marginal de développement est le prix de revient de l’électricité produite par une centrale supplémentaire (marginale, si l’on veut). Il inclut un bénéfice raisonnable. Pour l’investisseur potentiel, le prix qu’il retirera de ses ventes est une information, un signal, qui l’aidera à décider ou non la construction d’une centrale de plus[1]. Par contraste, la tarification au coût marginal du marché européen, qui engendre un prix de gros variant d’heure en heure dans de grandes proportions (passant de zéro à 500 euros du MWh), n’envoie aucun signal utile aux investisseurs. Ni aux consommateurs. Loin de raboter les rentes, de diminuer les coûts et de faire baisser les prix – comme le ferait un vrai marché – elle génère des rentes, consomme des subventions, et fait s’envoler les prix de vente. En prime, elle kidnappe notre grand Marcel Boiteux et le fait passer pour un complice de ces résultats lamentables.
Ce système fait irrésistiblement penser à ce que Macbeth, lorsque s’écroule son château de cartes, dit de la vie : « [Elle] n’est qu’une ombre qui marche, un mauvais acteur qui se déhanche et s’agite un moment sur la scène, et puis se tait : une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien[2] ».
[1] Dans un article qui valut à son auteur une notoriété internationale immédiate (et la prestigieuse présidence de l’Econometric Society), Boiteux examinait l’hypothèse d’un coût marginal de développement déclinant. Cette hypothèse impliquait qu’une tarification à ce coût serait toujours inférieure au coût moyen. Il y avait donc contradiction entre une désirable tarification au coût marginal et un désirable équilibre budgétaire d’un monopole comme EDF. Et l’article proposait une élégante solution à cette contradiction.
[2] “Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets its hour upon the stage
And then is heard no more: it is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury
Signifying nothing”
Macbeth, V, 5
Une injure à la raison et qui n’a d’équivalent dans un autre domaine que les modèles foireux des climatologues.
Quelle époque !
Avez-vous lu le chapitre réchauffement climatique sur Wikipedia ?
Il y a encore la photo de l’ours polaire malade.
Et ils vous relancent pour leur financement…
https://www.euractiv.fr/section/energie/news/nationalisation-dedf-premiere-victoire-pour-les-socialistes/
Nationalisation d’EDF : première victoire pour les socialistes
La Commission des finances a adopté mercredi (1er février) à 29 voix contre 20 la proposition de loi visant à « protéger le groupe EDF et la souveraineté énergétique française » portée par le député socialiste Philippe Brun. Une première victoire pour les socialistes dans la bataille qui les unis pour transformer la future recapitalisation d’EDF en une « vraie nationalisation ».
A quand la nationalisation de TOTAL ?
Avec la nationalisation, Macron aura les mains libres pour démanteler EDF selon les desiderata de l’Union puisque, selon sa formule, il n’y a plus de souveraineté française en dehors de la souveraineté européenne. Nationaliser, c’est offrir la proie EDF à son bourreau européen (donc allemand). Les socialistes sont des européistes, ni plus ni moins que Macron, lui-même ancien socialiste.
Quant à Total, on se demande bien pourquoi nationaliser, en quoi l’Etat serait compétent pour fabriquer de l’essence ou du gasoil en fonction de la demande, pourquoi pas des chaises, des yaourts ou des guitares étatiques, sans compter qu’il faudrait aligner au minimum 150 milliards. Ce n’est pas comme s’il y avait déjà 3000 milliards de dettes dans le pays le plus taxé et le plus fonctionnarisé au monde…
@ Roger
Pourquoi nationaliser TOTAL ? Pour faire crever l’industrie pétrolière française, les moteurs thermiques , les constructeurs automobiles français et accéder au zéro carbone que notre président a promis à la COP21 avec les accords de Paris
Si l’état était entre les mains de gens compétents et responsables, pourquoi pas ?
Mais vu le niveau intellectuel de nos politiques, vaut mieux s’abstenir, c’est plus prudent.
Politiques (Macron) et hauts fonctionnaires (Borne) indistinctement confondus. C’est effectivement le fond du problème. Si le secteur privé est globalement plus efficace, cela ne veut pas dire que les décideurs du privé sont fondamentalement meilleurs que les fonctionnaires, seulement que les mauvaises décisions du privé, du fait de la concurrence, n’affectent pas la totalité de la population contrairement aux erreurs de l’Etat et que l’exercice de la concurrence permet la correction rapide des erreurs.