Par MD
La presse s’est fait récemment l’écho d’une plainte déposée par onze familles ou communautés : neuf européennes, une des îles Fidji et une du Kenya, à l’encontre de l’Union européenne (Parlement et Conseil).
La juridiction choisie par les plaignants est la Cour de justice de l’UE (qui siège à Luxembourg). Il n’est pas inutile de rappeler succinctement les compétences de la CJUE. Elle « assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » (art 19 du traité de l’UE).Elle : « contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission (…) et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers (…) Toute personne physique ou morale peut former (…) un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution » (art 363).
En l’espèce, le grief invoqué par les familles plaignantes concerne l’insuffisance alléguée des dispositions législatives prises ou envisagées par l’UE pour limiter ses émissions de CO2 et partant le « réchauffement climatique » et ses effets dévastateurs bien connus. Elles demandent en conséquence la réforme ou l’abrogation de ces dispositions. On se contentera ici d’examiner le cas de la famille allemande.
Une île menacée.
La scène se passe en Allemagne sur l’île de Langeoog, en Frise orientale, à quelques encablures de la côte de la mer du Nord. Cette île est une destination touristique réputée. Elle compte quelques 2 000 résidents (hors saison), des maisons pimpantes, une quinzaine d’hôtels ou résidences, un aéroport, un musée maritime, des installations sportives, enfin au nord une immense plage de sable (14 km) avec la mer à perte de vue [1] . Les dépliants publicitaires la concernant sont enthousiastes [2], et des promoteurs-constructeurs nous invitent à y investir et à y bâtir [3]. Les liaisons avec le continent sont assurées, non par un pont ce qui garantit son insularité, mais par un service continu de ferries (8 allers-retours par jour en été).
Bref, une île prospère, dynamique et optimiste quant à l’avenir. Mais ce n’est qu’une apparence. En effet, cette île paradisiaque est menacée par la montée des eaux. Pour le démontrer, on dispose de trois marégraphes situés dans un rayon de 60 km environ, dont deux comportent des séries longues.
Voici le graphique correspondant (RLR, Revised Local Reference, est une échelle conventionnelle).On s’est permis d’y ajouter les droites de tendances linéaires pour fixer les idées. Il est facile de voir que, depuis 150 ans, au-delà de fluctuations notables d’une année à l’autre, le niveau de la mer a augmenté dans cette région de1,7à 2,3 mm par an en moyenne, soit environ 20 cm par siècle, sans accélération récente manifeste.
Il s’agit bien essentiellement du niveau marin, car l’altitude du socle terrestre, mesurée en différents endroits proches par GPS (source NASA), est stable au moins depuis plus de vingt ans, début des mesures. On apprend même grâce à Wikipedia que « Langegoog est une des îles frisonnes les plus stables, et a peu dérivé au fil des siècles ; sa partie orientale a même gagné de la surface ».
A ce rythme, l’altitude moyenne de l’île étant de 5 à 6 mètres, on pourra peut-être commencer à se préoccuper du problème, s’il se confirme, dans trois ou quatre siècles. C’est apparemment ce que pensent les deux mille habitants de cette île paradisiaque. D’ailleurs, à l’époque de l’essor de l’équipement de l’île (après la seconde guerre mondiale), on disposait déjà d’un siècle d’observations du niveau marin, ce qui n’a nullement découragé les investisseurs.
Une famille prophétique.
Toutefois, une famille de l’île ne partage pas la frivolité générale et a décidé d’agir sans tarder. Il s’agit de la famille Recktenwald, exploitant le restaurant panoramique Seekrug, juché sur la dune de dix mètres de hauteur qui borde la plage (Hohenpromenade, n°1). Le restaurant lui-même occupe le troisième étage du bâtiment.
Voici deux vues recto-verso permettant de situer l’établissement dans son environnement :
L’altitude de la dune et la végétation abondante qui la protège suggèrent que cet édifice (avec les quelques autres constructions riveraines de la Hohenpromenade) pourra servir en l’an 3000 ou 3500 d’ultime refuge aux derniers habitants, tous les autres ayant été chassés par la mer vers le continent. C’est donc à bon droit que les propriétaires se préoccupent dès maintenant de la préservation de ce nouveau mont Ararat.
De toute évidence, c’est bien l’Union européenne, par sa politique climatique écervelée, qui est la grande coupable. Il était donc urgent de la harceler pour la ramener à la raison.
Convergence ou complot ?
On pourrait s’appesantir de la même façon sur les dix autres plaignants, qui constituent une liste dispersée et hétéroclite (champ de lavande en Provence, ferme biologique au Portugal, élevage de Rennes en Suède, exploitations diverses en Italie, Roumanie, etc., plus Fidji et Kenya). On ferait probablement des découvertes analogues.
Toutes ces familles ou communautés déclarent souffrir du réchauffement ou changement climatique et de ses conséquences diverses : trop de pluie, pas assez de pluie, trop chaud, trop froid, montée des eaux, bref le temps qu’il fait. Elles incriminent l’UE au motif (en substance) que celle-ci ne préserve pas leur droit à la vie, à la santé, au moyen d’existence et à la propriété, ceci à cause d’une législation européenne trop laxiste en matière climatique. Elles ne demandent pas de réparations (au moins pour le moment), mais un durcissement des textes.
On ne sera pas surpris de trouver derrière ces plaignants des associations, des « experts » et des cabinets d’avocats spécialisés [4]. L’ONG allemande « Protect the Planet » est censée assumer les frais de procédures (mais enfin l’argent ne lui tombe pas du ciel ?) ; l’initiative est aussi appuyée par « Climate action network Europe » et quelques autres de la même mouvance.
Chacun peut penser ce qu’il veut, mais on a peine à croire que ces plaintes puissent être spontanées et se trouver miraculeusement regroupées sous une même bannière. Le plus vraisemblable est que des officines spécialisées procèdent à des recrutements sur la base du volontariat (on espère), et moyennant des promesses ou des compensations. Ces chasseurs de primes d’un nouveau genre semblent se multiplier partout dans le monde. En cas de succès, les retombées peuvent être juteuses en termes d’honoraires et de renommée.
Affaire(s) à suivre.
A l’heure actuelle, très peu des « contentieux climatiques » ont encore donné lieu à des jugements en dernier ressort (voire aucun). L’affaire Urgenda c/ Pays-Bas est en appel, de même que Saul (Pérou) c/ RWE. L’affaire Oakland, San Francisco et autres c/ cinq majors pétroliers est en première instance devant un juge californien (William Alsup) qui semble poser les bonnes questions.
Aux yeux du commun des mortels, les griefs invoqués apparaissent souvent comme assez loufoques ; mais la justice démocratique, et c’est son honneur, ne peut les décliner d’un revers de main, elle se doit de les considérer avec sérieux et patience, et elle a obligation de motiver ses verdicts.
Personne ne peut prévoir comment va se dérouler et encore moins se conclure cette plainte contre l’Union européenne, la première du genre. En bonne règle, les plaignants sont tenus de démontrer leur intérêt à agir, ainsi que le caractère personnel, direct, actuel et certain des dommages allégués, comme on apprend dans le moindre cours de droit civil. Mais on sait que même ces notions peuvent donner lieu à des interprétations : par exemple, les pronostics hasardeux du GIEC concernant le réchauffement climatique ou la montée du niveau marin présentent-ils aux yeux des juges un caractère de « certitude » suffisant ?
Il faut dire que les sociétés et les gouvernements ainsi attaqués, et en tout premier lieu l’UE, ont déroulé le tapis rouge devant les plaignants « climatiques » en battant leur coulpe en permanence et en adoptant dans l’enthousiasme les conclusions du GIEC et les accords des « COP » dont évidemment celui de Paris (COP21). Un document officiel de début 2017 émanant de l’UNEP est éclairant à cet égard : tout en recensant les contentieux climatiques, il constitue un manuel du parfait plaignant, n’omettant aucun type de grief [5].
Il sera intéressant de voir si, et comment, va se défendre l’UE, qui constitue maintenant le « ventre mou » mondial et s’est offerte comme cible de choix.Va-t-elle se coucher platement, ou argumenter méthodiquement et scientifiquement, ou aller jusqu’à une action reconventionnelle pour procédure abusive ?
« La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire. » (loi de Brandolini)
A suivre [6]
[1] Les parcs d’éoliennes offshore les plus proches (Gode Wind et Borkum Riffgrund) ont été prudemment implantées à plus de 50 km et ne polluent donc pas l’horizon. Pas si fous ces Allemands !
[2]https://www.langeoog.de/die-insel
[3] A titre d’exemple : https://www.engelvoelkers.com/en-de/properties/buy-investment-properties/lower-saxony/langeoog/
[4] Une des avocates allemande des plaignants, Roda Verheyen, est celle même qui conseille le paysan péruvien Saul dans sa plainte contre la compagnie énergétique allemande RWE (qui entre parenthèse n’a jamais mis les pieds au Pérou). Elle est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Climate change damage and international law ».
[5] « Status of climate change litigation » http://wedocs.unep.org/handle/20.500.11822/20767. Rappelons que l’UNEP est à l’origine de la création du GIEC avec le WMO. On sait – ou on ne sait pas – que l’UNEP est basée à Nairobi, au Kenya, où, comme par hasard, est domicilié l’un des onze plaignants contre l’UE.
[6] Les lecteurs intéressés par le sujet peuvent en quelques clics sur Google obtenir une foison d’informations supplémentaires sur cette affaire et bien d’autres du même genre.