Jean-Claude CROIZÉ, membre du bureau de l’ACR, ancien professeur des Ecoles d’architecture (économie et histoire de la construction)
Les personnes qui ont l’audace de résider en Europe doivent désormais s’accoutumer à vivre sous l’empire de toutes sortes d’étiquettes. Bien avant que ceux qui disposent d’un véhicule aient vu leur pare-brise ou leur avant de moto s’orner d’un étiquette Crit-air s’ils tiennent à s’aventurer dans les quartiers urbains désignés comme ZFE (Zones à Faibles Émissions), le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) avait entamé son long cheminement. Constamment dopé de règlement thermique en règlement thermique, il approche aujourd’hui de son zénith, tant en raison de sa profondeur intrusive dans la vie sociale que de la masse de données “conventionnelles et théoriques” que moulinent les logiciels des diagnostiqueurs.
Déjà étiquetés pour nos logements et nos véhicules, devrons-nous demain porter une vignette équitable” ou “zéro carbone” bien en évidence sur nos vêtements de dessus ? Compte tenu des coupables émissions de méthane qu’on prête aux ruminants, cela ne manquerait pas sonner le glas de la laine : adieu les gros lainages d’hiver, adieu tailleurs et costumes de qualité ! Au milieu d’un tel élan de sobriété gothique, pourrait-on seulement espérer quelque indulgence pour les “petites laines” de l’intersaison ?
1) Le DPE, d’une naissance discrète à l’éruption de 2020-2022.
Les autorités de Bruxelles émettent le 16 décembre 2002 une Directive sur la performance énergétique des bâtiments. En fait, cela revient à généraliser une pratique du DPE qui était déjà en vigueur en Allemagne depuis 1997. Bonne élève, la France ne va guère tarder à intégrer ce dispositif dans sa législation : dans la foulée du Plan Climat de 2004, le gouvernement institue le DPE par un décret du 14 septembre 2006.
L’obligation du DPE ne s’impose tout d’abord qu’en cas de vente du logement : une pièce qui vient s’ajouter à la liste déjà longue des “expertises” que le vendeur est censé produire. Mais l’obligation est bientôt étendue par un arrêté du 3 mai 2007, qui en fait un préalable aux locations. Pendant une dizaine d’années, le marché des DPE va ainsi prospérer discrètement, au gré des événements particuliers qui affectent la vie de tel ou tel logement. C’est un processus lent, et certainement beaucoup trop lent aux yeux de ceux qui croient que l’on pourrait “économiser énormément”, que ce soit au niveau des factures, de la dépendance à des importations, ou pour “sauver la planète”.
Au temps où Madame Royal règne sur l’Écologie, et à la faveur de la loi ALUR promue par sa collègue du Logement (2014), on passe à la vitesse supérieure. Toutes les copropriétés sont maintenant astreintes à un “Diagnostic Technique Global” incluant le DPE, ainsi qu’à la mise en place d’un “fonds de travaux” (…puisqu’il va s’imposer “d’investir”). L’objectif est clair : comme le diagnostiqueur conclut le DPE par des propositions “d’amélioration“, il s’agit de rendre celles-ci exécutoires au titre de “travaux embarqués” lors d’un ravalement ou de toute autre intervention rendue souhaitable par l’état de l’immeuble. Encouragé par des “aides” de l’ADEME, de la Région, voire de la Ville (Paris,…) qui iront également aux logements sociaux, ce dispositif donnera pour un temps une belle satisfaction aux fournisseurs d’isolant thermique et de vitrages (en France : Saint-Gobain), ainsi qu’à une partie du monde du bâtiment.
On attend encore la parution d’études ex post qui permettraient de mesurer les bénéfices que les habitants ont réellement tiré de cette campagne de rénovation énergétique, et de vérifier ainsi les promesses “d’économies” dont lesdiagnostiqueurs ne sont pas avares. Mais voici que survient le RE-2022 ! Prévu par la loi ELAN (2018) et annoncé pour 2020, puis repoussé vu les “circonstances” et finalement encadré par une volée de décrets et arrêtés en 2021, ce nouveau règlement devient progressivement applicable dans le courant de 2021-2022. Contrairement au RT-2012 et à ses prédécesseurs, il ne s’agit plus seulement d’un Règlement Thermique (“RT”), mais d’un Règlement Environnemental (“RE”). Dans le contexte, la référence à la prétendue “lutte pour le climat” est transparente et il s’ensuit que, loin de se limiter à la construction neuve, ce règlement-là concernera aussi le patrimoine existant.
Le DPE en est tout chamboulé. Finie, l’époque où l’assujetti pouvait exciper de ses factures pour faire valoir la réalité des consommations ! On sera désormais “scientifique”, rien que “scientifique” et parfaitement “objectif”. Le diagnostiqueur injectera jusqu’à 150 données ou plus dans sa petite machine, et le logiciel 3CL (“calcul des consommations conventionnelles des logements”) évaluera les consommations de chauffage et d’eau chaude en énergie primaire, pénalisant au passage les turbines des centrales électriques au nom de leur rendement limité par les lois de la physique. Pareille procédure suffirait à destituer le diagnostiqué de sa capacité de jugement, mais ce n’est pas tout : rigoureusement informé par “la science”, ce bon logiciel prendra de plus en compte les productions de “gaz à effet de serre” avant de cracher une étiquette qui s’étagera comme précédemment de “A” (très bien) à “G” (l’enfer thermique, doté d’un super-enfer G+ pour “les plus énergivores”).
Avec cet échafaudage abracadabrant d’évaluations “conventionnelles” et de valorisations toutes “théoriques” fondées sur la doxa du CO₂, de l’ozone et autres GES, il n’est pas difficile de deviner qui seront les baudets de la farce. Seules les énergies fournies par les éoliennes, le photovoltaïque et autres “renouvelables” s’en sortiront à peu près indemnes, cependant que seront jetées en enfer des énergies qui, en temps de paix et hors “fiscalité verte“, demeurent abondantes et peu coûteuses. Après quelques mois d’expérimentation, les promoteurs du DPE nouveau constatent par eux-mêmes les effets de leur machinerie :
« La nouvelle méthodologie du DPE […], combinant des critères de consommations énergétiques conventionnelles et d’émissions induites de gaz à effet de serre, conduit à une plus grande part de bâtiments chauffés aux énergies fossiles parmi les passoires énergétiques » (1)
Fort de ce premier résultat, l’ONRE s’engage à vérifier chaque année la cadence des déclassements. Il ne sera pas déçu dans ses attentes car, DPE nouveau exige, l’administration a décidé d’invalider tous les anciens DPE d’ici 2025. Payer un DPE ne suffit plus : il faut repasser régulièrement à la case départ pour acheter la dernière édition.
Mieux encore : le CESE entre à son tour dans la danse par un Avis de novembre 2022 (2). Selon le communiqué de presse , “on” tient à des “rénovations globales (ou performantes)”, allantdes moyens de chauffage aux manteaux thermiques, pour des coûts estimés “en moyenne entre 25 000 et 60 000 euros par logement” (aux prix de 2021 ?). C’est cher, mais c’est présenté comme le seul moyen d’obtenir “une réduction de plus de 50% de la consommation d’énergie” Et “on” n’est pas content, vraiment pas content, car “on” voit bien que les Français n’embrayent pas. En effet, sur les 650 000 dossiers MaPrimeRénov’ traités par l’ADEME en 2021, seuls 0,15% sont dédiés à des “rénovations globales”, alors que la masse des demandes reste de l’ordre de 3000 euros : des “rénovations” on ne peut plus partielles.
Quelle déplorable timidité ! Quelle ignorance crasse des grands objectifs à l’heure où l’ambition serait d’en venir à l’énergie positive, chaque maison et chaque immeuble produisant des électricités intermittentes que l’EDF devrait payer au prix fort et passer en priorité sur le réseau ! La coupable légèreté des populations étant ce qu’elle est, il devient urgent d’y remédier, et donc “d’accélérer”. Pour ce faire, le premier vœu du CESE est “qu’on rende obligatoire pour chaque bâtiment et chaque logement y compris en copropriété, la réalisation dans un délai de 5 ans d’un audit normalisé” : un DPE nouveau qui devra fouiner jusqu’aux “parties communes des copropriétés”. Se projetant dans la “future Stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC)”, le CESE en appelle ensuite à une mission gouvernementale qui serait chargée d’élaborer “un calendrier permettant d’instituer une obligation de rénovation globale de l’ensemble des logements”. Naturellement, cette nouvelle contrainte devra être “socialement, sociétalement et budgétairement soutenable”.
Vu le coût estimé de ces rénovations méritoires, il importera “d’aider” les plus modestes, d’encourager les banques à prêter, etc… Une attention toute particulière est accordée aux copropriétés, et on leur suggère une solution originale : financer l’opération par la vente de droits de surélévation (…une bien curieuse manière de “verdir” les centres denses des grandes agglomérations!). Plus généralement, “on” évoque des “avances de l’État” qui seraient remboursables (avec intérêts?) lors de la première mutation : vente ou succession, à l’image de ce qui se pratique déjà pour des pensions en EHPAD.
En réclamant à cor et à cri la “massification de la rénovation énergétique“, les vœux du CESE éclairent d’une lumière crue le sens qu’il convient de donner à l’irruption du DPE nouveau. Le projet politique consiste à conduire les Français à s’endetter massivement “pour le climat”, c’est à dire au nom d’une théorie du climat rabâchée par des médias aux ordres, mais qui n’est nullement établie, comme le rappellent opportunément S. Koonin et tant de scientifiques. Quel monde ! Et comment les démocraties européennes ont-elles pu verser dans un tel dévoiement ? O tempora o mores…
2) La distribution des « étiquettes 2022 ».
Sitôt le DPE nouveau mis en œuvre dans le flou de la “transition écologique” de 2021-2022, l’Observatoire National de la Rénovation Énergétique (ONRE) s’est employé à en mesurer les effets dans un “document de travail” déjà cité plus haut. C’est une première évaluation de la redistribution des étiquettes A, B, C, D, E, F, G qui pourrait demain commander la “massification” des travaux imposés, et il importe d’examiner sa pertinence, aussi bien dans ses fondements que dans sa portée.
“Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2022″ : le titre même du “document de travail” pose immédiatement question. Alors que l’attribution des “classes” est tributaire de la survenance des DPE, un événement qui reste circonstanciel à ce jour, comment pourrait-on avoir une connaissance exhaustive de cette qualification administrative pour les 36,2 millions de logements que l’INSEE dénombre dans l’hexagone à l’occasion de sa plus récente publication des recensements, soit au 1er janvier 2021(3) ? La clé de l’énigme est donnée dès le résumé qui figure en tête du “document” : la source primaire réside dans l’observation de 310 000 DPE collectés par l’ADEME entre décembre 2021 et mars 2022, soit un échantillon de 0,9% du parc. Pour exploiter et redresser cet échantillon à la stratification incertaine, on a procédé à des croisements avec des données fiscales et des données du recensement (les volumes, leur âge, leur mode de chauffage). On est donc en présence d’une “modélisation” dont les grandes lignes sont exposées dans une annexe. Les classes de DPE annoncées pour l’ensemble du parc étant dès lors le fruit d’une fabrication, les statisticiens qui ont effectué les calculs font preuve d’une prudence grammaticale qui les honore lorsqu’ils présentent leurs résultats. Toutes les évaluations sont en effet données au conditionnel : on aurait ceci, on aurait cela, etc…
Mais qu’importent ces nuances de langage, qui rappellent cruellement la distance entre des mesures objectives et des évaluations intéressées ! Ce que retiendront les lecteurs, les médias et les chefs des administrations, en attendant les forces de police, c’est la force d’expression des chiffres et des graphiques, à commencer par celui, central, qu’on reproduit en annexe. Pour une bonne lecture, il faut comprendre que les proportions annoncées concernent non pas la répartition au sein d’une classe de DPE, mais le poids d’une classe de DPE au sein d’un statut d’occupation. Tout a été fait pour gonfler les “grands nombres”, jusqu’à une estimation du parc de logements au 1er janvier 2022 qui en porte l’effectif à 36,7 millions, soit “près de 37 millions”.
Lorsqu’on entre dans le détail des “classes”, un premier point saillant est la prégnance des logements présentés comme des “passoires thermiques” parmi les logements vacants et les résidences secondaires ou occasionnelles : autour de 30%, soit près du double de ce qui est affiché pour les résidences principales. Mais dépassons l’horizon de “diagnostics” fondés sur seules caractéristiques du bâti, et considérons un instant les conditions d’utilisation des logements en cause. Dans la masse indistincte des résidences secondaires ou occasionnelles (notamment les logements fournis par les employeurs à des saisonniers du tourisme ou des récoltes agricoles), quelle proportion est occupée uniquement à la belle saison, sans réel besoin de chauffage ? Avec quelle fréquence aura-t-on pour l’hiver un simple “hors-gel” qui mettra les volumes utiles tout au plus à 6 ou 7°C, et consommera fort peu ? Enfin, dans le cas d’occupations hivernales, combien de semaines donneront effectivement lieu à un chauffage à plein régime ? Quant à la “vacance” des logements, elle correspond soit à une situation d’attente (succession, travaux…), soit à un processus d’abandon ouvrant sur une déréliction qui conduit à des ruines : dans cette dernière configuration, où réside la pertinence des soucis thermiques, des GES, etc. ?
Les “estimations” classent quelque 2 millions de résidences secondaires, occasionnelles ou vacantes dans l’enfer des étiquettes F ou G. Pour faire bon poids, il convient d’y ajouter près de 3,5 autres millions qui sont classées en D ou E, et qui sont tout autant dans le viseur des pères fouettards du CO₂, juste pour un peu plus tard. Même si on imposait à grand frais la “rénovation thermique globale” de tout ce patrimoine, un regard sur ses conditions d’usage suffit à convaincre que les “économies d’énergie” qu’on pourrait réellement en espérer seraient beaucoup plus minces que ce que promettent les “diagnostics”. Cinq fois plus minces ? Dix fois plus minces ? Et dire qu’il faudrait attendre au moins vingt ans de contraintes et de marche forcée pour être enfin en mesure de chiffrer la désastreuse inefficacité de cet énorme investissement typiquement hors sol ! À vrai dire, un nouveau mode de taxation de la propriété plutôt qu’un “investissement”.
Reste la question économique, sociétale, etc., qui taraude les consciences et focalise toutes les attentions : celle des 5,2 millions de résidences principales (17% du total) que les “estimations” classent en F ou G, les coiffant ainsi du bonnet d’âne des “passoires thermiques”. C’est réputé socialement “indécent”, et c’est là qu’il est le plus urgent d’obtenir des “rénovations thermiques globales”. À défaut, il “faudrait” » se résoudre à exclure ces logements du marché locatif, voire les interdire à la vente, en attendant de soumettre au même crible ceux qui stationnent dans le purgatoire des classes D et E.
Dans un beau mouvement de menton, le gouvernement annonce qu’il interdira dès 2023 la location des quelque 50 000 logements jugés “les plus énergivores”. Notons en passant que l’actualité de ce début de 2023 conduit à s’interroger sur la signification de la “décence” au sens gouvernemental. “En même temps” que la branche du pouvoir dédiée à l’écologie s’acharne à traquer le “thermiquement indécent“, la branche dédiée au logement a préparé de son côté un décret qui autoriserait la location de “logements” ayant seulement 1,80 mètre sous plafond. Face à la bruyante indignation de ceux qui connaissent le terrain, à commencer par la Fondation Abbé Pierre, ce joli projet de décret a été soudainement retiré pour être “réétudié”( 4).
Laissons pour une autre fois les amères réflexions sur l’élasticité de la “décence” au sens gouvernemental, et examinons la matière de ces 5,2 millions de logements promis à une très prochaine Révolution Thermique. Il importe d’emblée de mettre à part les constructions postérieures à 1980, qui représentent les quatre dixièmes des résidences principales, et qui ont été réalisées sous l’empire de règlements thermiques continuellement durcis. Les logements vilipendés comme “passoires” sont rares dans cette tranche d’âge (moins de 4%). La masse recevrait des étiquettes C ou D (plus de 80%) : en fait, des logements qui ne sont pas si “mauvais”, et pour lesquels il serait vain d’espérer que des interventions, même les mieux conçues, apportent “50% d’économie d’énergie”. Peut-être 20% ? Ou 10% ? Encore 12 millions de logements qu’on voit s’éloigner des grandioses objectifs proclamés par les slogans de la Révolution Thermique…
L’attention se porte enfin sur les logements construits avant 1980, qui constituent environ 60% du parc de résidences principales. Ce sous-ensemble se répartit sensiblement par moitiés entre les constructions postérieures à 1949 (le “moderne”) et celles d’avant 1949 (“l’ancien”). Dans le “moderne”, sans doute pourra-t-on imaginer un luxe de prescriptions lorsqu’on sera en présence d’immeubles “barres” ou “ponctuels” en béton peint installés au milieu d’espaces verts ou de parkings de surface. Du moins s’ils n’ont pas déjà fait l’objet d’interventions lors des campagnes de rénovation répétées depuis Banlieue 89, notamment en faveur des ensembles sociaux. Mais la marge d’initiative sera bridée lorsqu’on tombera sur des immeubles alignés sur rue, ou sur des façades de pierre ou de brique typiques de productions régionales, encore nombreuses jusque dans les années 1960, tant en maison unifamiliale qu’en collectif, et dans toutes les catégories sociales.
Les difficultés qu’on voit poindre lorsqu’on revient vers les constructions des années 1950 et 1960 ne font qu’annoncer celles que rencontreront les prescripteurs de la Révolution Thermique quand ils seront confrontés à “l’ancien” d’avant 1949. Devra-t-on recouvrir d’un manteau thermique uniforme les volutes des architectures nobles ? Et que fera-t-on des balcons, des sculptures, des modénatures décoratives, etc. ? Faudra-t-il supprimer ces fauteurs de ponts thermiques ? On finira sans doute par se résoudre à faire exception pour les architectures d’exception mais, à vrai dire, les problèmes se posent quasiment dans les mêmes termes quand on se penche sur les petits immeubles de deux à quatre étages qui forment la substance la plus courante des centres villes.
Même dans le cas de simples maçonneries enduites, qui donneraient apparemment plus de liberté d’intervention que des structures de pierre ou de brique, il sera impossible de doubler par l’extérieur la façade sur rue, qui vient au ras de l’espace public. Impossible aussi de doubler efficacement les parois latérales, qui sont mitoyennes. Restent la façade arrière, les fenêtres et la toiture …en admettant que personne ne s’en soit préoccupé jusqu’à maintenant, ce qui est certes un préjugé commode, mais légèrement méprisant à l’égard de nos concitoyens. Face à pareille situation, la petite machine de diagnostic pourra cracher toutes les étiquettes infamantes pour lesquelles elle a été programmée, un prescripteur de bonne foi n’en sera pas moins réduit à suggérer des “rénovations partielles”, cette misère que les autorités dénoncent à cor et à cri depuis leurs bureaux haut perchés !
Ce qui vaut pour les grandes villes vaut aussi pour les petites. Sortant des centres, on trouvera aussitôt des alignements de “petites maisons” qui en ont formé le prolongement jusqu’aux années 1930, obéissant aux mêmes règles d’urbanisme et d’économie de la construction, et ramenant là encore à peu de choses les prescriptions susceptibles d’être réellement utiles au prétendu malade. Tout juste le diagnostiqueur pourra-t-il ajouter à ses recettes la dernière merveille salvatrice dont des publicités récurrentes nous rebattent les oreilles : la pompe à chaleur, qu’il pourra également mettre en avant pour les fermes ou les “pavillons”. Voyez sur le net cet encart insistant des Nouvelles d’Orange, qui promet “d’économiser jusqu’à 70%” ! Plus prudent, un diagnostiqueur mis en scène par CNews pronostiquait une économie de 30% sur le fioul nécessaire à la maison qu’il examinait. Cela faisait 500 euros par an. Il faudrait alors 30 ans pour amortir le coût initial de la pompe, et qui pourrait jurer que la durée de vie de ce réfrigérateur inversé atteindrait 30 ans ? À ce moment du dialogue, le diagnostiqueur-prescripteur se muait en marchand de subventions, ce qui est au fond son vrai métier. Il y aurait les “aides” distribuées par l’ADEME (…et généreusement alimentées par les “CEE” prélevés sur les carburants). Vu les revenus de l’impétrant, cela couvrirait 80% du coût de la “pompe-à-chaleur-dernière-génération”, et cela rendrait l’investissement franchement gagnant. À condition, naturellement, que “l’investisseur” fasse l’avance, puis que lui-même ou l’artisan-installateur se débrouillent du labyrinthe de clics qui donne accès au pactole.
3) Qu’en penser en ce début de 2023 ?
Quand la Dame Royal régnait sur l’Écologie, l’Environnement, la Mer et autres matières, elle se déclarait “contre l’écologie punitive” avec une touchante sincérité. Moins de dix ans plus tard on peut mesurer le chemin parcouru sur la voie de contraintes administratives multiples et toujours plus pressantes. Un chemin qui, en fait, était inscrit dans les gênes des autorités de Bruxelles dès 2002 à travers leur référence appuyée au “CO₂” et au “protocole de Kyoto, bref, à l’alarmisme climatique. Et c’est ce qui conduit en 2022 le gouvernement de Paris à substituer un règlement “environnemental” aux traditionnels règlements thermiques.
Inspirée par le Ciel, la “vision 2022” du CESE débouchant sur une collection de diktats et d’exclusions peut surprendre la bonne foi de ceux qui pensaient que la thermique était seulement une affaire de calories, de kilowattheures et de factures. La vérité est que ce projet “vert”, abstrait et totalitaire vient donner toute leur cohérence à des démarches engagées par les “autorités” depuis plusieurs décennies, tendant à placer la thermique de l’habitat au cœur d’une “lutte pour la climat” à tous points de vue illusoire.
Un projet “clivant” (un de plus…), mais quelles perspectives ! En cavalant à bride abattue dans la folie des grands nombres, l’imagination du CESE et de la “transition écologique” suggère d’abord qu’on générerait 35 à 40 millions de DPE nouveaux et “d’expertises diverses”. Suivraient bientôt, pour remettre à la page tout le bâti d’avant 1980 et une part du plus récent, 25 à 30 millions de “rénovations globales (et performantes) : pensez, à 50 000 euros pièce, cela représenterait un volume d’activité avoisinant la moitié du PIB annuel de la France ! Les administrations qui nous gouvernent pourraient alors se targuer d’avoir étendu l’emprise de “l’économie des services” (cette glorieuse spécialité des pays riches et “intelligents“), tout en assurant au monde du bâtiment une issue de secours à un moment où la construction neuve est en repli.
Contrepartie de cette “croissance verte” fondée sur la “massification” de la Révolution Thermique : un endettement massif des Français, complété par une accentuation des prélèvements (CEE…) et, à l’occasion, un supplément d’endettement de l’État pour subvenir aux “aides”. Une tradition de “l’ancien monde” était de voir les familles s’endetter pour accéder à la propriété. Il leur faudrait désormais poursuivre l’effort, et creuser leur dette pour obéir à des règlements continuellement durcis au nom du “climat”. On doit remarquer qu’en se saisissant de l’ensemble de l’immobilier (et non plus seulement de la construction neuve, qu’elle contribue déjà à étouffer), la dictature verte procède de fait par des lois rétroactives : une redoutable innovation du “nouveau monde” qui piétine les fondements du droit. Les résultats du forçage et des “investissements massifs” s’avéreront bientôt nuls vis-à-vis du climat, et bien inférieurs aux ambitions proclamées en matière de kilowattheures ? Qu’importe ! Dans une logique de la contrainte, des échecs patents et répétés ne feront que donner un motif de plus pour “accélérer”. Leurs rêves, nos cauchemars…
On peut toutefois augurer, ou du moins espérer, que les réalités du terrain ─ terrain bâti et terrain humain ─ feront obstacle à ces projets aussi mirifiques que désastreux. Le moindre regard sur la nature du patrimoine visé par la prétendue Révolution Thermique donne en effet raison aux Français en ce qui concerne les investissements à consentir. Dans la très grande majorité des cas, les interventions opportunes et susceptibles d’apporter des bénéfices un peu consistants sont de l’ordre des “rénovations partielles” : du gros entretien, qui peut d’ailleurs s’étaler dans le temps, au gré des usages et des innovations techniques. N’en déplaise aux “autorités” qui campent sur leurs doxas, c’est bien ainsi que, avec bon sens et en connaissance du bâti, a réagi un peuple face aux “crises de l’énergie” qui se répètent depuis une cinquantaine d’années avec une régularité d’horloge.
Et il l’a fait avec ou sans subventions. À vrai dire, seules les grandes organisations, particulièrement celles qui gèrent le logement social, ont vu leurs décisions de “rénovation” substantiellement suspendues aux “aides”. Leur attention aux nouvelles normes et leurs “progrès thermiques” leur valent d’ailleurs un coup de chapeau de l’ONRE(5). Mais, là encore, cette facilité à obéir aux directives pourvu qu’elles soient accompagnées de soutiens financiers paraît relever d’un caractère génétique, manifeste dès la conception du patrimoine “social” et tout à l’opposé de l’esprit d’indépendance des “petits propriétaires”. Qu’on ne se méprenne pas : il n’est pas question ici de mettre en cause le rôle du logement social, mais seulement de rappeler ses caractères natifs. En soulignant de surcroît que depuis la relance de l’effort de construction dans les années cinquante la puissance publique peine à soutenir ce modeste sixième du parc de résidences principales, au point qu’elle n’a cessé de lancer des appels pressants à “l’initiative privée” (promoteurs, accédants, investisseurs pour louer…). Dès lors, est-il justifié d’imposer à tous le genre de modalités qui guide les acteurs du logement social ?
Il est enfin un dernier aspect qui tend à donner raison à la prudence populaire : la variabilité des étiquettes distribuées par les DPE “scientifiques”, qui traduit la prégnance d’une bonne dose de subjectivité jusque dans l’exécution même des “mesures” concernant l’objet du délit. L’association UFC-Que Choisir s’est livrée à un test sur 7 maisons dont chacune a été soumise à 4 ou 5 diagnostiqueurs (6). Résultat : seule une maison s’est trouvée étiquetée de la même manière ; pour les six autres, les étiquettes variaient d’un diagnostiqueur à l’autre, avec parfois des écarts saisissants (de la classe B à la classe E) et des prescriptions “farfelues”. Naturellement, la toute jeune corporation des diagnostiqueurs s’est aussitôt dressée sur ses ergots, réclamant notamment qu’on lui remette tous les documents de ce diagnostic des diagnostics afin qu’elle puisse en juger par elle-même.
Laissant cette corporation promue par l’État à ses soucis de crédibilité, on recommandera plutôt à chacun d’observer autour de soi. À la faveur de la foison des DPE nouveaux, vous finirez par avoir connaissance de diagnostics portant sur des maisons ou des immeubles comparables, et l’expérience permet de gager que vous aurez toutes chances de valider l’observation de la l’association de consommateurs. La variabilité que vous constaterez alors vous rappellera peut-être celle d’un autre genre d’évaluation administrative : les aléas bien connus de la “valeur locative” qui sert de base au calcul des impôts locaux en France. Mais il faut convenir que cette évaluation-là n’a jamais prétendu être “scientifique”.
Sources :
(1) “Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2022″, ONRE / Ministère de la Transition Écologique, “Document de travail”, juillet 2022, p. 4
(2) Pour des bâtiments plus durables grâce à une ambitieuse politique de rénovation, Avis du CESE publié le 22 novembre 2022. Le communiqué de presse est reproduit par Orange/Media Services (même date).
(3) Arnold, C., INSEE Focus n°254, 9 novembre 2021; www.insee.fr:fr/statistiques/5761272.
(4) Actualités Orange du 13 février 2023, d’après Le Parisien du même jour.
(5) ONRE, “Document de travail” déjà cité, p. 15.
(6) “Diagnostics de performance énergétique : du grand n’importe quoi, encore et toujours”, www.quechoisir.org, 22 septembre 2022.
ANNEXE
Répartition des étiquettes de DPE (estimation ONRE)
“Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2022″
“Document de travail” de l’Observatoire National de la Rénovation Énergétique, juillet 2022, p.10
Comment élargir notre champ de vision au sujet du DPE …par un article structuré et argumenté 😉
Merci pour ce travail
Si vous demandez un DPE simple à un diagnostiqueur, vous aurez un résultat sans doute assez aléatoire, l’article le précise bien, et qui ne vous conviendra pas. Le mieux, c’est de lui demander directement un DPE A ou B; ce sera sans doute un peu plus cher mais le diagnostiqueur, sensible au cri du billet de 50 et après avoir exprimer pour la forme ses pudeurs de jeune fille, ne sera pas difficile à convaincre et vous aurez un document utile pour votre transaction. En plus, vous aurez contribué à l’amélioration statistique de l’habitat, ce qui est, somme toute, vertueux.
Il y a toujours moyen d’être un bon citoyen.
✔️ Ben dis donc…. Y’a pas deux poids et deux mesures avec vous 😉 trop généraliste à mon goût …
Travailler bien est une chose mais travailler bien ensemble est encore plus difficile. C’est tout le défi de notre profession depuis tant d’années .
oui …. Il y a ceux qui travaillent extrêmement dur pour que notre métier s’améliore au quotidien et il y a ceux qui sont simplement là et ne s’efforcent jamais à s’améliorer.
Et oui depuis dans la nuit des temps…. il suffit d’une poignée de mauvais pour nuire à « une profession quelle qu’elle soit » cette histoire n’est pas nouvelle !!!
Rien de neuf de ce côté-là 😉
La guerre contre les propriétaires est déclarée, Ce racket punitif servira à payer le “quoi qu’il en coûte”.
Le DPE est une arnaque, plus la surface est petite plus il est mauvais ! L’Energie se multiplie dans les petits volumes, les scientifiques le savent-ils ?….
Non c’est de la géométrie, une maison de 4 x4 aura toujours proportionnellement à sa surface un périmètre extérieur plus élevé qu’une maison de 10×10.
Sauf erreur due à une lecture trop rapide de ma part, il y a un point important dont vous ne parlez pas.
Les kWh sont “eEp” c’est-à-dire “équivalent Énergie primaire”.
Ce ne sont pas les kWh finaux.
Ceci a été imposé par les écologistes il y a longtemps pour pénaliser l’électricité nucléaire, produite dans des centrales où il y a beaucoup de chaleur perdue.
Dans la nouvelle RT, on multiplie par 2,3 la consommation d’électricité.
Comme c’est évidemment un biais énorme, le logiciel corrige de toutes sortes de façons.
Par exemple, il diminue le poste climatisation au motif que l’on ouvre moins les fenêtres…
Les écologistes devraient appliquer le même mode de calcul aux voitures électriques et aux pompes à chaleur…
Oui, mais ça ne les arrangerait pas…
Ce n’est pas un biais. Pour avoir de l’électricité à votre domicile en permanence, il faut en amont en produire beaucoup plus, sinon c’est le black-out assuré.
Pour compléter, même si cela provient d’un site marchand, c’est assez intéressant. https://conseils.xpair.com/actualite_experts/nouveau-dpe-chronique-desastre-annonce.htm
En fait, le coefficient majorateur de 2;3 qui s’applique au seul “vecteur” électricité, n’a pour seul objectif ,que de pénaliser artificiellement le chauffage électrique, afin de satisfaire un certain nombre de “chevaliers blancs” idéologiquement et viscéralement opposés à l’électricité en général, et à l’électricité nucléaire en particulier.
Il aura pour effet (entre autres) de créer artificiellement un certain nombre de “passoires thermiques” notamment parmi les nombreux logements construits entre 60 et 2000, et acquis par de “français moyens”, qui se verront ainsi privés de leur bien (devenu non vendable et non louable).
Ces logements ne sont pourtant certainement pas “prioritaires” pour une telle stigmatisation, et sont, en fait, tout… sauf justement des “passoires thermiques”
Et, personnellement, ,je crains que certains de ces petits propriétaires, ainsi spoliés, retrouvent, par hasard, dans un placard, un vieux “gilet jaune” qui ne demande qu’à reprendre du service !…
Quelle connerie !