Par MD
« On nous propose des images de vie, lesquelles, ni le proposant,
ni les auditeurs, n’ont aucune espérance de suivre,
ni qui plus est, envie » (Montaigne, Essais).
Introduction.
La COP26, qui devait se tenir à Glasgow en 2020 et avait été reportée pour les raisons que l’on sait, est finalement censée avoir lieu en novembre 2021. Cette 26ème édition est présentée comme une étape décisive (une de plus) dans la lutte contre le « changement climatique ».
On se rappelle que la COP21 de Paris avait fixé un objectif de limitation du réchauffement en 2100 à 1,5°C par rapport à l’époque préindustrielle. La doctrine officielle stipule que, pour obtenir ce résultat, il faut et il suffit que les émissions mondiales de CO2 soient réduites à zéro en 2050. On ne discutera pas ici les « modèles » qui ont abouti à cette conclusion.
Alok Sharma, le président britannique de la COP26, a donc commandé à l’Agence internationale de l’énergie (IEA, émanation de l’OCDE) un rapport « démontrant » que cette perspective est réalisable et expliquant comment y parvenir. D’où le titre du rapport : « Net Zero by 2050 » publié en mai 2021. Les conclusions étant imposées, l’IEA s’est pliée à l’exercice. Il en résulte un rapport de plus de 200 pages amplement documenté et illustré, présenté comme une « feuille de route » à destination des congressistes de Glasgow. Ce rapport comporte de nombreux tableaux et graphiques dont l’IEA fournit les chiffres dans des fichiers annexes. Nous avons utilisé ces chiffres pour établir les graphiques ci-après (les références sont celles des figures du rapport).
Le présent article donne un aperçu très sommaire des orientations principales préconisées par l’IEA.
Les émissions de CO2.
L’analyse de l’IEA est globale et s’étend au monde entier. L’introduction annonce la couleur : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « transformation complète de la façon dont nous produisons, transportons et consommons l’énergie ». L’IEA distingue ainsi trois scénarios d’évolution des émissions de CO2 à partir de 2021 :
–Stated policies scenario (STEPS) : les Etats poursuivent leurs politiques énergétiques en vigueur.
–Announced pledge case (APC) : les Etats respectent leurs engagements individuels de retour à zéro à des horizons différenciés.
–Net Zero Emissions (NZE) : le scénario commandé pour la COP26 (censé correspondre en 2100 à une augmentation de température de 1,5°C par rapport à l’époque pré-industrielle).
Le graphique ci-dessous illustre, en prolongement des données historiques de 2010 à 2020, les trois trajectoires des scénarios 2021 à 2050 définis précédemment.
La chute inédite des émissions en 2020 (-7% par rapport à 2019) est due aux restrictions de toutes natures imputées au covid19. Elle a été saluée par les augures officiels comme préfigurant une évolution souhaitable. Mais sur les cinq premiers mois de 2021 on constate un rebond en sens inverse du même ordre de grandeur (+8%). La divine surprise aurait-elle été de courte durée ?
L’approvisionnement mondial en énergie.
Pour aboutir à la trajectoire NZE des émissions de CO2 l’IEA est conduite à faire des hypothèses sur l’évolution des paramètres démographiques, économiques et énergétiques mondiaux : population, PIB, contenu du PIB en énergie, contenu de l’énergie en CO2 (paramètres dits « de Kaya »). On ne détaillera pas ici ces hypothèses. L’IEA aboutit ainsi à la trajectoire suivante d’approvisionnement mondial en énergie (energy supply).
Après un léger rebond en 2021-2022, l’approvisionnement en énergie est censé décroître entre 2022 et 2030, puis se stabiliser. Pour que les émissions de CO2 continuent à diminuer, il faut donc que le contenu de l’énergie en CO2 décroisse fortement après 2030. Ce qui implique des changements spectaculaires dans la répartition entre les types d’approvisionnement énergétique.
On voit que les énergies fossiles et surtout le charbon sont progressivement supplantées par les énergies dites « renouvelables » : solaire, éolien et bio-énergies (solides, liquides et gazeuses, géothermie et diverses autres sources).
La production d’électricité.
Dans le scénario NZE, l’électricité prend une part de plus en plus importante dans le mix énergétique.
La production électrique (electricity generation) passe de 27 000 TWh en 2020 à 37 000 TWh en 2030, puis 70 000 TWh en 2050.
La répartition entre les différents types de production électrique est profondément modifiée. Les énergies intermittentes (éolien et solaire) passent de 8% de la production électrique en 2020 à 40% en 2030 et 70% en 2050. Au contraire, les énergies fossiles sont promises à la disparition : les centrales traditionnelles (« unabated ») sont progressivement supprimées, seules subsistent quelques centrales équipées de neutralisation de CO2 (CCUS, carbon capture, utilisation & storage). On notera que le nucléaire et l’hydro-électricité ne sont pas particulièrement favorisés dans le scénario.
Graphique de la répartition exprimée cette fois en TWh.
Les capacités installées des énergies intermittentes (« non-dispatchable ») doivent par conséquent croître dans de fortes proportions. L’IEA en donne une estimation, mais en supposant des facteurs de charge (« capacity factor ») particulièrement optimistes (annexe B-1 du rapport). Ces capacités installées sont donc probablement sous-estimées.
Enfin, pour assurer la continuité de la fourniture électrique, il est nécessaire de disposer de sources de secours (« back up ») disponibles instantanément en cas de défaut de vent ou de soleil. Il s’agit, soit d’énergies de substitution : énergies fossiles (de préférence avec CCUS), renouvelables non intermittentes (« dispatchable renewable »), soit de stockage (hydraulique et surtout batteries fixes).
Quel programme pour la décennie 2021-2030 ?
Toutes ces transformations sont supposées être engagées immédiatement, avec comme premier horizon l’année 2030. La décennie 2021-2030 est donc considérée comme décisive et donnant l’élan aux actions ultérieures. Elle nécessite le déploiement massif de technologies d’ores et déjà disponibles sur le marché. Ce ne sera qu’après 2030 que l’on pourra envisager le recours à des technologies encore à l’état de prototypes. Voici un échantillon des dispositions urgentes préconisées par l’IEA.
2021 : aucune nouvelle centrale à charbon traditionnelle (unabated coal plants)
2021 : aucune mise en exploitation de nouveaux gisements de pétrole ou de gaz
2021 : aucune mise en exploitation ni extension de nouvelles mines de charbon
2025 : interdiction des ventes de chaudières à combustibles fossiles
2030 : accès universel à l’électricité
2030 : tous les immeubles neufs sont zéro-carbone
2030 : réduction des températures pour le chauffage et l’eau chaude
2030 : fermeture des centrales à charbon classique dans les pays avancés
2030 : plus de 60% des voitures vendues sont électriques (20% du parc en 2030)
2030 : interdiction des voitures thermiques dans les grandes villes
2030 : installation de 1 020 GW par an de capacités solaire et éolienne
Etc. etc.
A ces objectifs chiffrés s’ajoutent une quantité de dispositions comportementales contraignantes (behavioural changes) concernant les consignes de températures pour le chauffage et la climatisation, les modes de consommation, l’habitat, les modes et les nombres de déplacements, etc. Sans oublier les restrictions et interdictions diverses applicables aux activités industrielles, commerciales et aux transports.
Après l’échéance de 2030, les perspectives ouvertes par l’IEA deviennent de plus en plus hasardeuses du fait du recours accru à des technologies encore balbutiantes (comme l’hydrogène ou l’ammoniac).
Quel accueil les congressistes de la COP26 feront-ils des propositions de l’IEA ?
Les éléments d’information qui précédent donnent une idée des grandes options qui sous-tendent le copieux et prolixe rapport de l’IEA. Accordons-lui au moins le mérite d’avoir examiné les différents aspects de la révolution culturelle nécessitée par le NetZéro, et de n’avoir pas dissimulé les difficultés et obstacles à surmonter ainsi que leurs implications financières. Ces impedimenta sont tels qu’on pourrait même en déduire que les propositions de l’IEA sont totalement irréalistes voire provocatrices.
D’ores et déjà, les pronostics de l’IEA pour les prochaines années apparaissent périmés, notamment du fait de la vigoureuse reprise attendue après l’« annus horribilis » 2020. Quelques exemples. L’Inde vient de mettre en adjudication l’exploitation de 67 mines de charbon. Les pays du sud-est asiatique ont fait connaître leur « great reset » consistant notamment dans la construction de 600 centrales à charbon. De nouveaux gisements de gaz et de pétrole vont entrer en production dans diverses régions du monde. En outre, une certaine pénurie et l’augmentation des prix des métaux et terres rares (dits « critiques ») peut ralentir le développement des filières éoliennes, solaires, des batteries de stockage et des véhicules électriques.
Quel sort va être réservé aux propositions de l’IEA lors de la COP26 ? Les congressistes feront-ils l’effort de les analyser et de les critiquer ? Les propositions seront-elles présentées comme une intéressante expérience de pensée ou comme la feuille de route ne varietur à adopter par acclamations ? Nous verrons bien. Il est vrai que les instances climatiques ont le secret des motions unanimes savamment enrobées et riches en restrictions mentales.
PS: Pour être complet, signalons que l’IEA a publié en mai 2021 un rapport sur l’utilisation des minéraux critiques dans les énergies nouvelles (« clean energies »). L’IEA y analyse les nombreux problèmes que pose l’approvisionnement de ces matériaux (répartition géographique, faible concentration des minéraux dans les gisements etc.).
Sans commentaire…
Inquiétant quand on connaît le zèle imbécile qui anime nos dirigeants.