Bulletin d’enneigement

par MD

Un article initialement publié sur le site, Mythes, Mancies & Mathématiques

« Hiver : toujours exceptionnel ; voir : été » (Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues)
 « Snowfalls are just a thing of the past » (The Independent, 20 mars 2000) [1]

1/ Introduction.

Chaque fois qu’est observée quelque part dans le monde une importante chute de neige, ou une avalanche spectaculaire, ou qu’au contraire une station à la mode se voit contrainte de différer l’ouverture de ses pistes, revient la question récurrente : le « changement climatique » est-il en train de bouleverser le régime des précipitations neigeuses ? L’or blanc est-il gravement menacé ?

Une amnésie généralisée dans ce domaine conduit à considérer tout phénomène météorologique s’écartant de la « normale » (que personne n’a évidemment jamais observée) comme le signe que quelque chose d’inédit, grave et inquiétant est en train de se produire. Et bien entendu, notre comportement collectif coupable est une nouvelle fois incriminé.

Pourtant, tous les amateurs de sports d’hiver ont certainement connu, tantôt la paire de skis esquintée sur les cailloux, tantôt au contraire l’accès obligé au chalet par le balcon du premier étage : mais de tels contrastes d’une année à l’autre sont aussitôt oubliés.

On sait que la couverture neigeuse joue un rôle important au niveau local à l’égard du cycle de l’eau et de ses divers aspects (alimentaire, sanitaire, préventif, énergétique, territorial) ainsi qu’au point de vue touristique et sportif. Plus généralement, la neige influe aussi sur le climat terrestre, notamment en raison de son pouvoir de réflexion de la lumière solaire (albedo). La mesure de l’évolution des surfaces enneigées est donc de première importance.

2/ Origine des données.

L’université américaine Rutgers (New Jersey) s’est dotée à cet effet d’un département spécialisé, le « Global Snow Lab » (GSL), qui depuis plus de cinquante ans rassemble et synthétise des données quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles et les met gratuitement à la disposition du public sous forme de cartes, graphiques et séries chronologiques. On peut aisément consulter son site spécialisé : https://climate.rutgers.edu/snowcover/index.php et télécharger les données.

Le moyen d’investigation mis en œuvre est la télédétection (remote sensing) à partir de satellites de la NASA (Northern hemisphere snow and ice climate data record ou NSIDC [2]. Les techniques utilisées sont notamment décrites et discutées dans un article très documenté de la revue « International Journal of Remote Sensing » (juillet 2012) [3] à laquelle chacun pourra se reporter. Le territoire est quadrillé par projection stéréographique polaire [4], un hémisphère étant représenté par une surface plane circulaire.

Les données analysées ci-après sont les statistiques mensuelles extraites du site de Rutgers.

3/ Limites géographiques.

Le GSL s’intéresse à l’hémisphère nord, le seul vraiment intéressant du point de vue de l’enneigement. En effet, les terres émergées de l’hémisphère sud, hormis le continent antarctique, sont pour l’essentiel situées dans la zone intertropicale, ne comportent que peu de secteurs de hautes altitudes et ne sont donc que rarement enneigées.

Le planisphère ci-dessous illustre le contraste entre les deux hémisphères.

planisphere

Pour fixer les idées, voici comment se répartit la surface terrestre (millions de km2).

terres émergées

océans

total

Hémisphère nord

98

156

255

dont Groenland

2,15

Hémisphère sud

47

208

255

dont continent antarctique

14

Globe

145

355

510

Le Groenland mis à part, Rutgers-GSL distingue dans l’hémisphère nord deux grandes régions : l’« Eurasie » qui de fait s’étend aux deux tiers du continent africain, et l’« Amérique du nord », qui comprend l’Amérique latine jusqu’à la Colombie. Les extensions méridionales de ces deux régions sont majoritairement intertropicales et très peu concernées par les phénomènes d’enneigement, ce qui explique les dénominations choisies.

4/ Variations saisonnières.

Le graphique ci-dessous indique comment évolue l’enneigement selon les mois de l’année. La référence est la période trentenaire 1981-2010, classique en météorologie.

On voit que le Groenland est presque totalement enneigé toute l’année, sauf une légère diminution en juillet et août. Dans la suite, on se limitera donc au cas de l’Eurasie et de l’Amérique du nord.

Le cycle saisonnier est très marqué : si l’on exclut le Groenland, on voit qu’au mois de janvier, 45 millions de km2 de terres émergées sont enneigées soit près de la moitié des continents, alors qu’au mois de juillet on ne compte plus que 2 millions de km2, surface qui correspond à l’étage nival, combinaison de latitudes et d’altitudes (neiges dites « éternelles »).

Dans la suite, on considèrera l’hiver météorologique, qui rattache le mois de décembre « n-1 » à l’année « n ». Cette convention est courante en météorologie : elle permet de regrouper la période décembre-février, représentative de la période hivernale. De la même façon, l’année météorologique « n » incorpore le mois de décembre « n-1 ».

5/ Evolution.

Les mesures satellitaires permettent de disposer de relevés hebdomadaires et mensuels des surfaces enneigées sur une période d’une cinquantaine d’années. Cependant les séries ne sont complètes que depuis 1972 en raison de lacunes aux étés de 1968, 1969 et 1971.

Les quelques graphiques qui suivent retracent l’évolution des couvertures neigeuses pour l’Eurasie et l’Amérique du nord pendant la période 1972-2017, soit 46 années d’observations, durée significative au regard de la climatologie. Les échelles des ordonnées ont été choisies de façon à couvrir l’étendue des valeurs observées : elles diffèrent donc selon les graphiques.

Tous les graphiques ont en commun de présenter des allures en dent de scie qui ne facilitent pas l’interprétation [5]. Ils concernent pourtant des surfaces immenses qui agrègent une multitude de situations locales. A plus forte raison, il n’est pas surprenant qu’on observe localement des situations très contrastés d’une année à l’autre.

5.1 Année moyenne.

La moyenne annuelle présente l’intérêt d’effacer les variations saisonnières.

enneigement par année

Après une diminution pendant les années 1970, les surfaces enneigées annuelles moyennes se sont stabilisées en tendance depuis une quarantaine d’années. Assez curieusement, c’est pendant les années 1970 qu’on disait redouter un nouvel âge glaciaire.

5.2 Période hivernale (mois de décembre à février).

enneigement hiver Eurasie

La tendance de long terme est à une augmentation, bien apparente malgré une dispersion interannuelle considérable. Rappelons que l’hiver météorologique de l’année 2017 va de décembre 2016 à février 2017, et ne prend donc pas en compte le mois de décembre 2017, qui a connu outre Atlantique les épisodes neigeux « exceptionnels » (sic) que l’on sait.

5.3 Période d’été. Les quatre mois d’été correspondent à l’étiage de l’enneigement annuel. Plus particulièrement, l’enneigement des mois de juillet et août correspond sensiblement aux neiges permanentes de l’ « étage nival ».

enneigement Eté

On constate une diminution tendancielle notable, avec un point bas en 2012 (qui avait aussi été observé dans les surfaces des glaces de mer arctiques, est-ce une coïncidence). En affinant l’analyse, on verrait que la diminution se manifeste surtout au mois de juin.

5.4 Demi-saisons.

Pour compléter l’année, on examine enfin le cas des demi-saisons de printemps et d’automne.

enneigement demi saison Eurasie

enneigement demi saison Amérique du Nord

On voit distinctement des tendances contraires : diminution de la couverture au printemps et augmentation en automne. Il est facile de vérifier (on ne l’a pas représenté pour ne pas alourdir le graphique) que, si on fait la moyenne des deux demi-saisons, la tendance en résultant est pratiquement étale.

En somme, tout se passe comme si l’enneigement, tout en restant constant en moyenne annuelle, s’était légèrement décalé de l’été et du printemps vers l’automne et l’hiver. Le graphique ci-dessous illustre cette sorte de translation dans le temps, en comparant l’enneigement des deux périodes quinquennales du début et de la fin de la période considérée.

Enneigement décalage

Conclusion

Cette note n’a aucune prétention scientifique et ne cherche pas à expliquer les phénomènes en jeu qui sont extrêmement complexes et variés. Cependant, ces quelques graphiques chronologiques permettent déjà de se faire une idée générale sur l’évolution de l’enneigement dans l’hémisphère nord, et de garder, si l’on peut dire, la tête froide. Apparemment, si l’on en croit la précieuse base de données de Rutgers [6], rien d’extraordinaire ne s’est produit durant cette période d’un demi-siècle. Au contraire, l’impression générale, au-delà des dents de scies annuelles, est celle d’évolutions très lentes et progressives, sans ruptures de tendances [7].

Contrairement à ce que l’on entend dire souvent, l’enneigement hivernal aurait plutôt légèrement augmenté. Dès lors, on se demande bien sur quels éléments d’information inédits se basent les pronostics alarmistes dont on nous inonde. Que sont devenus les « scientifiques » qui en 2000 prévoyaient la fin imminente de la neige ; se sont-ils entre temps couvert la tête de neige cendre ?

Certes, si les microcosmes répondent au macrocosme, il y aura encore localement des Noëls sans neige et des chalets momentanément enfouis sous la poudreuse, mais nos arrière-arrière petits-enfants devraient continuer à faire de la luge et des batailles de boules de neige.

A titre d’échantillon des cartes publiées par le GSL, voici quelle était la situation à la fin du mois de décembre 2017 [8], (mois qui fera donc partie du futur hiver météorologique de 2018).

enneigement carte


[1] Ne cherchez pas cet article dans les archives officielles de The Independent : sauf erreur, il semble avoir bizarrement disparu (contrairement à la neige). Mais on peut encore trouver cette incongruité éditoriale ici : https://web.archive.org/web/20130408034543/http://www.independent.co.uk/environment/snowfalls-are-now-just-a-thing-of-the-past-724017.html

[2] Pour des informations complémentaires, voir notamment  https://climate.rutgers.edu/measures/snowice/) ethttps://climate.rutgers.edu/snowcover/docs.php?target=daily

[3] http://nasasnowremotesensing.gi.alaska.edu/sites/default/files/Deitz_etal_2012-1.pdf

[4] Voir http://journals.ametsoc.org/doi/full/10.1175/JHM447.1

[5] On n’a pas représenté sur les graphiques de droites ni de courbes de tendances, pour deux raisons : d’une part elles auraient alourdi la présentation ; d’autre part on sait que le choix de tel ou tel type de courbe ou de telle ou telle origine peut influer notablement sur l’allure générale, artifice que les Anglo-saxons appellent le « cherry picking ».

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