La Cité des Doges vient d’être submergée par une acqua alta exceptionnelle pendant laquelle le niveau de l’eau est monté à 1,87 mètre, son deuxième record historique après celui du 4 novembre 1966 (1,94 m).
Le terme acqua alta dans la lagune de Venise désigne un phénomène de pic de marée particulièrement prononcé qui provoque la submersion d’une partie plus ou moins grande de la zone urbaine insulaire, survenant surtout à l’automne ou au printemps.
Connu de tout temps (le premier témoignage certain du phénomène remonte à l’année 782) cet événement naturel, est renforcé depuis l’ère industrielle par les activités humaines. Mais on aura de la peine à trouver dans ces marées hors normes l’effet du réchauffement climatique ou de l’élévation du niveau de la mer censé en être la conséquence.
« Acqua alta » à Venise, un événement naturel
Du fait de sa configuration géographique « en cuvette » la mer Adriatique présente des amplitudes de marée plus importantes que le reste de la Méditerranée. Aux causes astronomiques peut être ajoutée l’action locale des forts vents du sirocco ou de la bora, qui soufflant à travers l’embouchure du port de Venise de la lagune peut empêcher la mer d’en ressortir.
A ces phénomènes météorologiques aléatoires s’ajoute l’effet d’une oscillation de 20 à 30 cm de la déclinaison lunaire avec une périodicité de 18,61 années. Cette oscillation a été mise en évidence pour la première fois par une étude de 1982[1] qui a dépouillé les enregistrements du marégraphe de Venise (San Stefano, puis Punta della Salute) de 1887 à 1908 et de 1972 à 1979.
Une élévation du niveau de la mer à Venise inférieure à la moyenne mondiale bien que renforcée par l’affaissement du sol
Le taux d’élévation du niveau de la mer à Venise est connu depuis l’installation en 1872 du premier marégraphe. Le graphique ci-dessous (figure 1) montre une stabilisation de celui-ci (autour de 2,5 mm par an) après la période d’intense pompage de l’eau souterraine dans la période 1930-1970.
De plus l’élévation du niveau de la mer n’est qu’apparente. Elle est renforcée par l’affaissement naturel du terrain, lui-même significativement accentué j’usqu’à la fin des années soixante-dix par le pompage des eaux de la nappe phréatique pour alimenter le pool industriel du Port Marghera.
Selon l’étude de 1982 [2] déjà citée, la montée locale du niveau moyen de la mer (27 cm depuis 1872), s’explique pour au moins 14 cm par des affaissements naturel (subsidence tectonique, inchangée depuis des millions d’années) et anthropique (pompage des eaux souterraines).
La courbe suivante (figure 2) établie à l’aide de données fournies par la NASA montre la baisse constante de l’altitude terrestre à Venise sur la période 2001-2011 :
La courbe suivante (figure 3) montre le taux d’élévation du niveau de la mer mesuré par le marégraphe de Rovinj (Croatie) à environ 120 km de Venise sur un littoral stable :
Selon ce marégraphe, la tendance sur ces 63 années serait donc de 0,063 mm par mois ou 0,08 cm par an, ce qui ferait 8 cm par siècle. Ajoutons que depuis 2009 le niveau de l’Adriatique semble en décroissance ce qui est confirmé par les trois autres marégraphes du secteur : Trieste, Porto Garibaldi (nord de Ravenne) et Zadar en Croatie.
Une augmentation de la fréquence des inondations depuis le creusement du canal des pétroliers
La réalisation de la zone industrielle du port Marghera a aggravé le phénomène de l’acqua alta pour diverses raisons [3] dont notamment le creusement en profondeur du « canal des Pétroliers ». Cet ouvrage a considérablement élargi la section de l’embouchure du port, augmentant par conséquent la quantité d’eau entrant dans la lagune.
La courbe de la figure 4 montre une accélération brutale du nombre des inondations après 1970, correspondant à l’excavation du Canal des pétroliers.
Toutefois les aménagements du Port Marghera ne furent pas la seule cause humaine à l’augmentation de l’amplitude moyenne des marées. Parmi les plus significatives on peut citer : la construction du Pont ferroviaire des Lagunes (1841/46) ; l’exclusion de bassin de Chioggia du fleuve Brenta et la conséquente bonification de 2 363 hectares de zone de « barene » ; la construction de digues (Port de Malamocco, 1820/72 ; Port de S. Nicolò, 1884/97 ; Port de Chioggia, 1911/33) ; la construction du Pont de la Liberté (Ponte della Libertà) (1931/33) ; la création de la Riva dei Sette Martiri (1936/41) ; la réalisation de l’île artificielle du Tronchetto (superficie 17 hectares, 1957/61) et le doublement du pont ferroviaire (1977).
Conclusion
Les problèmes de Venise paraissaient si complexes, l’aggravation des menaces que l’insalubrité de la terre, l’humeur imprévisible des vents et des eaux de la mer, la fragilité des rivages et l’instabilité des courants faisaient peser sur les établissements lagunaires fut jugée si sérieuse et la survie de la cité si incertaine que le soin de trouver des idées salvatrices et d’en recommander l’usage fut confié à une commission de Sages.
(Source UNESCO)
Cela se passait en 1399 [4].
La société industrielle si décriée aujourd’hui pourra-t-elle apporter la solution ? L’UNESCO exhorte aujourd’hui à la relance du chantier MOSE (qui consiste en l’installation de 78 digues flottantes) lancé en 2003 mais qui reste pour l’heure inachevé du fait notamment d’un gigantesque scandale de corruption révélé en 2014.
[1] Influence des travaux récents sur l’ « acqua alta » à Venise, la réponse des marégraphes (OCEANOLOGICA ACTA. 1982)
[2] Influence des travaux récents sur l’ « acqua alta » à Venise, la réponse des marégraphes (OCEANOLOGICA ACTA. 1982)
[3] Avant tout, la majeure partie de la zone industrielle a été créée en valorisant une vaste étendue de lagune, servant précédemment de « barene » c’est-à-dire de petites îles à fleur d’eau qui servaient de « vase d’expansion » en cas de hautes marées. En second lieu, pour permettre aux pétroliers de rejoindre les quais de déchargement, a été creusé le profond « Canal des Pétroliers » qui part de l’embouchure du port de Malamocco et rejoint la terre ferme. Cette œuvre a considérablement augmenté la section de l’embouchure du port, augmentant par conséquent la quantité d’eau entrant dans la lagune.
Bonjour,
D’après ce que dit aussi Dario Camuffo, on prendrait un risque si l’on actionnait les barrages du projet MOSE, car en cas de rupture, on générerait simplement … un tsunami sur Venise ! D’une petite hauteur de vague (environ 1m ou un peu plus sans doute) mais avec une grande longueur d’onde, qui détruirait, entre autre, tous les bateaux, gondoles, etc … Bref, la corruption est un problème, mais pas l’unique ..!
Par ailleurs, la manière dont Dario Camuffo reconstruit le niveau marin relatif depuis 700 ans environs à Venise grâce à la position de la ligne des algues sur les tableaux précis des anciens peintres est quand même très astucieuse !
merci pour ce commentaire utile et constructif
Cordialement
Bonjour Usbek,
Merci pour cette étude intéressante qui m’inspire 2 questions:
1. Comment se fait-il que le niveau de la mer Adriatique ne monte que de 1 mm/an, soit 2 à 3 fois moins vite que la moyenne des océans? Cette mer reçoit pourtant de nombreux fleuves dont le débit n’est pas ridicule (à commencer par le Pô). Subirait-elle davantage d’évaporation que le reste de la Méditerranée?
2. Dans son diaporama (de 2011?) Camuffo conclut à une vitesse d’enfoncement de 1,2 à 1,3 mm/an pour la période contemporaine, alors que les données de la NASA que vous reproduisez en figure 2 donnent plutôt 2 à 3 mm/an de 2002 à 2007, puis près de 10 mm/an de 2008 à 2011. Pourquoi ce désaccord? Quelle pourrait-être la cause de l’accélération brutale enregistrée par les satellites à partir de 2008? Et que se passe-t-il ensuite, de 2011 à 2019?
Bien à vous
Bonsoir,
Merci pour vos remarques et questions
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Bien à vous
Voici quelques éléments de réponse
1/ Les précipitations acheminées aux océans par les réseaux hydrographiques font partie du cycle de l’eau, ce cycle étant achevé par l’évaporation, puis la condensation, etc. L’élévation du niveau des mers et des océans n’a rien à voir avec le débit des fleuves qui s’y jettent : pour l’essentiel, elle résulte de la dilatation (effet dit « stérique ») et dans une moindre mesure de la fonte des glaces terrestres (calottes glaciaires et glaciers), l’un et l’autre phénomène dus à l’augmentation des températures.
Sur la même période de 1955 à 2018, le marégraphe de Marseille donne environ 1 mm/an d’élévation annuelle, soit une valeur peu différente de celle de Rovinj.
A titre de comparaison, le marégraphe de Brest accuse 1,9 mm/an sur la même période. Apparemment, le niveau de la Méditerranée augmente moins vite que celui de l’Atlantique.
La valeur souvent évoquée de 3 mm/an est une valeur globale qui n’est d’ailleurs pas corroborée par les mesures des marégraphes des stations côtières.
2/ Le GPS dont il est fait état est situé à Chioggia (Castello della Lupa), à 25 km au sud de Venise. Il peut en effet y avoir des différences d’enfoncement entre deux points aussi éloignés. Les méthodologies de mesure sont d’ailleurs différentes elles aussi. Par ailleurs, la série Chioggia s’interrompt en 2011 pour des raisons non explicitées.
Bien à vous