Les inondations, le plus grave fléau qui menace l’humanité

Henri VORON, Ingénieur en chef des Eaux et des Forêts

C’est le plus grave fléau qui menace l’humanité, qui tue, détruit et jette la désolation depuis la nuit des temps. Les crues font plus de morts, de blessés et dégâts que les tremblements de terre et les volcans. Les derniers sont des évènements relativement rares, alors qu’il y a une ou plusieurs crues en permanence quelque part sur la planète. Hélas, les prochaines crues sont encore devant nous et le resterons toujours. L’homme est quasiment impuissant face aux milliards de mètres cubes qui dévalent en emportant tout sur leur passage.

Le passage d’un cyclone subtropical méditerranéen en septembre 2023 provoque la rupture de deux barrages près de la ville de Derna, en Lybie, dans l’est du pays, conduisant à des inondations massives. Plus de 11 000 personnes meurent noyées et des milliers d’autres sont portées disparues Des fissures étaient apparues dans ces ouvrages construits dans les années 1970, et les travaux d’entretien n’avaient pas été engagés malgré des fonds alloués et probablement détournés.

Pendant l’été 2010, la violente crue de l’Indus au Pakistan a défrayé la chronique. On cite des milliers de morts, 200 000 kilomètres carrés touchés soit le quart du Pakistan et donc le tiers de la France, 20 millions de victimes, personnes déplacées, ayant le plus souvent tout perdu, 3 millions d’hectares de récoltes anéantis. Face à l’ampleur de tels drames, les pouvoirs publics sont dans l’incapacité de secourir tout le monde. Il y faudrait des moyens colossaux en hommes, matériels et finances. Les sinistrés se plaignent d’être abandonnés, mais quel gouvernement au monde pourrait porter secours à 20 millions de personnes à la fois ?

Plus près de nous, les violentes pluies qui se sont abattues sur le département du Var le 16 juin 2010 ont semé la désolation à Draguignan et ailleurs. On a dénombré au moins 25 morts. Les rivières comme la Nartuby ou le Gapeau, dont le bassin versant est inférieur à 100 km² ont été physiquement incapables d’absorber des pluies de 100 mm pour toute la région et 400 mm par endroit.

En octobre 2024, la région de Valence en Espagne est ravagée par des crues de type « cévenol », faisant 200 morts au moins, et d’énormes dégâts matériels. L’image de voitures emportées comme des bouchons et empilées les unes sur les autres est diffusée dans tous les médias.

Depuis toujours, on cherche une raison et surtout un ou plusieurs responsables. Ce fut les dieux, leurs colères, leurs volontés de « punir » les hommes de leur péché ou autre. Puis on a accusé pèle mêle la déforestation, la « bétonisation », la culture intensive, les engrais modernes, la pollution, le remembrement, le reboisement en résineux plutôt qu’en feuillus, l’urbanisation en zones inondables, et j’en passe. Faute de comprendre, l’homme primitif recherchait des explications métaphysiques. Faute de comprendre, l’homme moderne recherche des explications techniques ou politiques, largement inspirées par la mouvance écologique. Mais sont-elles fondées ?

Le Déluge, un mythe cohérent avec l’évènement historique qui l’a inspiré.

Faut-il remonter au Déluge ? Oui, car c’est l’un des mythes fondateurs du judéo-christianisme. Oui, car il s’agissait d’une violente crue du Tigre et de l’Euphrate, qui a ravagé la Mésopotamie où vivaient précisément les patriarches du peuple hébreux avant qu’Abraham ne prenne le chemin de la terre promise. Oui car l’arche de Noé va finalement s’échouer sur le mont Ararat en Turquie, une haute montagne proche des sources du Tigre et de l’Euphrate. Le Déluge est évidemment un mythe mais la précision géographique du texte est cohérente avec l’évènement historique qui l’a inspiré.

Noé sauve l’humanité et tout le monde vivant. Car l’Homme avait péché. La colère de Dieu, décrite dans la Genèse au chapitre 6 est très violente : « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes et même les oiseaux du ciel, car je me repends de les avoir faits ».

Aujourd’hui, face au drame des inondations, qui tient un discours cohérent sur ces tragédies ? Quelle peut être sa fréquence, quelle en est la vraie cause ? Peut-on empêcher ou limiter de pareils désastres ? Si oui, dans quelle mesure ? Faut-il faire de la prévention, ou au contraire mieux organiser les secours ? L’homme du vingt et unième siècle réfute, à juste titre la « punition divine », mais il reste aussi stupéfait et surpris que son ancêtre mésopotamien du temps de Noé.

Les différents types de crues

On peut distinguer les crues torrentielles et les crues fluviales. Les premières concernent en général des petits bassins versants, entre 100 et 1 000 km², en zones montagneuses. La rivière ou le torrent sont pentus. A l’occasion d’une pluie décennale ou centennale centrée sur le petit bassin versant, l’eau se met à couler avec des vitesses très élevées, jusqu’à 10 m/s, emportant tout sur son passage : routes, ponts, habitations, voitures, terrains de campings, etc…. La vitesse et les tourbillons jouent un rôle destructeur très actif. Mais ces crues sont courtes : quelques heures. Elles ne représentent finalement que de faibles volumes d’eau débités au total. De ce fait, un peu plus en aval dans le bassin versant, l’évènement n’a pas ou peu d’impact sur l’écoulement normal des eaux. On pense, pour la France, à la récente catastrophe d’Annonay dans l’Ardèche en octobre 2024. Et, en remontant une trentaine d’années aux crues meurtrières du Grand Bornant en Savoie, à Sommières et à Nîmes dans le Gard, à Vaison la Romaine dans le Vaucluse. Ce sont des crues de type « cévenole ». Des pluies de très fortes en intensité, entre 100 et 500 mm en 24 heures, tombent sur des terrains caillouteux, arides et en pente. L’infiltration est quasi nulle et donc le coefficient de ruissellement de crue est de 100 %. Météo France ne sera jamais capable de prédire l’endroit précis d’une pluie catastrophique ni son intensité, même si la vigilance orange ou rouge a été instaurée.

Les crues fluviales concernent plutôt l’aval de grands bassins versants dont les rivières ou fleuves ont, a contrario, de faibles pentes. La vitesse de l’eau reste lente, entre 1 et 2 m/s. Mais la pluie amont, qui peut être moins intense mais très longue, envoie un débit supérieur à celui que la section de la rivière peut évacuer. Le modèle type, c’est la crue de Paris en janvier 1910, due à une pluie de 75 mm seulement sur le haut bassin de la Seine et de ses affluents. Le débit d’une rivière est toujours le produit d’une section, exprimée en m², et par une vitesse. Cette dernière est liée à la pente. A pente forte, vitesse forte et vice-versa. La Seine étant une rivière paresseuse, lente, qui ne descend que de 25 mètres de Paris à la Manche, sa vitesse, même en crue, reste lente. Comme la section d’écoulement, notamment sous les ponts, est intangible, l’eau monte, et déborde. Pour débiter les 2 350 m3/s de la crue de 1910, la Seine a été obligée de monter pour trouver, par hypothèse, 2 350 m² de section d’écoulement avec une vitesse d’un mètre par seconde. C’est l’inondation « classique » avec montée inexorable des eaux. Les dégâts ne sont pas dus à la vitesse du courant, mais à la présence d’un mètre d’eau; voire plus, dans les rues, les maisons, les administrations, les boutiques, le métro, etc… Les égouts se mettent à fonctionner à l’envers et refoulent l’eau de la rivière vers l’intérieur de la ville. C’est la paralysie. C’est aussi la destruction des maisons de mauvaise qualité, en terre, pisé, ou autres matériaux économiques, qui se transforment en boue.

Quelques débits de crues exceptionnels

RIVIERE OU FLEUVE ET LIEUANNEE  DEBIT EN M3/SDEBIT PAR JOUR EN MILLIONS DE M3
Seine à ParisJanvier 19102 350203
Loire au Bec d’Allier18469 000780
Garonne à ToulouseJuin 18757 500648
Rhône à BeaucaireNovembre 18409 000780
Pô à PlaisanceNovembre 195112 0001 036
Volga à Kouïbychev192661 0005 270

D’autres records absolus ont été enregistrés : 12 500 m3/s pour le Rhin à la frontière avec la Hollande, 120 000 m3/s pour l’Ienisseï, 110 000 m 3/s pour la Léna, toujours en Russie, 300 000 m3/s pour l’Amazone. Pour le grand fleuve brésilien, les crues atteignent donc un million de m3 en trois secondes, un milliard de m3 en 3 000 secondes, soit un peu moins d’une heure, 26 milliards de m3 par jour. Et donc plus de 100 milliards de m3 si la crue dure quatre jours.

Pourquoi les crues ?

Toutes les crues ont pour origine une ou des pluies de fréquence exceptionnelle, décennale pour les crues modestes, centennales ou millénales pour les plus graves d’entre elles. On a vu au chapitre 4 que les pluies étaient des évènements aléatoires, dont la loi de probabilité est en général la loi de Gauss. Cette loi s’applique aux moyennes annuelles, comme aux pluies extrêmes, localisées dans un bassin versant donné, petit ou grand.

Le Déluge est un mythe, mais les pluies diluviennes existent bel et bien, même si leur fréquence, à un endroit donné, est rare ou très rare. La crue centennale, c’est, souvent, l’occurrence de deux crues décennales en deux ou trois jours. [1]

Pour les crues de type torrentielles, en zone de montagne, la pente et les terrains rocheux, particulièrement imperméables, accélèrent le ruissellement rapide et l’infiltration est quasi nulle.

Une crue exceptionnelle s’explique toujours par la saturation du sol

La crue exceptionnelle s’explique toujours par le phénomène de saturation du sol, de la végétation et de l’humidité de l’air. Comme cela a été expliqué au chapitre 1, une bonne partie des pluies courantes, ou normales ne ruisselle pas. Elle s’infiltre ou elle est évaporée ou évapotranspirée. Ce mécanisme fonctionne pendant un certain temps. Mais assez vite, le sol poreux est plein d’eau et aucune eau supplémentaire ne peut s’infiltrer. Ou bien la vitesse d’infiltration est inférieure à l’intensité pluviométrique. Les végétaux sont totalement mouillés, et ne peuvent plus stocker par capillarité sur leur feuillage. Ils n’ont plus besoin de pomper l’eau dans le sol, car leurs besoins sont plus que satisfaits. Enfin, l’air est totalement saturé d’eau de vapeur d’eau et ne peut plus rien évaporer. Dès qu’une lame d’eau, même mince, commence à s’installer au sol, alors le coefficient de ruissellement devient 100 %. Quand de l’eau tombe sur de l’eau, tout se passe comme si elle tombait sur du béton, dont le coefficient de ruissellement est, par définition, de 100 %. Dans ce cas-là, c’est l’eau qui « bétonise », pas l’urbanisation !

En temps « normal », c’est-à-dire pour les pluies de fréquence[2] pas trop rare : quinquennales, décennales, la saturation n’est en général pas atteinte. Les éléments « ralentisseurs de crues » et bien connus jouent encore leur rôle : les haies, les forêts, les cultures en courbe de niveau, l’absence de « bétonisation » par l’homme restent efficaces, pour bloquer une partie de l’écoulement.

En cas de pluie et donc de crue exceptionnelle, tous ces éléments ne jouent plus leur rôle régulateur, ce dernier étant par définition limité dans l’espace et dans le temps.

C’est pourquoi on peut pleurer ou sourire en entendant, lors de chaque crue exceptionnelle, journalistes et scientifiques, ressortir les éternels arguments de la déforestation, du remembrement, de l’urbanisation, l’agriculture intensive, etc… Tout cela n’a jamais été prouvé de manière scientifique en comparant les coefficients de ruissellement avant ou après l’arrivée des engrais minéraux, ou avant et après une plantation de pins. De plus, comme ce paragraphe l’explique, le phénomène de saturation absolument générale de tous les éléments sur lesquels tombe la pluie rend totalement illusoire les considérations sur les doses d’engrais, ou les feuillus contre les résineux !

Quand le ruissellement devient de 100 %, les masses d’eau qui se mettent à couler deviennent colossales. Pour fixer les idées, un bassin versant de 100 km², ce qui est petit, et qui doit ruisseler 100 mm, doit évacuer 10 millions de m3. Les débits sont alors supérieurs à 100 m3/s pendant 24 heures.

Le bassin versant de l’Indus, dont les inondations ont défrayé la chronique pendant le même été mesure 1 081 000 de km², pour une longueur totale de 3 180 km. Son débit moyen annuel à l’embouchure est de 4 000 m3/s, soit 120 milliards de m3 par an[3]. Le reboisement ou non, les cultures en terrasses, les pratiques culturales, le remembrement, les haies, la présence de villes dans le haut bassin de l’Indus ne sont pas avérés, et seraient des « gadgets » insignifiants sans aucun impact pour lutter contre un phénomène d’une telle ampleur.

L’homme peut-il faire quelque chose : pour les grands bassins versants en France?

Oui, en construisant un ou plusieurs barrages, en retenue totale. C’est-à-dire capables de laminer ou d’encaisser tout le volume de la crue.

En France, Paris est un peu mieux protégé par la construction sur la Seine des barrages et lacs du Der et d’Orient, sur l’Aube du lac d’Amance et du lac d’Auzon-Temple, enfin sur l’Yonne, du lac de Pannecière, déjà évoqués dans un chapitre précédent. Ces équipements ne suffiraient pas à empêcher une crue type de 1910, mais la fréquence d’une telle catastrophe a été réduite, peut-être d’un facteur 10.

La basse vallée de la Durance est définitivement protégée par le barrage de Serre Ponçon. Le barrage de Chambonchard, qui a été refusé par diverses associations écologistes, n’a pas permis d’améliorer la situation sur la Loire et on peut le regretter. Tours reste une ville vulnérable aux crues de la Loire et du Cher. Grenoble est bien ou très bien protégée par les barrages construits sur le haut Drac, sur la Romanche et sur l’Isère.

Rien n’a été fait sur la Saône pour mieux protéger Lyon, qui garde la mémoire des inondations catastrophiques du 7 novembre 1840 et du 21 mai 1856, essentiellement dues à la Saône. Si ce n’est que les ponts de Lyon sur la Saône ont, à présent, une section d’écoulement deux fois plus élevée que celle des vieux ponts médiévaux dont les piles obstruaient 50 % de la section d’écoulement.

En revanche, la meilleure maîtrise des niveaux du lac Léman par les Suisses et la construction du barrage de Vouglans sur l’Ain ont amélioré la situation pour le Rhône, en amont de Lyon. En aval de la capitale des Gaules, les quinze barrages hydroélectriques jouent un rôle positif mais n’empêchent pas les inondations du delta, de la plaine d’Arles et de la Camargue. En définitive, de nombreuses grandes villes de France situées au bord d’un fleuve ou d’une rivière sont restées vulnérables.

L’homme peut-il faire quelque chose, sur les petits bassins versants ?

Non. Les barrages en retenue totale[4] sont toujours établis aux fins de produire de l’électricité. Ils sont techniquement et économiquement irréalisables sur de tels sites. En dehors de la crue, débits et volumes annuels ruisselés sont infimes et ne sauraient produire de l’énergie. C’est bien le paradoxe : trop faibles débits et volumes au jour le jour pour justifier un barrage et crues catastrophiques, dans le même petit bassin versant. Comme on a pu le constater à Annonay en Ardèche, en octobre 2024. A comparer avec la crue meurtrière de Darma en Lybie en 2022, citée ci-dessus.

Des centaines ou des milliers de villages ou villes moyennes de France sont installés au bord de charmantes petites rivières. Un pont médiéval, des maisons anciennes donnant directement sur l’eau, de vieux lavoirs aujourd’hui croulants sous les géraniums, une barque docile attendant les amants : ce tableau bucolique ne doit pas faire illusion. Par définition, presque tous ces villages sont vulnérables aux inondations. Mais que faire ? On ne va pas les démolir en demandant aux habitants de s’installer plus loin. Le principe de précaution trouve ici ses limites, alors que les risques sont connus.

Quelle est la responsabilité de l’urbanisation ?

Elle est faible à nulle, malgré ce que dit la « litanie » sur les inondations. Comme on vient de la dire, la saturation « bétonne » tout, même le béton préexistant. Villes ou pas villes dans le bassin versant, la crue centennale ou millénale aura lieu de toute façon, avec la même intensité.

Plus de 80% de l’humanité et 80 % des grandes villes sont installées à moins de 100 km de la mer. Or les inondations viennent de l’amont des bassins versants, souvent déserts ou peu urbanisés. La crue qui a frappé la Nouvelle Orléans en 2005 était liée à une crue du Mississipi, dont le bassin versant couvre 3 200 000 km², soit plus de six fois la France. Son débit moyen à l’embouchure est de 20 000 m3/s. A la suite de la catastrophe, il n’est venu à l’idée de personne d’accuser l’urbanisation de Saint Louis, Missouri, ou de Memphis, Tennessee ou de Little Rock, Arkansas. Les Etats-Unis sont le pays le plus urbanisé du monde, mais toutes les villes du bassin du Mississipi ne sont qu’une « goutte d’eau » dont l’impact sur les crues dans le delta est évidemment nul ou insignifiant.

On peut noter par ailleurs que l’urbanisation pavillonnaire, qui est la plus fréquente aujourd’hui en France ou dans le monde, recrée un bocage. Chaque parcelle va être entourée d’une clôture, souvent doublée d’une haie. Des pelouses, des aires en gravier ou en terre battue, souvent horizontales, parfois une piscine seront mises en place. Quelques arbres seront plantés dans chaque jardin. Après quelques années, le paysage aura évolué vers une forêt claire, et vers un nouveau bocage. L’imperméabilisation due aux toits et aux voies d’accès revêtues sera plus que compensée par le reboisement, le cloisonnement des parcelles, leur établissement en terrasses, etc…. Par rapport au champ de maïs qui a pu précéder le lotissement, la situation en matière de ruissellement est meilleure après l’urbanisation pavillonnaire. Il y a moins de ruissellement, au moins pour les épisodes « normaux ».

Pour terminer, il faut savoir que les bassins de rétention, chargés précisément d’encaisser les grosses pluies et de retarder leur rejet au milieu naturel sont devenus obligatoires pour tous les équipements « imperméabilisateurs » : parcs de stationnement, notamment ceux des grandes surfaces, routes, autoroutes, nœuds autoroutiers, zones industrielles. Ces équipements sont très efficaces pour diminuer les pointes de crues, pas trop exceptionnelles. Ils sont d’abord conçus pour éviter la saturation du réseau d’égouts.

Quelques conseils pour améliorer la situation en France

Le risque zéro en matière de crue n’existe pas et n’existera jamais. En revanche, il est toujours possible de réduire le risque, ou la probabilité d’occurrence, par exemple d’un facteur dix, et c’est important. Passer d’une probabilité d’un pour cent à une probabilité d’un pour mille, c’est énorme et cela permet de sauver beaucoup des vies et de biens.

Si l’on établit un parallèle entre les risques de crues et les risques de la circulation routière, on peut noter que cette dernière a été réduite d’un facteur 13 entre 1973 et nos jours. En effet, on a déploré 17 000 morts cette année-là et moins de 4 000 morts en 2009 alors que la circulation en nombre de voitures et kilomètres parcourus a triplé entre ces deux dates. De multiples facteurs ont contribué à ce résultat : limitation de vitesses, lourde répression à leur excès, ceintures de sécurité, amélioration de la sécurité du réseau routier et des véhicules, etc.

Dans un pays comme la France, on peut conseiller :

  • de mieux définir les zones inondables, d’y interdire l’urbanisation, ou d’imposer un cahier des charges strict : interdiction des pièces habitables en rez-de-jardin, compteurs d’électricité et d’eau au premier étage, achat d’un bateau gonflable obligatoire, stockage obligatoire d’eau embouteillée, et d’alimentation, exercices d’alerte, précautions particulières pour enfants ou personnes âgées, etc. Et donc, de poursuivre la mise en œuvre de cartes des risques et de plans de prévention des risques.
  • De construire des ponts avec le moins de piliers possibles dans le lit du fleuve. Ou, à défaut des piliers fins, et bien profilés pour favoriser l’écoulement de l’eau.  Le rôle néfaste des « vieux ponts » à lourdes piles dans les inondations est important.
  • de laisser des lits majeurs et des lits mineurs le plus larges possible. Dans les villes, on peut y installer des terrains de sports, des espaces verts, des parcs de stationnement, non vulnérables à la submersion. Souvent, les villes manquent de ce type d’espaces. Elles peuvent faire ainsi d’une pierre deux coups : rendre inconstructibles des zones inondables tout en les utilisant pour des équipements publics dont la demande sociale est forte. La vraie difficulté est l’achat des terrains concernés.
  • de saisir l’occasion des travaux routiers au bord des rivières pour aménager à la fois la rivière, élargir son lit et l’endiguer, en même temps qu’on construit la nouvelle route ou autoroute,
  • d’utiliser des matériaux filtrants en revêtements de sols extérieurs, et de construire le maximum de bassins de rétention, déjà prévus par les textes en vigueur
  • de draguer les rivières ou fleuves navigables qui s’ensablent,
  • de poursuivre la politique de restauration des terrains en montagne, engagée depuis 150 ans,
  • de poursuivre le reboisement de la France, en choisissant les espèces d’arbres adaptées aux différents sols et aux différents climats de l’hexagone.
  • de développer les réseaux d’alerte, et d’améliorer l’efficacité des secours. En France, cette efficacité est déjà élevée, grâce au professionnalisme et à la disponibilité des sapeurs-pompiers, des SAMU, des CRS, des hôpitaux, des médecins libéraux, des entreprises de déblaiement, etc…La marge de manœuvre pour améliorer encore l’existant est faible.  Les préfets peuvent mobiliser de gros moyens, notamment dans le cadre des plans ORSEC.

On peut conseiller aux particuliers de ne jamais acheter une habitation individuelle, dans le neuf ou l’ancien, au bord d’une rivière même petite ou d’un fleuve. En habitat collectif, il vaut mieux éviter d’acheter en rez-de-jardin. Le développement de la prévention est difficile. C’est une œuvre de longue haleine dont les résultats, on l’a vu, n’auront qu’un impact assez marginal en cas d’évènement exceptionnel. Il faut une forte constance politique et technique, pendant des décennies. Par ailleurs, cela ne règle pas la sécurité contre les crues de tous les immeubles et de leurs habitants, déjà construits en sites dangereux. Un gros tiers de l’existant est probablement exposé aux crues, en France. A commencer par Paris, ou Lyon, Tours, Bordeaux, etc.

L’expropriation est techniquement et politiquement très difficile, comme on l’a vu lors de la marée de tempête « Xynthia » qui a frappé les côtes de la Charente Maritime en février 2010. De zones « noires » en « zones de confiance », Etat, élus locaux et habitants ont multiplié la valse-hésitation. La définition d’une zone à risque élevé, dans laquelle il faut démolir, ne sera jamais purement scientifique. Des marges d’incertitude sur le risque présent ou futur subsisteront toujours. Un risque mal connu est donc un risque contestable et contesté par l’opinion, les intéressés et leurs élus. Où placer le curseur ?

Les systèmes d’assurance obligatoire contre les catastrophes naturelles sont une bonne réponse non pas au risque, mais à la vulnérabilité pour les biens et les blessés. Elles ne ressuscitent pas les morts, mais elles permettent de sortir du dilemme bien connu des statisticiens : risque très faible mais dégâts susceptibles d’être très élevés. C’est l’indétermination zéro que multiplie l’infini. . Tous calculs faits, il vaut peut-être mieux payer une assurance légère pendant des décennies, qu’investir dans des travaux très lourds, dont l’efficacité n’est jamais sûre à 100 %. Et qui pourraient ne s’avérer utiles que dans cent ans, ou mille ans, ou même jamais.

Que faire pour les pays les pays en développement ?

On vient de constater que dans un pays comme la France, riche en moyens financiers et humains, à forte capacité scientifique et technique, bien équipé en systèmes de secours, il faudra s’habituer à vivre avec les crues, sans se faire d’illusion sur le risque zéro, même à très long terme.

Dans les pays pauvres ou émergents, la situation restera dramatique. Le Pakistan est un pays doté d’une forte armée et de la bombe atomique. Une bourgeoisie d’affaires très éduquée, des classes moyennes et riches, une urbanisation importante. Mais le développement économique, lorsqu’il démarre, accroît toujours les inégalités. La haute vallée de l’Indus et plus généralement le monde rural sont délaissés. Leur développement économique viendra plus tard.

En Chine, le fleuve Yangzi Jiang réunit tous les ingrédients pour être et rester le plus dangereux du monde : avec ses 6 000 km, c’est le plus long fleuve d’Asie et le troisième de planète. Il prend sa source à plus de 6 000 mètres d’altitude au Tibet. Les pentes du lit et des rives sont fortes, les montagnes et les gorges sont nombreuses au long de son cours. Il reçoit 700 affluents, à caractéristiques torrentielles. Peu de zones inondables ou de lacs naturels existent en amont, qui permettraient de réguler les crues. Le climat de mousson entraîne des pluies diluviennes. Les sols de lœss sont rapidement saturés. La population rurale et urbaine atteint plus de 300 millions d’habitants dans ce bassin versant de 1 800 000 km², soit près de 4 fois la France. Les surfaces cultivées, notamment le riz, ont remplacé la végétation naturelle, pour nourrir la population. Les mégalopoles de Chongjin, Wuhan, Nankin et Shanghai sont riveraines du fleuve. Il charrie en année normale 1 000 milliards de m3.

La construction récente du barrage des Trois Gorges a nettement amélioré la situation car il lamine les crues. Ces dernières peuvent dépasser 100 000 m3/s, atteindre une cote de 17 mètres au-dessus du niveau de la plaine en aval. En septembre 1998, avant la construction du barrage, la cote de 29 mètres a été atteinte au centre de Wuhan, causant la mort de milliers de personnes[5]. Mais il ne protège pas la partie amont du bassin versant. Il y aura hélas encore beaucoup de crues en Chine, même si ce pays a construit des milliers de barrages.

Même les pays riches, comme les Etats-Unis restent vulnérables, comme on l’a vu à la Nouvelle Orléans en 2005.  Dans les pays pauvres, les catastrophes sont devant nous. La vulnérabilité croît parallèlement à la population. Les secours y sont mal organisés structurellement, se retrouvent désorganisés par l’évènement, et les moyens disponibles sont insuffisants. Pauvres victimes, actuelles et futures ! L’excès d’eau tue, de mort violente, beaucoup plus que le manque d’eau. C’est vrai depuis toujours et partout. Il est beaucoup plus facile de lutter contre la sècheresse que contre les crues. Le développement économique et social qui se généralise sur toute notre planète ne peut que consolider cette double tendance.


[1] Des pluies de 100 mm, ou de 200 mm ont pu être observées en France. On aurait observé en un seul jour 792 mm de pluie près de Joyeuse, en Ardèche, en octobre 1827. L’averse terrifiante, dite « de Thrall » dans le Texas central déversa, en dix-huit heures, 250 mm sur un bassin versant de 29 500 km², les 9 et 10 septembre 1921. En octobre 1951, une station de la Calabre, en Italie aurait reçu 1 495 mm. A la Réunion, on aurait également observé des précipitations de plus de 1 000 mm par jour.

[2] Une crue décennale est, par définition, atteinte ou dépassée 10 fois par siècle en moyenne. Une crue centennale est atteinte ou dépassée dix fois par millénaire, en moyenne, etc…. La loi de Gauss, bien connue en calcul des probabilités, s’applique bien aux crues fluviales, et moins bien aux crues torrentielles. Qui sont « hypergaussiques ».

[3] Le ruissellement intégral de 100 mm de pluies sur la moitié amont du bassin versant, à savoir 500 000 km² génère un volume d’eau de 50 milliards de m3, en quelques jours. Soit la moitié du module moyen annuel. L’inondation catastrophique est inévitable. Le débit de crue habituel au mois d’août, qui est de 4 000 m3/s, peut alors passer à 10 fois plus, soit 40 000 m3/s. Il est bien évident que tout le bassin versant amont de l’Indus, a été totalement saturé par une ou des pluies exceptionnelles. Pentes très fortes, terrains rocheux peu perméables ont aggravé le phénomène.

[4] On appelle barrage en retenue totale, tout barrage dont le volume de stockage correspond à au moins un an d’écoulement du fleuve concerné. C’est le cas de Serre-Ponçon.

[5] Ce barrage produit 85 milliards de kilowattheures, l’équivalent de 20 tranches de centrales nucléaires, ou de 50 millions de tonnes de charbon par an.

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11 réflexions au sujet de « Les inondations, le plus grave fléau qui menace l’humanité »

  1. “””””C’est le plus grave fléau qui menace l’humanité, qui tue, détruit et jette la désolation depuis la nuit des temps.”””””
    Merci M Voron vous êtes donc d’accord que le CO2 n’a aucun rapport avec ces désastres

  2. Au sujet des réserves d’eau, il existe une solution efficace et peu coûteuse : prévoir un robinet de puisage à la base (sur l’arrivée d’eau) du chauffe-eau électrique à accumulation, présent dans beaucoup de foyers : en coupant l’arrivée d’eau de ville, qui est suspecte en cas d’inondation, il suffit d’ouvrir un robinet d’eau chaude pour disposer de plusieurs centaines de litres d’eau potable régulièrement renouvelée. Je suis surpris que ce ne soit jamais fait…

    • @Francis
      Judicieuse remarque…
      On peut puiser directement l’eau chaude d’un chauffe eau en fonctionnement dont la température de consigne dépasse les 60°C pour avoir une eau potable débarrassée de la plupart des bactéries pathogènes qu’elle contient si l’eau du réseau a été contaminée lors d’une inondation. Si l’alimentation en courant électrique a été coupée, ce qui arrive très souvent en cas d’inondation, comme vous l’indiquez, les 2 ou 300 litres que contient le chauffe eau sont une réserve d’eau potable appréciable en attendant que la situation se rétablisse, à condition bien sûr de le déconnecter du réseau contaminé.

  3. Le titre de cet article me paraît juste et difficilement contestable.

    Par contre le développement contient beaucoup de contradictions.

    La cause originelle d’une inondation est purement météorologique et se caractérise par le volume, la répartition et la durée des précipitations dans le bassin versant.
    Les conditions objectives d’écoulement préexistantes au sol déterminent s’il y aura crue ou non, son ampleur, sa hauteur, sa vitesse d’élévation et sa vitesse d’écoulement (notions distinctes).
    Il est faux de dire sur un plan théorique que la vitesse d’écoulement d’une crue ne dépendrait que de la pente, notion objective, et constituerait donc une variable indépendante.
    En réalité, la vitesse d’écoulement est une variable totalement liée aux conditions d’écoulement qui, elles, ne dépendent pas seulement de la pente.
    Sans entrer dans le détail des formules utilisables pour calculer la vitesse d’écoulement, notons d’une part qu’elle mathématiquement liée à l’aire de la section transversale de l’écoulement (m2) et au périmètre mouillé (m) de la surface de la section, grandeurs toutes liées à la hauteur d’eau de la crue.
    On en déduit facilement que hauteur d’eau et vitesse sont interdépendantes et varient dans le même sens.

    En plus de ces observations, purement géométrique, la vitesse d’écoulement dépend étroitement de la rugosité du lit mouillé par la crue. Plus la rugosité est forte, plus l’écoulement est freiné, plus le niveau monte.
    En application de ces considérations hydrauliques,
    Il en résulte sur un plan pratique que l’urbanisation dans le lit majeur d’un cours d’eau,qui bouleverse les conditions naturelles d’écoulement est bien un facteur direct d’aggravation forte de la crue.
    En réduisant l’aire de la section mouillée, la présence des constructions entraine des effets destructeurs amplifiés par élévation du niveau de la crue et aggravation de sa vitesse.
    Bien entendu, la présence d’obstacles hétérogènes découlant de l’urbanisation entraine en pratique des phénomènes disparates, mais qui globalement et objectivement aggravent la crue, à partir de là il en découle des conséquences en matière de dégâts humains et matériels
    Dès lors affirmer que l’urbanisation n’est pour rien dans les phénomènes de crues prêterait à sourire si le sujet n’était pas si grave.
    L’auteur soutient que les barrages, spécialement en “retenue totale”, constitueraient la solution idéale.
    Cette thèse est complètement irréaliste, car pour être efficace, elle supposerait que les barrages de retenue soient vides, au moment des inondations majeures. Cela suppose que les gestionnaire des barrages soient capables de prévoir la pluie ou le beau temps
    L’auteur a démontré par ailleurs, ce qui est vrai, que les volume des précipitations sont gigantesque par rapport aux capacités d’écoulement normales.
    L’auteur cite les barrages du Rhône comme exemple d’un écrêtement efficace des crues.
    Ceci est faux: la CNR l’affirme, elle-même, haut et fort, qu’elle aucune vocation, ni possibilité matérielle de gérer les crues du Rhône.Ce n’est pas sa mission.Elle se borne à l’hydroélectricité, à la navigation et à l’irrigation.
    Lors des fortes crues la CNR ouvre ses barrages, lèvent ses turbines, dès que le Rhône dépasse sa cote d’alerte.
    Les barrages sont hydrauliquement effacés, et le Rhône retrouve (presque) son écoulement naturel.
    Se comporter autrement, c’est à dire tenter de retenir la crue, entraînerait de graves risques de surverses et de rupture des barrages, menaçant la population en aval de véritables raz de marée.
    A-t-on oublié la catastrophe de Fréjus(423 morts), celle qui a eu lieu en Lybie en 2023 (25000 morts)?

    Les barrages ont leur utilité sociale, mais surement pas celle de protéger les populations des inondations..

  4. Rien jamais ne peut contenir une crue telle celle vécue par les habitants de la province de Valence en Espagne. Seule la prévention en amont du phénomène peut permettre de sauver de nombreuses vies. Pour cela, il faut informer le citoyen, le convaincre des risques encourus et lui indiquer comment et où se mettre à l’abri. Et puis, évidemment, il convient de mettre en œuvre la technologies moderne pour prévenir d’un danger en formation à l’occasion de fortes pluies : capteurs de niveau et de débit en temps réel des cours d’eau, vidéo surveillance, alerte téléphonique et/ou sonore près les populations, etc. etc.

    • Prévention, certes, mais petit rappel : selon les enregistrements meteo pour la région de Valence (Esp.), 18 cm de pluie en 1 heure à certains endroits, Cumul annuel dépassé en environ 3 heures. Juste le temps de rentrer du supermarché (sans compter les bouchons dus aux trombes d’eau). Il va falloir être très réactif.

  5. “De construire des ponts avec le moins de piliers possibles dans le lit du fleuve. Ou, à défaut des piliers fins, et bien profilés pour favoriser l’écoulement de l’eau”.
    Cela fait bien longtemps maintenant que les études hydrauliques sont obligatoires dans les projets de construction de ponts et que les impacts sont mesurés au centimètre près lorsque les zones en amont et en aval sont urbanisées ou industrialisées (la précision du cm me fait d’ailleurs toujours sourire… ).
    On ne dit pas piliers mais piles.
    Cordialement

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