Depuis 10 000 ans, l’Holocène (la période interglaciaire actuelle) montre une alternance d’optima et de minima climatiques avec une cyclicité parfois millénaire. L’époque fraîche la plus récente est appelée Petit Âge Glaciaire et se situe entre 1550 et 1850. Une des conséquences les plus spectaculaires de ce refroidissement général est l’accroissement des glaciers. Il s’observe sur tous les glaciers de la planète, seules les chronologies de début, de fin et de paroxysmes diffèrent selon les régions du globe (Francou, 2007).
Inversement depuis la sortie du petit âge glaciaire à la fin du 19ème siècle tous les glaciers sont en recul. La coïncidence temporelle de ce repli avec l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est souvent citée comme preuve du réchauffement climatique anthropique. Mais la corrélation est douteuse : la régression des glaciers a commencé avant le début de l’ère industrielle. D’autre part l’alternance au cours du XXe siècle de périodes de crue (entre 1953 et 1981) et de décrues (1942-1953 et à partir de 1981), évoque des cycle climatiques plus que l’effet de nos émissions de gaz à effet de serre.
Enfin la caractère lacunaire des séries de données disponibles limite notre compréhension de la relation entre les changements climatiques et glaciaires à l’échelle régionale et globale.
Près de 200 000 glaciers recensés dans le monde
Un inventaire établi par le Randolph Glacier Inventory répertorie 197 654 glaciers répartis dans 19 régions du monde, pour une superficie estimée à 726 792 km2 (avec une incertitude de ± 35 000 km2) répartis en trois groupes de glaciers : en périphérie du Groenland (90 000 km2), en périphérie de l’Antarctique (135 000 km2) et les glaciers du reste du monde (505 000 km2).
Un nombre réduit de ces glaciers est suivi par des mesures de terrain : le World Glacier Monitoring Service [1] ne dispose des bilans de masse que pour 410 glaciers (soit 0,2% des 200 000 glaciers recensés), dont seulement 37 ont des séries de données supérieures à 40 ans.
Le recours à la modélisation est limité par le caractère lacunaire des séries de données. Ben Marzeion, glaciologue à l’Université d’Innsbruck, indiquait dans un article publié en 2012 dans la revue The cryosphere que notre connaissance du comportement des glaciers est fortement limitée par l’insuffisance des observations : « le sous échantillonnage impose de sévères limites à la modélisation du comportement des glaciers d’une part du fait du faible nombre de paramètres pouvant être déterminés empiriquement, et d’autre part de la fiabilité et le représentativité de ces paramètres ».
La télédétection spatiale est la solution d’avenir pour quantifier le bilan de masse de surface annuel des glaciers mais il faudra attendre des décennies avant de pouvoir disposer de séries de données significatives.
Un bilan de masse global évalué sur la base de 40 glaciers
L’évolution du climat en haute montagne est souvent évaluée à l’aune des fluctuations des fronts des glaciers. Or les variations du front produisent une information où se mêlent l’influence du climat et les caractéristiques morphologiques propres à chaque glacier ; d’autre part, les fronts réagissent aux conditions climatiques avec plusieurs années ou décennies de retard selon les glaciers. Pour étudier la relation entre climat et glaciers, il est nécessaire de connaître les variations annuelles de volume que l’on nomme bilans de masse [2]: les bilans hivernaux (accumulation) dépendent des précipitations hivernales et les bilans estivaux (fusion) dépendent des variations des flux d’énergie en surface (fortement corrélées aux fluctuations des températures estivales). Les premières observations directes des bilans de masse glaciaires datent du milieu du 20e siècle.
La plupart des glaciers ont reculé depuis la fin du Petit Age Glaciaire (vers 1850). Cette décrue aurait tendance à s’accélérer depuis 1990 comme le montre le graphique ci-dessous établi par le World Glacier Monitoring Service dont on rappelle que le référentiel ne comporte que 40 glaciers.
Les Alpes (presque) libres de glace à l’époque romaine.
Selon le géologue suisse Christian Schlüchter [3], les Alpes étaient pratiquement libres de glace à l’époque romaine. Le réchauffement de l’optimum romain a marqué l’ histoire en permettant à Hannibal de traverser les Alpes pendant la 2éme guerre punique comme le rappelle la revue geologierandonneurs.
Lors du petit âge glaciaire, on redoutait l’avancée des glaciers qui menaçaient d’engloutir des villages de montagne, avec pour seul remède connu des processions et des prières, puis des actions de grâce une fois le péril écarté. De 1550 à 1820, ce petit âge de glace s’étend sur 3 siècles en présentant de nombreux maxima, dont celui de 1820 qui termine la période, comme le montre le graphique ci-dessous établi par le glaciologue Sylvain Coutterand:
Les glaciers alpins au 20ème siècle
Une compilation des connaissances disponibles sur les glaciers alpins est disponible sur le site risknat.org.
Selon le site glaciers-climat.fr, les glaciers alpins européens ont perdu environ 30 à 40% de leur surface et environ 50 % de leur volume depuis 1850. Cette régression n’a pas été linéaire et le 20ème siècle peut être avec 2 périodes d’état stationnaire (1907-1941 et 1954-1981) au cours desquelles la masse des glaciers est restée à peu près constante, et 2 périodes déficitaires (1942-1953 et 1982-1999) marquées par une importante réduction de la masse des glaciers. La décennie 1980-1990, les pertes de masses glaciaire auraient augmenté de 50 % par rapport à la moyenne séculaire du 20ème siècle.
Cette évolution est clairement liée à l’élévation des températures dans les Alpes qui serait compris entre 1 et 2°C au 20ème siècle. 1°C de cette augmentation des températures est survenue depuis 1990 (en même temps qu’une diminution des précipitations).
Dans les Alpes françaises
L’analyse des bilans de masse [4] glaciaires français révèle quatre périodes principales :
- Entre le début du 20e siècle et 1941, les glaciers alpins français ont perdu un peu de masse ;
- Entre 1942 et 1953, les glaciers ont subi des déficits importants à cause de précipitations hivernales réduites et d’importantes ablations estivales ;
- Entre 1954 et 1981, les bilans de masse sont généralement positifs et ont induit une période marquée de crue glaciaire (plusieurs centaines de mètres pour le front de la Mer de Glace, le glacier d’Argentière et des Bossons dans le massif du Mont Blanc) ;
- depuis 1982, les bilans de masse sont en déficit à cause d’un niveau élevé d’ablation estivale (de 1.9 mètres à 2.8 mètres à 2 800 m d’altitude).
Quatre glaciers [5] voisins du massif du Mont Blanc montrent des variations de longueurs assez semblables avec une crue vers 1890, une autre vers 1920, et une troisième vers 1960, le tout superposé sur une tendance généralement décroissante. La décrue de 1940, la plus forte de ce siècle, a profondément marqué les paysages glaciaires des Alpes.
La fonte des glaciers alpins était plus importante dans les années 1940 que de nos jours
Trois chercheurs suisses ont publié dans la revue Geophysical Research Letters un article [6] montrant un taux de fonte dans les années 1940 plus important que celui de la période actuelle attribuable selon ces chercheurs à une irradiance solaire plus élevée pendant les mois d’été.
Glaciers alpins et glaciers Scandinaves en opposition de phase sous l’effet de la NAO
Selon une étude publiée en 2001 [7] par des scientifiques français, les glaciers alpins régressent, en opposition avec les glaciers scandinaves (Norvège et Suède) qui voient leurs longueurs, surface et volume augmenter. Le graphique ci-dessous représente l’évolution du bilan moyen de glaciers représentatifs de ces deux régions (9 glaciers alpins, 7 glaciers scandinaves) sur la période 1967 – 1997. On constate que, sur ce laps de temps, les bilans de ces deux régions varient de façon opposée.
Selon cette étude l’oscillation Nord-Atlantique (NAO) est l’origine commune aux variations décennales de ces glaciers. Le glaciologue Louis Reynaud (CNRS) qui a participé à l’étude indique que « cela suggère qu’il a existé ces dernières décennies des cycles d’une durée décennale où les conditions de régime dépressionnaire sur l’Atlantique Nord favorisent successivement, en moyenne, l’alimentation des glaciers scandinaves (indices NAO positifs) puis des glaciers alpins (indices NAO négatifs) ». Mais il ajoute : « les reconstitutions antérieures aux années 1960, bien qu’encore partielles, suggèrent cependant que de plus amples variations existent comme le grand recul glaciaire ayant eu lieu dans les années 1940-50, recul commun à la fois aux glaciers scandinaves et aux glaciers alpins ».
Les glaciers des Pyrénées
On compte une trentaine de glaciers dans les Pyrénées qui sont du fait de leur faible taille très vulnérables aux changements climatiques.
Vers 1850 on comptait environ 23 km² de glace répartis sur 90 glaciers. Depuis 2001, la superficie des glaciers pyrénéens est passée de 5 km2 à 3 km2 et une quinzaine de glaciers ont disparu. Selon la revue Sud-Ouest Européen le retrait des glaciers pyrénéens entre 1850 et 2007 (mesuré sur 17 glaciers) serait de 725 m. Les deux glaciers principaux (Ossoue et la Maladeta) perdraient environ 1,20 mètre d’épaisseur chaque année.
Comme dans les Alpes les glaciers pyrénéens ont énormément régressé dans les années 1940, une période qui est analogue à celle que l’on connait aujourd’hui. La tendance générale à la régression est entrecoupée de stabilisations voire de légères progressions des glaciers, comme dans les années 1970. Pierre René (Association pyrénéenne de glaciologie), indique dans Sud-ouest que si les années 2012 et 2015 ont été particulièrement défavorables les glaciers se sont maintenus en 2013 et 2014. Globalement Pierre René confirme une régression de la superficie des glaciers pyrénéens de 40% depuis 2001.
El Niño explique l’évolution récente des glaciers andins
Les glaciers andins ne couvrent qu’une très petite superficie du globe (de l’ordre de 1900 km2). mais représentent la quasi totalité des glaciers tropicaux. Le magazine en ligne Futura leur a consacré un article en 2009 à l’occasion d’une interview du glaciologue Bernard Francou [8].
Comme dans les Alpes, les glaciers andins ont entamé un lent déclin à la fin du Petit Age Glaciaire vers 1880-1890. Après les hauts et les bas des années 1920-1970, une très forte déglaciation a commencé à partir de 1975. Selon Bernard Francou, ce basculement est le signe que le climat des Andes a profondément changé au cours de ces 35 dernières années. Il explique que les glaciers andins sont très sensibles aux variations climatiques engendrées par le phénomène El Niño. Or depuis 1976, les conditions El Niño prévalent, mettant en place des conditions anormalement chaudes sur les hautes Andes et provoquant une forte rupture d’équilibre des glaciers à partir de cette date.
Bernard Francou qui travaille sur les effets respectifs du phénomène El Niño et du réchauffement global sur l’évolution des glaciers andins convient que la séparation de ces deux signaux n’est pas simple car le Pacifique équatorial, du fait de la dynamique de son immense réservoir d’eau chaude qui tend à se déplacer périodiquement d’Asie vers les côtes américaines, contrôle une partie importante de la variabilité du climat à l’échelle de la planète toute entière.
87% des 2018 glaciers de l’Himalaya sont stables depuis 2001
Une récente étude conduite par l’organisation Indian Space Research Organisation (ISRO) en collaboration avec le Ministère de l’environnement et des forêts (MoEF) sur l’évolution de 2018 glaciers de l’Himalaya entre 2004 et 2011 a produit les résultats suivants :
- 87% des glaciers ont des fronts stables ;
- 18 glaciers avancent ;
- 248 (sur un total de 2018 glaciers) sont en retrait ou fondent.
Même s’il n’est pas exhaustif, ce bilan est plutôt rassurant.
Conclusions
L’attribution de la régression mondiale des glaciers depuis 1850 à nos émissions de gaz à effet de serre relève d’une coïncidence temporelle et non d’une relation de causalité.
Selon certains auteurs c’est la baisse de l’activité solaire qui serait à l’origine du Petit Âge Glaciaire. Or S.K.Solanki [9], de l’Institut Max Planck (recherche sur le système solaire), montre qu’avec le cycle 24, l’un des plus faibles de l’histoire, le soleil sortirait d’une période de cinquante à soixante ans d’intense activité solaire sans équivalent depuis huit mille ans. Information corroborée par le Dr. David Hathaway chercheur au « Marshall Space Flight Center » de la NASA selon qui les 10 cycles solaires les plus intenses se sont produits dans les 50 dernières années. La Royal Astronomical Society prévoit de son côté que l’activité du soleil pourrait baisser de 60% lors du 26ème cycle (2030-2040).
Dès lors il n’est pas absurde de penser que l’évolution à long terme des glaciers est pilotée par l’activité solaire, même si sur de courtes périodes (décennales), d’autres mécanismes sont probablement à l’œuvre et notamment les oscillations océaniques (NAO, El Niño).
La science n’a en tout cas pas apporté de réponse convaincante à la question de savoir pourquoi les glaciers ont tous reculé vers le milieu du 19ème siècle, bien avant l’augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère.
[1] Pfeffer & al ont publié en juin 2014 une synthèse des publications antérieures dans la revue Journal of Glaciologie. Voir aussi Global Terrestrial Network for Glaciers.
[2] Un glacier est composé de deux zones distinctes : la zone d’accumulation, où l’accumulation annuelle de neige est plus importante que la fonte et la zone d’ablation où la fonte est plus importante que l’apport de neige. Ces deux régions sont séparées par la ligne de névé (ou ligne d’équilibre glaciaire). Le bilan de masse est positif dans la zone d’accumulation, négatif dans la zone d’ablation et nul à la ligne d’équilibre. Le bilan de masse annuel est la différence entre l’accumulation et l’ablation du glacier.
[3] Professor emeritus for Quaternary Geology and Paleoclimatology at the University of Bern in Switzerland. He has authored/co-authored over 250 papers
[4] Les données suivantes proviennent du rapport de l’ONERC et du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Grenoble.
[5] Une histoire de la Mer de glace (dont l’étiage d’aujourd’hui est proche de celui la période médiévale) a été reconstituée par le glaciologue Sylvain Coutterand .
[6] «Strong Alpine glacier melt in the 1940 due to enhanced solar radiation»
[7] Bilans de masse des glaciers alpins et scandinaves,leurs relations avec l’oscillation du climat de l’Atlantique nord
[8] Bernard Francou est Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). il contributeur aux travaux du Giec
[9] The nature of solar brightness variations (Nature Astronomy 21 août 2017)