Par Roy Spencer (traduction de l’article publié le 15 mai 2020)
Résumé: Les niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2) continuent d’augmenter malgré le ralentissement économique mondial lié à la pandémie du COVID-19. La réduction estimée des émissions de CO2 (environ -11% dans le monde en 2020) est trop faible pour être observable dans un contexte de grande variabilité naturelle. La réduction de l’activité économique devrait être 4 fois supérieure pour stopper l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère.
Des modifications du réservoir atmosphérique de CO2 se produisent lorsqu’il y a un déséquilibre entre les sources et les puits de CO2. Les émissions naturelles terrestres et océaniques de CO2 dans l’atmosphère sont environ 30 fois supérieures à celles provoquées par les humains en brûlant des combustibles fossiles, mais les puits de carbone absorbent également environ une quantité égale de CO2. Il s’agit du cycle mondial du carbone , entraîné principalement par l’activité biologique.
Il y a des variations dans le cycle naturel du carbone, comme pendant les événements El Niño (plus de CO2 s’accumule dans l’atmosphère) et La Niña (plus de CO2 est éliminé de l’atmosphère). Les incendies de forêt libèrent plus de CO2, tandis que les éruptions volcaniques majeures conduisent (paradoxalement) à davantage de photosynthèse en augmentant la proportion de lumière diffuse qui atteint la surface de la Terre amenant une élimination supplémentaire du CO2 de l’air. Les variations les plus spectaculaires sont saisonnières, car l’hémisphère Nord dominé par les terres connaît un cycle annuel de croissance de la végétation (élimination du CO2) et de décomposition (libération de CO2).
L’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère , observée depuis les années 1950 est très probablement dominée par les émissions anthropiques de CO2, qui sont à elles seules deux fois plus importantes que celles qui seraient suffisantes pour expliquer l’augmentation observée. Comme je l’ai montré dans un article récent un modèle simple de budget CO2 basé sur (1) les estimations des émissions anthropiques mondiales annuelles de CO2, (2) l’activité El Niño et La Niña , et (3) un taux d’élimination du CO2 qui serait proportionnel à la quantité «supplémentaire» de CO2 dans l’atmosphère par rapport à un niveau de CO2« de référence », donne un excellent ajustement aux observations annuelles de CO2 à Mauna Loa (Hawaï).
Mais il s’agit de mesures annuelles, et nous voudrions savoir si le récent ralentissement économique mondial apparaît dans les données mensuelles de CO2 fournies par l’observatoire de Mauna Loa. Si nous éliminons les grandes variations saisonnières (entraînées par la croissance saisonnière et la décomposition de la végétation de l’hémisphère Nord), nous ne voyons aucune trace du ralentissement économique jusqu’en avril 2020.
Comme on peut le voir sur la figure 2, il y a des variations mensuelles assez importantes à la hausse et à la baisse autour de la tendance moyenne à long terme (représentée par la ligne pointillée). Il s’agit probablement de variations naturelles dues aux fluctuations des variations saisonnières moyennes de la croissance et de la décomposition de la végétation, de l’activité des incendies de forêt et de l’activité El Niño et La Niña (qui sont imparfaitement neutralisées dans la ligne bleue continue de la figure 2). Des variations de l’activité économique pourraient également être impliquées dans ces fluctuations.
Le fait est qu’étant donné les grandes variations d’un mois à l’autre des sources et des puits naturels de CO2 illustrés sur la figure 2, il est difficile de voir l’effet d’un ralentissement de la source anthropique de CO2 sauf si celle-ci était très important (plus de 50% ) et se prolongeait (pendant un an ou plus).
L’agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) estime de son côté que le ralentissement économique mondial de cette année due à la propagation du nouveau coronavirus ne représentera qu’une réduction d’environ 11% des émissions mondiales de CO2. La diminution des émissions de CO2 est trop faible pour apparaître dans un contexte de variabilité naturelle considérable (mensuelle et annuelle), du budget de CO2 atmosphérique.
Cette réduction relativement faible de 11% illustre également à quel point l’humanité est dépendante de l’énergie, car la perturbation économique conduit à des taux de chômage aux États-Unis inconnus depuis la Grande Dépression des années 1930 . Tout ce que les humains font nécessite un accès à une énergie abondante à un coût abordable, et même le ralentissement économique actuel ne suffit pas pour réduire considérablement les émissions mondiales de CO2.
ADDENDUM: Quel niveau de réduction des émissions de CO2 serait-il nécessaire pour arrêter l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 ?
Un aspect intéressant de l’augmentation observée du CO2 atmosphérique est qu’il indique que plus la concentration de CO2 est élevée, plus le CO2 « en surplus » est éliminé rapidement par l’activité biologique. Le taux annuel d’élimination observé est de 2,3% de l’excédent au-dessus d’une ligne de base de 295 ppm. Plus « l’excès de CO2 » est important, plus le taux d’élimination est rapide.
En raison de ce taux d’élimination rapide, il n’est pas nécessaire que les émissions anthropiques de CO2 descendent jusqu’à Zéro pour arrêter l’augmentation observée du CO2 atmosphérique . En utilisant mon modèle simple (ligne bleue sur la figure 1 ci-dessus), je trouve qu’une réduction de 43% des émissions anthropiques de CO2 en 2020 suffirait ( en l’absence de fluctuations naturelles du cycle du carbone) pour arrêter la hausse observée de CO2 atmosphérique en 2020 par rapport au niveau de 2019. C’est environ 4 fois plus que l’estimation faite par l’EIA d’une réduction de 11% des émissions de CO2 pour l’année 2020.