Rémy Prud’homme
Comme vous savez, le dramatique réchauffement de la planète engendre à la fois d’épouvantables sécheresses et d’horrifiques inondations, qui sont en train de réduire drastiquement la production agricole, et qui vont inéluctablement nous faire tous mourir de faim. Sauf si nous multiplions immédiatement par dix le nombre des éoliennes et des panneaux solaires à grand coup de subventions.
Au dérèglement intellectuel ambiant, Le Figaro du 11 juin, l’un des journaux les plus sérieux de France, ajoute une touche nouvelle. Il écrit : « Les basses températures de l’est de l’océan Pacifique risquent d’aggraver la sécheresse en Afrique et les inondations en Asie », citant sans beaucoup de recul de soi-disant scientifiques.
Le hasard fait en effet que depuis un an ou deux, un phénomène météorologique bien connu, la Nina, refroidit une partie de l’océan Pacifique. Ce phénomène ne dit bien entendu rien du tout sur l’évolution à moyen terme du climat de la planète. Mais on pourrait imaginer qu’il incite les catastrophistes à un peu de prudence et de modération. Si le réchauffement engendre la fin du monde, le refroidissement devrait avoir l’effet inverse, et freiner notre glissade vers l’apocalypse. On pourrait s’en féliciter. Et bien pas du tout. Pour les collapsologues qui nous éclairent et pour ceux qui nous gouvernent, ce refroidissement est primo causé par le réchauffement, et secondo va accélérer la chute finale. On doit s’en désoler. Aristote et Descartes, s’ils lisent le Figaro, doivent bien rigoler.
Pour ceux qui aiment autant les données que les raisonnements, on a cherché à savoir si le modeste mais réel réchauffement des 20 dernières années se traduisait bien dans les faits par une diminution (absolue ou relative) de la production agricole, et par l’aggravation de la faim dans le monde. Les Nations-Unies entretiennent une institution spécialisée dans l’agriculture et l’alimentation, la FAO. Cette organisation produit des données chiffrées qui sont à la fois crédibles et facilement accessibles sur internet (FAOSTAT). Que nous disent-elles ?
Que la production agricole mondiale par habitant est pour 2000-2020 en augmentation constante. Elle a augmenté pour les céréales de 11% ; pour l’alimentation de 19% ; pour le lait de 21%. En d’autres termes, la production agricole augmente indiscutablement plus vite que la population. En conséquence, rapporte la FAO, la sous-alimentation est passée de 13% à 9% (de la population totale), soit une diminution de 30%.
Mais, diront les esprits chagrins, cela n’est pas vrai pour l’Afrique ou l’Asie. Faux, heureusement. En Afrique la production de céréales, toujours pour la période 2000-2020, et répétons-le, par habitant, a pratiquement doublé. Dans ce continent, la sous-alimentation est passée de 29% à 22%, soit une diminution de 24%. En Asie de l’Est et du Sud, la réduction de la sous-alimentation est encore plus spectaculaire : de 77%. En réalité, les famines d’origine agricole ont complètement disparu ; ne subsistent, hélas, que des famines d’origine militaire causées par des guerres civiles ou inter-étatiques.
Bien entendu, ce taux de 22% de la population africaine en situation de sous-alimentation reste dramatiquement trop élevé encore, et tout doit être fait pour le réduire. Mais l’essentiel est que partout dans le monde, la faim recule, et que les hommes, les femmes et les enfants mangent plus et mieux – et meurent moins – qu’à aucune autre époque de l’histoire de l’humanité.
Ce progrès spectaculaire est intervenu alors que les émissions annuelles de CO2, et la teneur de l’air en CO2 ont dans la même période considérablement augmenté (de 44% pour les émissions, de 12% pour la teneur). Tous ceux, et ils sont nombreux, qui nous ont il y a vingt ans, au nom de la science, affirmé que l’augmentation du CO2 allait inéluctablement aggraver la situation alimentaire du monde, et en particulier celle des pays pauvres, se sont lamentablement trompés.
Ils ne veulent pas le reconnaître, et répètent leurs prévisions apocalyptiques. Elles se révéleront peut-être justes (qui sait ce que l’avenir nous réserve ?). Mais n’est pas Saint Jean qui veut, et le moins que l’on puisse dire est que leurs prophéties appellent réalisme, scepticisme, et prudence.