Le bluff de la sixième extinction

Par Olivier Postel-Vinay

L’homme est-il en train de provoquer la «sixième extinction» ? La formule s’est imposée dans les médias. Elle fait le titre d’un livre d’une journaliste du New Yorker, Elizabeth Kolbert (1). De fait, elle est employée par une bonne partie de la communauté scientifique travaillant sur la biodiversité. L’idée est simple. La Terre a connu cinq épisodes majeurs d’extinction des espèces. La dernière, celle qui a fait disparaître les dinosaures, remonte à 66 millions d’années. La sixième serait d’un genre inédit : due à Homo sapiens. A première vue, ce n’est pas invraisemblable. Nous sommes des prédateurs. Au Paléolithique, nous avons peut-être détruit la mégafaune. Avec l’invention de l’agriculture, nous avons transformé l’environnement. Avec l’industrialisation, l’explosion démographique et les transports, nous avons achevé de bouleverser la plupart des écosystèmes. Outre les amphibiens, qui «ont le triste honneur d’être reconnus comme la classe d’animaux la plus menacée du monde», écrit Kolbert, «on estime qu’un tiers de tous les coraux bâtisseurs de récifs, un tiers de tous les mollusques d’eau douce, un tiers des requins et des raies, un quart de tous les mammifères, un cinquième de tous les reptiles et un sixième de tous les oiseaux sont en voie d’extinction». Or, «chaque fois que l’on pousse l’analyse assez loin, on finit par retomber immanquablement sur le même coupable : la fameuse “chétive espèce” de notre commencement». D’autant que le réchauffement climatique n’annonce rien de bon. «En 2050, il aura condamné à mort un million d’espèces», clamèrent la BBC et bien d’autres médias en rendant compte d’un article publié dans Nature en 2004. «Des études plus récentes ont donné des résultats divergents», note Kolbert. Mais dans l’ensemble, elle n’évoque pas les nombreux articles de scientifiques qui mettent en garde contre les jugements à l’emporte-pièce. Le lecteur naïf achèvera son livre avec le sentiment que le sujet fait consensus. C’est tout à fait inexact. La journaliste mentionne, mais pour s’en débarrasser aussitôt, l’idée soutenue par des chercheurs peu suspects de climatoscepticisme que le réchauffement devrait tendre à accroître et non réduire la biodiversité. Autre exemple, elle reprend à son compte le point de vue qu’en raison de l’«acidification des océans» les récifs coralliens auront disparu avant la fin du siècle, et avec eux la riche biodiversité qu’ils entretiennent. Elle ne cite pas les avis contraires, comme cette méta-analyse de 2009 selon laquelle «il est douteux que la diversité marine sera impactée de manière significative au vu des taux d’acidification prévus pour le XXIe siècle». Ceux que le sujet intéresse devraient lire un article publié au printemps sur l’excellent magazine en ligne Aeon (2). Son auteur est Stewart Brand, vieux briscard de l’écologisme américain. Articles scientifiques à l’appui, il affirme : «L’idée que nous nous dirigeons vers une extinction massive n’est pas seulement fausse, c’est une recette pour la panique et la paralysie.» Le problème n’est pas la disparition d’espèces entières, mais «le déclin des populations animales sauvages», qui porte atteinte à la santé des écosystèmes. Il montre l’incertitude dans laquelle sont les scientifiques à propos de la sixième extinction. Il se moque d’une synthèse récente de Nature où l’on peut lire : «La sixième extinction pourrait survenir dans deux siècles ou quelques millénaires.» Nous ne connaissons aucun exemple d’espèce marine qui se soit éteinte ces cinquante dernières années. Brand évoque aussi le nombre croissant de spécialistes pour qui les efforts de conservation et de restauration menés en divers endroits du monde ont d’ores et déjà supprimé le risque d’extinction pour de nombreuses espèces. C’est le cas pour plus de 800 îles, dont la Nouvelle-Zélande. L’écologiste Stuart Pimm à l’université Duke estime que le taux d’extinction global a déjà été réduit de 75 %. Un autre paradoxe de la situation actuelle est que le rythme de découverte de nouvelles espèces serait trois fois supérieur au rythme d’extinction. Steward Brand s’indigne des simplifications véhiculées par les médias. Mais ceux-ci ne sont que partiellement responsables, car les simplifications sont souvent générées et entretenues par les scientifiques eux-mêmes.

(1) La 6e extinction. Comment l’homme détruit la vie. Editions Vuibert, 2015.

(2) Rethinking Extinction, 21 avril.

Le bluff de la 6ème extinction, par Olivier Postel-Vinay

Libération 01 septembre 2015

 

 

 

 

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