La forêt mondiale est-elle menacée ?

Henri VORON, Ingénieur en chef des Eaux et des Forêts


La forêt mondiale est-elle menacée ? Fort heureusement, il n’en est rien. Plus encore, en raison de la reforestation dans les pays développés, la déforestation mondiale nette a presque cessé.

Cette affirmation contredit des années ou des décennies de discours alarmistes, non fondés, et presque risibles. Récemment, sur la BBC, Deborah Tabart de la « Australia Koala Foundation » a indiqué que « 85 % des forêts avaient disparu au niveau mondial ». Après avoir cherché des preuves à même d’apporter de l’eau au moulin de Deborah Tabart, un article de Green Action News  affirme que 80 % des forêts de la planète ont été détruites. L’ennui avec cette affirmation, c’est que selon les Nations Unies, il reste sur Terre 4 milliards d’hectares[1] de forêts. Pour relativiser, il y a sur l’ensemble du globe terrestre 14,8 milliards d’hectares de terres, dont 10 milliards d’hectares « vivables pour Homme et Plantes, en ôtant les grands déserts froids (Antarctique) ou chauds ». Donc le taux de boisement des terres « habitables » pour l’Homme et les végétaux de notre planète est de 40 %.

Autre perle fine trouvée dans les médias : pour que 80 % des surfaces boisées aient déjà été détruites et pour qu’il en reste 4 milliards d’hectares, il faudrait que 135 % de la surface de la planète aient été précédemment couverts de forêts. L’affirmation de Green Action News implique que non seulement 5,2 milliards d’hectares de déforestation se sont produits sur les océans mais que la totalité des terres émergées de la planète ait déjà été boisée !  On est en plein délire, mais les chiffres absurdes peuvent, hélas, faire mouche dans l’opinion.

La vraie surface forestière sur notre planète

Ces impostures prêtent à sourire, mais la mouvance écologique n’en est pas avare. Quoi qu’il en soit, un peu plus de 31 % de la planète sont couverts de forêts, ceci en comptant l’Antarctique et le Sahara, dans le total des terres émergées. La Terre continue bien à perdre des zones forestières mais il faut prendre en compte le rythme et la localisation de ces pertes. Mais plutôt 40 % si l’on déduit les terres totalement inhabitées car trop froides ou trop chaudes.

Selon la Food and Agriculture Organisation (FAO) des Nations Unies, le rythme annuel de déforestation a diminué de plus de la moitié depuis les années 1990. Entre 2010 et 2015, la Terre a gagné 4,3 millions d’hectares de forêts chaque année, tout en en perdant 7,6 millions par an. Ce qui équivaut à une diminution nette de 0,08 % de zones forestières chaque année. Dit autrement, les reboisements cumulés en 2024, compensent presqu’en totalité les déboisements au niveau planétaire.

Certains esprits chagrins avancent que ces données sont erronées car la FAO inclut dans sa définition des zones boisées les forêts naturelles et les plantations d’arbres. Mais cette critique n’est pas fondée. La FAO indiquait clairement en 2015 que « 93 % de la zone forestière globale, soit 3,7 milliards d’hectares» étaient de la forêt naturelle. Les zones naturelles ont diminué à un rythme moyen de 6,5 millions d’hectares par an sur les cinq dernières années, une réduction par rapport aux 10,6 millions d’hectares par an dans les années 1990. Autrement dit, la perte de forêts naturelles diminue de 0,059 % chaque année et tend vers zéro. Par ailleurs, il n’y a pas de différence environnementale sur le moyen terme entre forêts « naturelles » et forêts issues de reboisement. Ni en termes de fixation du dioxyde de carbone, ni pour la lutte contre l’érosion, ni pour la production d’humus forestier, ni sur la biodiversité animale et végétale. Les reboisements utilisent une plusieurs centaines d’arbres différents au niveau mondial. Une plantation de palmiers à huile est une « forêt » de palmiers, exactement comme nous avons des forêts de chênes ou de pins en France. Ce n’est pas parce qu’on plante des forêts composées d’une seule espèce que la biodiversité est menacée globalement.

Le rôle essentiel du développement économique

La raison pour laquelle la plupart des gens se méprennent sur l’état des forêts dans le monde est que les articles de presse ignorent souvent le boisement. Sur à peu près la moitié de la planète, il y a un reboisement net et cela ne se produit pas malgré le développement économique mais grâce à lui.

Les régions du monde les plus riches, comme l’Amérique du Nord et l’Europe, n’ont pas seulement augmenté leur surface boisée. Elles ont plus de forêts qu’avant l’industrialisation. Le Royaume-Uni, par exemple, a plus que triplé sa superficie forestière depuis 1919. Il va bientôt atteindre des niveaux équivalents à ceux enregistrés dans le Domesday Book, il y a presque un millénaire.

La courbe de Kuznets s’applique aux forêts et à la biodiversité

Il n’y a pas que les pays riches à faire l’objet d’un reboisement net. La « courbe environnementale de Kuznets » est une notion qui suggère que le développement économique mène d’abord à un déclin environnemental qui commence à s’inverser après une période de croissance. Une fois que les pays atteignent ce que Ridley nomme la « transition forestière », soit environ 4500 dollars de PIB par habitant, les zones boisées commencent à croître. Parmi les pays qui ont atteint cette phase de transition et constatent un reboisement net, la Chine, la Russie, l’Inde, le Vietnam et le Bangladesh.

Les pauvres ne peuvent pas vraiment se permettre de se préoccuper de l’environnement car d’autres priorités – comme la survie – importent plus. Si cela implique qu’un animal rare soit tué et mangé, alors soit. « L’environnement est un produit de luxe » affirme un article publié par l’Institut Adam Smith, « c’est une chose pour laquelle nous dépensons plus de notre revenu, à mesure qu’il augmente. ». En termes plus savants, emprunté à la science économique, on peut dire que l’élasticité des dépenses pour l’environnement par rapport au revenu national (PIB) est inférieure à 1 dans les pays les moins avancés mais qu’elle devient supérieure à 1 dans les pays riches.

Une étude récente de l’Université d’Helsinki souligne qu’entre 1990 et 2015, dans les pays à hauts et moyens revenus, la surface forestière annuelle a crû de respectivement 1,31 et 0,5 % alors que dans 22 pays à faibles revenus elle a diminué de 0,72 %.

La courbe Kuznets n’est pas seulement applicable aux zones forestières mais aussi à la biodiversité. Ridley donne l’exemple de trois grands prédateurs : les loups qui vivent dans les pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord, les tigres principalement en Inde, en Russie et au Bangladesh où les revenus sont d’un niveau intermédiaire, et les lions, en Afrique subsaharienne pauvre. Selon la courbe de Kuznets, le nombre de loups augmente rapidement, les tigres sont stables depuis 20 ans et commencent tout juste à augmenter alors que le nombre de lions continue de diminuer.

En effet, selon Grossman et Krueger (1994), la courbe de Kuznets s’observe dans le domaine de l’environnement. Cette courbe, malgré son nom, ne provient pas des travaux de cet économiste. Il est dit que beaucoup d’indicateurs de santé comme l’eau ou la pollution de l’air montrent une courbe en U inversé au début du développement économique : on se soucie peu de l’environnement et de la hausse de la pollution ainsi que du déboisement, qui vont de pair avec l’industrialisation. Lorsque les besoins primaires sont pourvus, on atteint un seuil où le souci pour l’environnement s’accroît et où la tendance s’inverse. La société a alors les moyens et la volonté de réduire le niveau de pollution ou de déboisement.

On peut observer également à ce stade, que dans les pays tropicaux et équatoriaux, la chaleur ambiante rend totalement inutile le chauffage domestique. Les besoins en bois de feu se limitent à la préparation des repas. Et les personnes concernées, surtout les femmes, utilisent les déchets de la forêt, dont le bois mort, les déchets de l’exploitation forestière, racines, écorces, petites branches, qui n’ont aucune valeur économique.

Courbe environnementale de Kuznets.

L’urbanisation, l’agriculture intensive et la sortie de la pauvreté sauvent les forêts

Pour encourager le reboisement et la protection de la nature, la réponse est simple : adopter des politiques économiques qui favorisent un développement et une urbanisation rapides. À mesure que les gens s’enrichissent et s’installent dans les villes, davantage d’argent devient disponible pour la protection de l’environnement et plus de terres autrefois agricoles peuvent être restituées à la nature.

Heureusement, les discours alarmistes de la mouvance écologique, fréquemment relayé par la BBC ou autres, étaient erronés. La diminution de la pauvreté mondiale, sans précédent dans l’Histoire et qui s’est produite au cours des 50 dernières années, est corrélée avec l’observation d’une augmentation de leur surface forestière. Rappelons que près de 138 000 personnes sortent chaque jour de l’extrême pauvreté. La déforestation nette annuelle tend rapidement vers zéro et selon les tendances actuelles, dans les prochaines décennies, le reboisement net sera la norme.

Quand Bruxelles s’en mêle en ignorant la vraie situation des forêts de notre planète

Selon un article des pages économiques du Figaro du jeudi 3 octobre 2024, Bruxelles a concocté une loi sur la déforestation. Cette nouvelle législation pour protéger les forêts, devrait interdire la commercialisation dans l’UE de tous les produits comme le cacao, le café, le soja, l’huile de palme, le bois, la viande porcine, le caoutchouc, etc. s’ils proviennent de terres déboisées après 2020.

Cette nouvelle législation parait absurde car, dans un lot de cacao ou de café, par exemple, comment séparer les grains venant d’une « vieille » plantation, ou d’une plantation de 2020, tout en prouvant que cette plantation a été défrichée sur une « forêt » ? En outre, elle est injuste pour des pays dont le seul espoir de développement économique et social repose sur leurs exportations de produits tropicaux ou équatoriaux. Ce texte soulève une levée de bouclier dans tous les pays concernés, africains, asiatiques ou latino-américains. Faut-il rappeler qu’en France, la forêt couvrait 80 % du territoire sous Vercingétorix puis sous Clovis ? A juste titre, le groupe PPE du parlement européen fustige un « monstre bureaucratique » !

Cela n’empêche pas Pascal CANFIN, ultra-écolo, du groupe Renew d’affirmer, que ce texte controversé est nécessaire, car « Les forêts tropicales continuent d’être détruites à un rythme insoutenable » Fin de citation.


[1] FAO Global Forest Resources Assessment – 2015 How are the world’s forests changing?

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5 réflexions au sujet de « La forêt mondiale est-elle menacée ? »

  1. Il y a tout juste 50 ans, en septembre-octobre 1974, j’ai fait mon premier grand voyage à travers la planète : Paris – Anchorage – Tokyo* – Moscou – Paris. Les 10 heures de survol de la forêt russe d’est en ouest (au retour) ainsi que les deux heures de celui de l’inlandsis groenlandais du sud au nord (à l’aller) ont été des moments inoubliables, mais très contrastés. Si j’en juge d’après Google Earth, tout cela n’a guère évolué, les immenses étendues de sapins et de glaciers qui m’ont éberlué alors sont toujours là. Malheureusement, au passage de la ligne de changement de date au milieu du Pacifique, sans m’en rendre compte j’ai définitivement perdu une journée. En pratique, à 80 ans, si mes jours sont maintenant comptés, il n’en manquera toujours un.
    *avec un petit détour par Hiroshima, la peur de ma vie (atterrissage sur une roue par vent latéral)

  2. La première cause de déforestation dans les pays pauvres est … la cuisson des aliments. En effet, pas d’électricité, pas de charbon, pas de pétrole, pas de gaz. Il suffit de voir … les femmes !! he oui, les femmes, porter des fagots de bois sur le dos ou sur la tête.
    En France, la superficie de la forêt a plus que doublé depuis le premier Empire. Cette superficie continue à augmenter, quoiqu’à un rythme plus faible. C’est le charbon qui a d’abord “sauvé” la forêt en se substituant au bois comme source d’énergie. Quel paradoxe aujourd’hui !
    Les Landes ont été la première forêt écologique : il fallait assainir le marais pour lutter contre la malaria (second empire). La forêt des Landes est aujourd’hui le lieu d’une intense activité animale : attention, si vous la traversez en voiture, aux cerfs, biches, sangliers !

    • Le charbon et le pétrole ont sauvé la forêt provençale en rendant obsolètes les ravages causés par la déforestation pour la production de deux produits essentiels jusqu’au début du 19e siècle:
      – Le charbon de bois obtenu par combustion ménagée du bois, indispensable à la production et à la forge du fer.
      – La chaux vive obtenue par calcination du calcaire, matériau indispensable à la construction immobilière et au génie civil.
      Malgré des incendies de forêt spectaculaires attisés par les tempêtes de mistral, l’arrêt de l’exploitation du bois à des fins industrielles, joint aux matériels modernes et aux nouvelles stratégies de lutte contre les incendies, ont fait que la forêt provençale n’a jamais été aussi belle et aussi étendue.

  3. A la retraite depuis plus de 10 ans, j’habite un petit village de « montagne » du centre de la Corse, berceau de ma famille depuis plusieurs siècles. Même s’il est imprudent de généraliser à partir d’un cas très localisé, je voudrais apporter ce modeste témoignage au crépuscule de ma vie. J’ai connu dans les années 50 une terre sans arbres, hormis quelques bosquets de châtaigniers et pour cause , car chaque mètre carré devait être utile à l’alimentation soit des bêtes soit des hommes. L’arbre, ici le chêne vert, était l’ennemi. Des kilomètres de murs de pierres séches soutenaient une terre pauvre essentiellement destinée à la culture extensive de céréales. À proximité des sources, se trouvaient des jardins potagers et des arbres fruitiers. Cette agriculture vivrière a disparu progressivement au début du vingtième siècle en même temps qu’apparaissait l’espoir d’une vie urbaine meilleure. Aujourd’hui, le chêne est redevenu le maître du milieu naturel. Il a reconquis les territoires d’où il avait été éradiqué. Parfois un malencontreux incendie dévoile les anciennes terrasses bâties dans la sueur et la douleur. La persistance de l’idée de la disparition de la forêt est une lubie de citadin déraciné environné de bitume, béton et lampadaires…
    La « nature » est bien plus forte que nous. Elle a effacé en un peu plus de 60 ans, 4 siècles d’occupation humaine.

    • Même observation pour le mélèze dans le Sud des Alpes.
      La forêt de la vallée du Laverq, au Sud Ouest de Barcelonnette, dominée par le glacier de la Blanche, était ravagée à la fin du XIXe siècle par une intense érosion due à une période plus froide et humide qu’actuellement. De puissantes campagnes de reforestation y furent entreprises durant la première moitié du siècle dernier.
      Il est frappant de voir une photo de la maison du garde forestier avant la guerre de 14, dans un paysage lunaire, sans un arbre alentour et de la revoir actuellement, toujours en place, entourée de magnifiques mélèzes de près de 2 mètres de diamètre !

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