Le texte qui suit est la traduction d’un article intitulé « Plausible scenarios for climate change: 2020-2050 » publié le 13 février par Judith Curry (*). Plusieurs scénarios de changement de la température moyenne de la Terre entre 2020 et 2050 sont étudiés dans cet article. La conclusion est que les trois modes de variabilité naturelle du climat, le volcanisme, la variabilité solaire et la variabilité interne devraient agir dans le sens d’un refroidissement au cours de cette période. L’article de Judith Curry a été commenté en France par le professeur Michel de Rougemont.
(*) Judith A. Curry est une climatologue américaine, ex-présidente de la School of Earth and Atmospheric Sciences au Georgia Institute of Technology, où elle a enseigné jusqu’à la fin de 2016.
Tétanisé par l’angoisse d’un réchauffement d’environ 1,5 o C ou 2,0 o C ou plus, par rapport à une époque mythique où le climat aurait été « stable » et (relativement) non influencé par l’homme, nous perdons de vue le fait que nous avons une meilleure période de référence : « la période actuelle ». L’avantage majeur de l’utilisation de « la période actuelle » comme base de référence pour les changements climatiques futurs est que nous avons de bonnes observations pour décrire le climat de cette période.
Alors que la plupart des projections climatiques se concentrent sur 2100, la période 2020-2050 revêt une importance particulière pour plusieurs raisons :
- C’est la période retenue pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) ;
- De nombreuses décisions financières et d’infrastructure seront prises à cette échelle de temps ;
- L’évolution réelle du climat au cours de cette période influencera les points 1) et 2) ci-dessus.
Les modèles climatiques sont peu probants sur les échelles de temps décennales. Pour résoudre ce problème, le CMIP5 et le CMIP6 font des simulations à l’échelle décennale mais initialisées sur une période de 35 ans. Bien que je n’aie pas encore vu de résultats décennaux des modèles CMIP6, je lis cette littérature. La bonne nouvelle est qu’ils arrivent assez bien à simuler l’oscillation multi décennale de l’Atlantique (AMO) sur 8 à 10 ans ; en dehors de cela ils ont peu de capacité globale.
J’ai précédemment critiqué l’interprétation des simulations CMIP5 en tant que scénarios du changement climatique réel; ces simulations montrent plutôt la sensibilité du climat à différents scénarios d’émissions. Ils négligent les scénarios de la variabilité solaire future, des éruptions volcaniques et l’évaluation correcte du phasage et de l’amplitude de la variabilité multi décennale associée aux circulations océaniques. L’argument pour écarter ces facteurs est qu’il sont plus petits que le forçage des émissions. Or, cumulativement et sur des échelles de temps décennales à multi-décennales, ce n’est pas nécessairement vrai.
Et à l’ère du CMIP6, nous avons maintenant suffisamment d’informations et de compréhension pour pouvoir générer des scénarios plausibles de forçage volcanique et solaire pour le 21e siècle; il en est de même pour l’AMO.
J’ai développé une approche semi-empirique pour formuler des scénarios de changement climatique du 21° siècle qui ne dépendent qu’indirectement des modèles climatiques. Plusieurs scénarios ont été générés pour chaque facteur de forçage (naturel et anthropique), en mettant l’accent sur des scénarios plausibles (plutôt que sur des scénarios extrêmes même si ces scenarios ne peuvent pas être complètement écartés).
Remarque: dans ce qui suit, de nombreuses références sont citées. Je n’ai pas eu le temps de rassembler une bibliographie complète, mais j’ai fourni des hyperliens vers les références clés.
Réchauffement climatique d’origine humaine
L’approche utilisée ici est d’utiliser autant que possible les nouvelles informations devenues disponibles pour le CMIP6: nouveaux scénarios d’émission, nouvelles considérations concernant la sensibilité du modèle au CO2 .
Comme pour le récent rapport SR1.5 du GIEC, aucune tentative n’est faite pour utiliser les sorties du modèle CMIP6. À la suite du GIEC SR1.5, les scénarios de réchauffement climatique sont déterminés par des scénarios d’émissions cumulées. Les scénarios d’émissions cumulatives individuelles entre 2020 et 2050 sont ensuite traduits en une augmentation de la température mondiale en utilisant une plage de valeurs de la Réponse climatique transitoire aux émissions cumulées de dioxyde de carbone (TCRE). Cette approche est illustrée par la figure suivante:
Scénarios d’émissions
Pour le prochain AR6 du GIEC, un nouvel ensemble de scénarios d’émissions (SSP) a été publié.
Le rapport sur les perspectives énergétiques mondiales 2019 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) remet en question les projections à court terme du scénario SSP jusqu’en 2040.
Ils ont examiné trois scénarios:
- un scénario sans changement de politique ( Current policy scenario CPS ) où aucune nouvelle politique climatique ou énergétique n’est promulguée par les pays ;
- Un scénario de politique ( stated policies scenario STPS) où les engagements de l’Accord de Paris sont respectés ;
- Un scénario de développement durable ( sustainable development scenario SDS) où une atténuation rapide limite le réchauffement de la fin du 21° siècle à une température bien en dessous de 2 °C. Les scénarios CPS et STPS de l’AIE peuvent être considérés comme des politiques Business as usual avec des politiques ou les engagements actuels sont poursuivis, mais sans qu’aucune politique climatique supplémentaire ne soit adoptée au delà.
La figure 2 compare les projections de l’AIE relatives aux émissions de combustibles fossiles aux scénarios utilisés dans le rapport AR6 du GIEC. La figure indique que les émissions CPS de l’AIE se situent entre les scénarios SSP2-RCP4.5 et SSP4-RCP6.0 et que le scénario IEA STPS est légèrement inférieur à SSP2-RCP4.5.
Compte tenu de ces considérations, je sélectionne un seul scénario : le SSP2-4.5. Pour l’échelle de temps de cette analyse (2020-2050), il y a peu de différence entre les scénarios 4.5 et 6.0, et nous ne sommes pas actuellement sur la trajectoire 7.0.
Cumulative emissions for SSP2-4.5 calculated from 2020 to 2050 are reported in Table 1 for both cumulative CO2 and cumulative C (carbon). Cumulative C is used in calculating the transient climate response to cumulative carbon emissions (TCRE); note that 1000 GtC is the carbon content of 3667 GtCO2.
Les émissions cumulées du scénario SSP2-4.5 calculées de 2020 à 2050 sont présentées dans le tableau 1 à la fois pour le CO2 et le (carbone). Le C cumulatif est utilisé pour le calcul de la réponse climatique transitoire aux émissions cumulatives de carbone (TCRE); notez que 1 000 GtC est le contenu en carbone de 3 667 GtCO 2.
A titre de comparaison, le rapport SR1.5 du GIEC a évalué que la quantité d’ émissions cumulées supplémentaires de CO2 (50th percentile) par rapport à une période de référence 2006-2015 pour maintenir un réchauffement supplémentaire de moins de 0,5 ° C est de 580 GtCO 2, et de 1500 GtCO 2 pour maintenir un réchauffement supplémentaire de moins de 1,0°C
TCRE (réponse climatique transitoire aux émissions cumulatives de carbone)
La conversion des scénarios d’émissions en une augmentation de la température mondiale a traditionnellement été réalisée à l’aide des simulations de modèles climatique. Cependant, les simulations CMIP6 utilisant les nouveaux scénarios SSP et leur analyse sont en cours. Le récent rapport SR1.5 du GIEC a choisi d’utiliser les valeurs de la réponse climatique transitoire aux émissions cumulatives de carbone, ou TCRE, pour relier le changement de température mondiale aux émissions cumulatives dans les scénarios SSP.
La quantité de réchauffement que le monde devrait subir en raison des émissions est approximativement proportionnelle aux émissions de carbone cumulées (pour un aperçu, voir Matthews et al.2018 ). Cette relation entre les températures et les émissions cumulées est appelée réponse climatique transitoire aux émissions cumulées de carbone, ou TCRE. Pour une valeur donnée de la TCRE, nous pouvons calculer la quantité de réchauffement attendue sur une période future en réponse à des scénarios d’émissions cumulées de carbone.
Le rapport AR5 du GIEC a fourni une plage probable pour la TCRE de 0,8 °C à 2,5 °C. Matthews et al. (2018) indiquent que la génération actuelle de modèles les plus complexe présente une plage de valeurs TCRE comprise entre 0,8 et 2,4°C, avec une valeur médiane de 1,6°C. Une estimation de TCRE contrainte par l’observation a donné une plage de confiance de 5% à 95% de 0,7-2,0 ° C, avec une meilleure estimation de 1,35°C (Gillett et al 2013). Une estimation contrainte par observation plus récente fournie par Lewis (2018), a déterminé une meilleure estimation de 1,05°C.
Compte tenu de ces évaluations, je sélectionne les valeurs suivantes de TCRE pour les scénarios: 1,0, 1,35, 1,65 et 2,0 ° C comme constituant une plage de valeurs plausibles.
Le tableau 2 fournit le calcul du réchauffement entre 2020 et 2050, basés sur le scénario SSP2-4.5 pour quatre valeurs de la TCRE. Comme prévu avec la plage de valeurs TCRE utilisée ici, le réchauffement induit par les émissions attendue pendant la période 2020-2050 varie d’un facteur 2 (0,35-0,70).
Projections de la variabilité naturelle du climat
Des scénarios de variations futures pendant la période 2030-2050 sont présentées pour les éléments suivants:
- Variations solaires ;
- Éruptions volcaniques ;
- Variabilité décennale de la circulation océanique.
Variations solaires
En ce qui concerne les scénarios solaires pour le 21°siècle, deux problèmes se posent:
- variabilité de l’irradiance totale solaire (TSI) ;
- quel réchauffement, compte tenu d’une TSI spécifique.
Selon le rapport AR5 du GIEC, l’influence du Soleil sur notre climat depuis l’époque préindustrielle, en termes de forçage radiatif, est très faible par rapport à la variation du forçage radiatif due aux gaz à effet de serre anthropiques ajoutés: 0,05 W /m 2 versus 2,29 W/m 2 . Le message du GIEC est ainsi que les changements dans l’activité solaire sont presque négligeables par rapport au forçage anthropique.
Cette interprétation a été contestée:
- Il existe un désaccord substantiel sur les tendances de l’activité solaire, même à l’ère des satellites. Plusieurs articles de la dernière décennie ont affirmé que l’activité solaire a été dans la seconde partie du 20° siècle plus élevée que jamais au cours des 10 000 dernières années. Certaines études affirment que le Soleil aurait pu contribuer à au moins 50% du réchauffement climatique après 1850 ;
- Le rapport AR5 du GIEC n’a pris en compte que les effets solaires directs sur les températures mondiales. Il a été constaté qu’au cours d’un cycle solaire de onze ans, l’énergie qui pénètre dans le système terrestre est de l’ordre de 1,0 à 1,5 W/m 2. C’est presque un ordre de grandeur plus grand que ce qui serait attendu de l’irradiance solaire seule; cela suggère que l’activité solaire est en tain d’amplifier les processus atmosphériques. Les processus candidats comprennent: changements du rayonnement solaire ultraviolet; des précipitations de particules énergétique ; l’effet du champ électrique atmosphérique sur la couverture nuageuse; les changements de nuages produits par les rayons cosmiques galactiques modulés par le soleil; de grands changements relatifs de son champ magnétique; la force du vent solaire ;
- Les relations entre les variations solaires et le climat de la Terre sont nombreuses et complexes. La plupart d’entre elles travaillent localement et régionalement, et beaucoup sont non linéaires. De fortes influences solaires ont été observées dans l’océan Pacifique et l’océan Indien ainsi que dans l’Arctique, entre autres régions.
Comme résumé par Svensmark (2019), les données satellitaires démontrent que la TSI varie de 0,05 à 0,07% au cours d’un cycle solaire. Au sommet de l’atmosphère, cette variation s’élève à environ 1 W/m2 rapportée à une constante solaire d’environ 1361 W/m2. En surface, la variation n’est que de 0,2 W / m2, après prise en compte de la géométrie et de l’albédo. Les simulations et les observations du modèle ont montré une réponse de la température globale de la surface aux variations de la TSI au cours du cycle solaire de 11 ans d’environ 0,1°C (Matthes et al.2017).
Le cycle solaire 24 actuel est le plus petit cycle de taches solaires en 100 ans et le troisième dans une tendance à la diminution des cycles de taches solaires. Le Soleil se dirige-t-il actuellement vers un nouveau grand minimum ou tout simplement une période de faible activité solaire? De nombreux physiciens solaires s’attendent à ce que le soleil atteigne un nouveau minimum au cours du 21° siècle: un minimum séculaire, bien que certains prédisent un minimum comparable au minimum Dalton ou même au minimum de Maunder.
Dans le modèle CMIP5, les projections climatiques étaient basées sur un scénario soleil- stationnaire, obtenu en répétant simplement le cycle solaire 23, qui s’est déroulé d’avril 1996 à juin 2008, qui est le troisième cycle solaire le plus fort depuis 1850. De toute évidence, un tel scénario stationnaire n’est pas représentatif de la véritable activité solaire, qui présente d’un cycle à l’autre des variations et des tendances. Par conséquent, dans la modélisation CMIP6, des scénarios plus réalistes ont été développés pour l’activité solaire future, montrant une variabilité à toutes les échelles de temps ( Matthes et al.2017 ). Matthes et al. présentent les deux scénarios suivants (figure 3): un scénario de référence et un scénario minimum de Maunder pour la seconde moitié du 21 e siècle.
Si un événement de type minimum de Maunder devait se produire au cours du 21° siècle, quel niveau refroidissement cela causerait-il? Comme résumé par Svensmark (2019), la majorité des reconstructions ne trouvent à l’échelle séculaire que de petits changements dans la production radiative solaire: depuis le minimum de Maunder, la TSI aurait augmenté d’environ 1 W/m2, ce qui correspond à 0,18 W/m2 à la surface de la Terre : c’est du même ordre de grandeur que l’amplitude du cycle solaire de 11 ans. En utilisant un modèle climatique simple, Jones et al. (2012) ont estimé que la réduction probable du réchauffement d’ici 2100 provoqué par un événement de type minimum de Maunder se situerait entre 0,06 et 0,1°C. Fuelner et Rahmstorf (2010) ont estimé qu’un autre minimum solaire équivalent aux minima de Dalton et Maunder provoquerait un refroidissement de respectivement 0,09°C et 0,26°. Meehl et al. (2013) ont estimé un refroidissement de type minimum de Maunder à 0,3°C.
Ces calculs ignoraient les effets solaires indirects, ce qui augmenterait sans doute ces valeurs d’un facteur de 3 à 7. Shaviv (2008) a utilisé les océans comme calorimètre pour mesurer les variations du forçage radiatif associées au cycle solaire. Shaviv a constaté que l’énergie qui pénètre dans les océans au cours d’un cycle solaire est 5 à 7 fois supérieure à la variation de 0,1% de la TSI, ce qui implique nécessairement l’existence d’un mécanisme d’amplification. Scafetta (2013) a montré que la grande variabilité climatique observée depuis l’époque médiévale ne peut être correctement interprétée que dans la mesure où les effets climatiques de la variabilité solaire sur le climat ont été gravement sous-estimés par les modèles climatiques (d’un facteur de 3 à 6). Svensmark (2019) a fait un raisonnement comparable en utilisant les températures de forage pour la période commençant lors de l’optimum médiéval, et a trouvé une amplification du réchauffement d’un facteur de 5 à 7 lié à la baisse de TSI. Si ce niveau d’amplification est inclus, une diminution de la température de surface liée à un événement de type minimum de Maunder pourrait aller jusqu’à 1°C (ou même plus).
Trois scénarios de variabilité solaire sont utilisés ici:
- Aucune variabilité (CMIP5) ;
- Scénario de référence du CMIP6, avec un facteur d’amplification par les effets indirects solaires de 2 ;
- CMIP6 avec un scénario minimum de Maunder, avec un facteur d’amplification par les effets indirects solaires de 4 (NB: la période 2020-2050 a des valeurs de TSI inférieures au scénario de référence, mais le minimum réel se situera dans la seconde moitié du 21°siècle).
Remarque: les valeurs CMIP6 des changements de TSI apparaissent dans la figure 3 (je n’ai pas téléchargé les projections solaires du CMIP6). J’apprécierais grandement d’autres interprétations des valeurs du refroidissement de surface à déduire des scénarios solaires du CMIP6.
Volcanisme
Les simulations du modèle climatique CMIP5 du 21° siècle n’ont pas inclus de forçage radiatif résultant des futures éruptions volcaniques. Bien que les éruptions volcaniques ne soient pas prévisibles, un scénario de forçage radiatif nul des volcans au 21° siècle est une mauvaise hypothèse. Présumer une répétition du forçage radiatif volcanique du 20° siècle n’est pas davantage une très bonne hypothèse.
Au cours de la dernière décennie, il y a eu deux reconstructions paléo climatiques majeures des éruptions volcaniques au cours des derniers millénaires. Gao et al. (2008) ont examiné les enregistrements de carottes de glace et la reconstruction ultérieure des éjections de sulfate produites par les éruptions volcaniques. Une reconstruction plus récente de Sigl et al. (2015) est fournie ci-dessous, présentés en termes de forçage radiatif global des aérosols volcaniques. Ces reconstructions mettent en perspective le niveau relativement faible de l’activité volcanique depuis le milieu du XIX° siècle.
Les éruptions volcaniques étant des événements imprévisibles, elles ont généralement été exclues des protocoles de projection climatique du XXIe siècle. Les projections les plus récentes spécifient le futur forçage volcanique à zéro ou à une valeur de fond constante. Bethke et al. (2017) ont exploré l’impact de soixante “futurs volcaniques” possibles, cohérents avec les enregistrements des carottes de glace, sur les projections de variabilité climatique du modèle norvégien du système terrestre (NorESM; ECS = 3.2C) sous RCP4.5. L’occurrence groupée de fortes éruptions tropicales a contribué à des périodes de froid prolongées telles que le petit âge glaciaire, où les impacts climatiques à plus long terme sont convoyées par des anomalies du contenu thermique des océans et des changements de la circulation océanique. Une activité volcanique extrême peut potentiellement provoquer des périodes de froid anormalement prolongées.
D’après les résultats de Bethke et al. (2017), trois scénarios volcaniques de refroidissement sont utilisés, liés aux valeurs décennales présentées dans la figure 5:
- Pas de forçage ;
- forçage moyen (50° centile) ;
- forçage important (95° centile).
Le tableau 4 montre les scénarios décennaux de refroidissement volcanique, cohérent avec la figure 6.
Variabilité interne
Les variations de la température de surface moyenne mondiale sont également associées à la variabilité interne multi-décennale récurrente associée aux circulations océaniques à grande échelle. Cependant, séparer la variabilité interne de la variabilité forcée n’est pas toujours simple en raison des incertitudes du forçage externe.
On a estimé que la variabilité interne multi-décennale (période de 50 à 80 ans) avait une amplitude crête à crête de la température de surface globale pouvant atteindre 0,3-0,4°C (Tung et Zhou, 2012), représentant environ la moitié du réchauffement de la fin du 20° siècle. DelSole et al. (2010) ont estimé un changement de température mondiale de pic à pic de 0,24°C à partir de la variabilité interne. En revanche, Stolpe (2016) a estimé une amplitude maximale crête à crête de 0,16°C. Knutson et al. (2016) ont utilisé le modèle GFDL CM3, qui présente une forte variabilité multidécennale interne, pour identifier plusieurs périodes dépassant 0,5°C pour la température de surface moyenne mondiale, ce qui indique que les enregistrements de données d’environ 160 ans sont trop courts pour un échantillonnage complet de la variabilité climatique interne multi-décennale.
La plupart des analyses ont identifié la variabilité multi décennale de l’Atlantique comme ayant l’empreinte dominante sur les températures globales et celles de l’hémisphère Nord. L’identification de l’ENSO en tant que facteur de variation des températures moyennes mondiales ou de signal de réponse reste controversée, avec des résultats contradictoires. Bhaskar et al. (2017) caractérise l’ENSO comme un moteur secondaire des variations de la température moyenne mondiale, représentant 12% de la variabilité au cours du siècle dernier, l’ENSO et la température de surface moyenne mondiale s’influençant mutuellement avec des décalages temporels variés.
Le fait de ne pas tenir compte de la variabilité multi-décennale dans les prévisions de réchauffement futur dans divers scénarios de forçage peut entraîner le risque de surestimer le réchauffement des deux à trois prochaines décennies, lorsque l’Oscillation multi-décennale de l’Atlantique (AMO) est susceptible de passer en phase froide.
L’analyse des enregistrements historiques et paléoclimatiques suggère qu’une transition vers la phase froide de l’AMO est attendue avant 2050. Enfield et Cid-Serrano (2006) ont utilisé des reconstructions paléo climatiques de l’AMO pour développer une projection probabiliste du prochain changement d’AMO. La figure 7 montre la probabilité d’un changement d’AMO par rapport au nombre d’années depuis le dernier changement de régime. Le précédent changement de régime s’est produit en 1995; ainsi, en 2020 23 années se sont écoulés depuis le dernier changement. La figure 7 indique qu’un passage à la phase froide devrait se produire au cours des 15 prochaines années, avec une probabilité de 50% que ce changement se produise au cours des 6 prochaines années.
Le moment où le passage à la phase froide AMO va se produire n’est pas prévisible; cela dépend dans une certaine mesure de la variabilité météorologique imprévisible (Johnstone, 2020). L’analyse de Johnstone montre que les changements à basse fréquence des températures de surface de l’Atlantique Nord depuis 1880 sont objectivement identifiés comme une série de changements de régime alternés avec des transitions abruptes (~ 1 an) datées de 1902, 1926, 1971 et 1995 (figure 8). Dans le récent historique (remontant à 1880), ces changements marqués ponctuent des périodes quasi stables plus longues de 24 ans (1902-1925), 45 ans (1926-1970) et 24 ans (1971-1994), tandis que la dernière, et le régime le plus chaud jamais enregistré a persisté avec peu de changement net de 1995 à 2019 (25 ans). Les précédents passages en phase froide de 1902 et 1971 ont eu des amplitudes similaires (-0,2°C), après de longues périodes de chaleur relative (1880-1901), (1926-1970).
Un changement négatif (froid) dans un laps de temps plus court (~ 5 ans) pourrait être possiblement déduit d’une forte baisse de la température de surface SST en 2015 dans l’Atlantique Nord subpolaire, un comportement qui pourrait présager un refroidissement plus large de l’Atlantique Nord basé sur l’apparition précoce du refroidissement de 1971.
Guidé par les analyses ci-dessus, trois scénarios de variation de la température globale associée à l’AMO sont présentés dans le tableau 5.
Scénarios intégraux de changement de température pour 2050
Le changement de température intégral final est la somme des changements de température entraînés par :
- Les émissions (4 scénarios)
- Le volcanisme (3 scénarios)
- L’activité solaire (3 scénarios)
- L’AMO (3 scénarios)
Il existe 108 combinaisons différentes possibles de ces scénarios. Le tableau 6 montre les scénarios de réchauffement les plus élevés et les plus faibles, ainsi que les scénarios présentant les valeurs moyennes.
Toutes les composantes de la variabilité naturelle indiquent un refroidissement au cours de la période 2020-2050. Individuellement, ces termes ne devraient pas être importants dans les scénarios modérés. Cependant, une fois sommés, leur magnitude s’approche de la magnitude du réchauffement associé aux valeurs modérées de la TCRE (réponse climatique transitoire aux émissions cumulées de carbone) soit – 1,35 et + 1,65°C. Si le refroidissement naturel dépasse la valeur attendue, ou si le TCRE est à l’extrémité inférieure (1,0 à 1,35° C), alors il pourrait y avoir un refroidissement net.
La possibilité et la probabilité que des décennies du 21° siècle soient caractérisées par un refroidissement net ont été abordées dans plusieurs articles. Cela dépend de la valeur de l’ECS (equilibrium climate sensitivity) et de l’ampleur de la variabilité naturelle prévue. Knutson et al. (2016) ont utilisé le modèle climatique GFDL (valeur relativement élevée de l’ECS, variabilité interne élevée) pour déterminer que la probabilité d’une tendance à une diminution de la température mondiale pour une période de 20 à 30 ans est de 2%. Bethke et al. (2017) ont utilisé NorESM (ECS = 3.2C) avec RCP4.5. Cet article a examiné la combinaison de scénarios de variabilité interne et d’éruptions volcaniques. Ils ont constaté que les occurrences de décennies avec une tendance GMST négative deviennent plus fréquentes si l’on tient compte du forçage volcanique, la probabilité passant de 10% en NO-VOLC à plus de 16% en VOLC. La probabilité de décennies avec une tendance GMST négative double plus de 4% à 10% si l’analyse se limite à la première moitié du siècle – avant la période de stabilisation du RCP4.5. Le refroidissement induit par les volcans devient de plus en plus important rendant plausibles des tendances de températures neutres ou négatives sur des échelles de temps plus longues, en conjonction avec les effets de la variabilité naturelle interne.
En résumé, une ou plusieurs décennies au cours de la période 2020-2050 avec un réchauffement nul ou même un refroidissement ne nous surprendrait pas.
Conclusions
Trois conclusions principales:
- Nous commençons à réduire l’incertitude sur le niveau de réchauffement induit par les émissions que nous pouvons attendre d’ici à 2050 ;
- Les trois modes de variabilité naturelle (solaire, volcans, variabilité interne) devraient contribuer à un refroidissement au cours des trois prochaines décennies ;
- Selon l’ampleur relative du réchauffement dû aux émissions par rapport à la variabilité naturelle, des décennies sans réchauffement ou même avec refroidissement sont plus ou moins plausibles.
Si vous préférez des scénarios “réchauffistes”, vous pouvez inclure des scénarios avec un RCP7.0 et une TCRE de 2,4°C, mais ces valeurs ne changent pas l’hypothèse fondamentale présentée ici. Vous pouvez également ajouter 1,2°C aux valeurs du tableau 6 pour augmenter la valeur des chiffres. Mais si vous voulez des scénarios plausibles, consultez mon tableau 6, qui je pense limite la gamme de résultats plausibles pour la température moyenne de la surface mondiale de 2020-2050.
Mais qu’en est-il de la deuxième moitié du 21°siècle et de 2100 ? Les incertitudes concernant les émissions sont beaucoup plus importantes dans la 2° moitié du 21°siècle. Les scénarios solaires CMIP6 (Référence et Maunder) montrent plus de refroidissement dans la seconde moitié du 21°siècle. Les éruptions volcaniques pourraient être plus importantes dans la seconde moitié du 21° siècle (ou non). Après la phase froide projetée de l’AMO, un retour à la phase chaude est prévu, mais il n’y a aucune confiance dans la projection d’une AMO en phase chaude ou froide en 2100.
Outre la « joker » des éruptions volcaniques, la grande incertitude concerne les effets indirects solaires. Sur la base de la littérature que j’ai étudiée, les effets des UV solaires sur le climat semblent être au moins aussi importants que les effets des TSI. Un facteur de 2-4 (X TSI) me semble tout à fait plausible, et des arguments sérieux ont été présentés pour des valeurs encore plus élevées. Je note également ici que presque toutes les estimations de l’ECS/TCR à partir des observations ne tiennent pas compte des incertitudes associées aux effets solaires indirects. Scafetta (2013) a inclus les effets solaires indirects dans une estimation de l’ECS et a déterminé une valeur ECS de 1,35°C.
Ni les effets de l’AMO ni les effets indirects solaires n’ont été inclus dans les analyses d’attribution du réchauffement depuis 1950.
Alors, pourquoi cette analyse est importante ?
- Pour ceux qui s’inquiètent des impacts du réchauffement anthropique et de la nécessité d’agir d’urgence pour respecter les délais liés aux émissions, la variabilité naturelle du climat peut aider à ralentir le réchauffement au cours des prochaines décennies, ce qui donnera le temps de prendre des décisions prudentes et financièrement efficaces qui auront du sens à long terme ;
- Le refus d’anticiper des périodes de réchauffement nul voire de refroidissement nuit à la crédibilité de la science du climat et peut diminuer la « volonté d’agir ».