Introduction.
Dans un article paru en juin 2018 sur un autre fil, on avait fait état d’une procédure engagée à l’encontre de l’Union européenne (Parlement et Conseil) par un ensemble hétérogène de familles ou communautés. L’article s’était limité à titre d’exemple au cas – caricatural – d’un restaurateur installé sur la luxueuse île de Langeoog en Basse-Saxe. Au total, il y avait 37 plaignants répartis en une dizaine de groupes opérant dans le domaine de l’agriculture et du tourisme. Le grief invoqué est une insuffisance alléguée de la réglementation climatique de l’UE : notamment les dispositions prises ou envisagées par l’UE pour limiter ses émissions de CO2. Cette affaire vient de trouver son épilogue devant la Cour de justice de l’UE (CJUE).
Contexte général.
La CJUE a été instituée par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Selon l’article 263 du TFUE, la CJUE « contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission (…) et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers (…) (Quatrième alinéa très important pour la suite) : « Toute personne physique ou morale peut former (…) un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».
La CJUE comprend deux juridictions : le Tribunal, qui statue sur les recours en annulation introduits par des particuliers et des entreprises, et la Cour de justice qui traite certains recours en annulation et pourvois.
L’UE a ratifié le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ainsi que l’accord de Paris. A ce titre, l’UE et ses Etats membres se sont engagés conjointement à réduire leurs émissions de GES en 2030 d’au moins 40% par rapport à celles de 1990. Les trois actes litigieux (la directive et les deux règlements) ont été adoptés par l’Union afin de respecter l’accord de Paris en ce qui concerne les « contributions déterminées à l’échelle nationale ». La Cour en rappelle le détail (alinéas 7 à 13 de l’arrêt).
Les requérants demandent l’annulation du « paquet législatif » sur les émissions de GES au motif qu’il n’est pas assez exigeant et préconisent notamment une « réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre comprise, à tout le moins, entre 50 % et 60 % par rapport à leur niveau de l’année 1990 ».
Procédure et historique.
La procédure a été introduite devant le Tribunal de l’UE le 23 mai 2018. Les requérants appartiennent à des familles de six pays de l’UE : Allemagne, France, Italie, Portugal, Roumanie et Suède, ainsi que du Kenya et des Fidji. En substance, le recours des requérants tend 1° à l’annulation partielle d’une directive (2018-410) et de deux règlements (2018-841 et 2018-842) relatifs aux investissements à bas carbone et aux émissions de gaz « à effet de serre » (GES) entre 2021 et 2030 et 2° à obtenir réparation de préjudices allégués, sous forme d’une injonction.
Le Parlement et le Conseil ont contesté l’ensemble des arguments des requérants. Ils ont soulevé une exception d’irrecevabilité en octobre 2018. Les requérants ont répliqué le 10 décembre 2018.
Par ordonnance du 8 mai 2019, le Tribunal a rejeté le recours des requérants et les a condamnés aux dépens (leurs propres dépens et ceux du Parlement et du Conseil).
Le Tribunal a estimé que les requérants ne satisfaisaient à aucun des critères de qualité pour agir requis à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, « Le fait que les incidences liées au changement climatique puissent être différentes à l’égard d’une personne de ce qu’elles sont à l’égard d’une autre et qu’elles dépendent des circonstances personnelles propres à chaque personne ne signifie pas que les actes litigieux individualisent chacun des requérants. En d’autres termes, le fait que les requérants, par les circonstances alléguées, soient affectés de manière différente par le changement climatique ne suffit pas à lui seul à constater la qualité de ces requérants pour intenter une action en annulation d’une mesure d’application générale telle que les actes litigieux » et « les arguments des requérants visant à obtenir que le critère de l’affectation individuelle soit élargi ne sauraient, en tout état de cause, prospérer ».
Les requérants ont introduit un pourvoi le 23 juillet 2019 devant la Cour, demandant l’annulation de cette ordonnance. Par arrêt du 25 mars 2021, la Cour a définitivement rejeté le pourvoi et confirmé l’ordonnance de rejet du Tribunal ainsi que la condamnation des requérants aux dépens. La Cour a donc intégralement suivi l’ordonnance du Tribunal.
Jugement et conséquences.
Les requérants sont déboutés de façon définitive. Cet arrêt ne fait que confirmer une jurisprudence constante de la CJUE concernant la qualité à agir.
Par conséquent, la CJUE n’évoque en aucun cas la question de savoir si les requérants ont ou non subi des préjudices liés au « changement climatique » ni si les dispositions législatives et réglementaires adoptées par l’UE sont suffisantes pour leur éviter de tels préjudices à l’avenir. La CJUE estime qu’il n’est pas de sa compétence d’en juger et encore moins d’enjoindre au Parlement et au Conseil de réformer ces dispositions.
On comprend que l’Union européenne, ventre mou du corps mondial à défaut d’en être resté le nombril, constitue une cible facile. L’UE a déroulé le tapis rouge devant les plaignants « climatiques » en battant sa coulpe en permanence et en adoptant dans l’enthousiasme les conclusions du GIEC et les accords des « COP » dont évidemment celle de Paris (COP21). Elle s’est dotée des dispositions légales les plus contraignantes et les plus détaillées au monde, ce qui offre un champ étendu aux contestations et aux exigences.
Mais devant cette nouvelle offensive, l’UE ne s’est pas laissé faire et a méticuleusement argumenté : on peut penser que l’« arrêt Carvalho » (du nom du premier nom de la liste des requérants) fera date dans la jurisprudence et mettra un terme définitif à toute tentative de la part de particuliers ou de personnes morales d’intenter des actions individuelles à l’encontre de l’UE au titre de sa politique climatique. Il faut espérer que les juridictions nationales des Etats membres imiteront cette fermeté ; certains exemples récents laissent craindre que ce ne soit pas le cas.
On ignore si les requérants envisagent de se retourner par d’autres voies vers des juridictions internationales (Cour européenne des droits de l’homme, Cour internationale de justice). D’une façon plus générale, le contentieux climatique n’est pas près de s’éteindre.
Questions.
Cela étant, il reste un certain nombre de questions.
Toutes ces procédures ont entraîné des dépenses certainement élevées, les cabinets d’avocats d’affaires ne travaillent pas pour rien. Qui a payé et qui va payer ? Certainement pas les 37 requérants, familles probablement modestes (dont la liste nominative est donnée en annexe de l’arrêt Carvalho). A-t-on promis à ces familles des compensations ? Comment leur recrutement s’est-il fait et sur quelles bases ?
On ne sera pas surpris de trouver derrière ces plaignants des associations, des « experts » et des cabinets d’avocats spécialisés. L’ONG allemande « Protect the Planet » est censée assumer les frais de procédures (mais enfin l’argent ne lui tombe pas du ciel ?) ; l’initiative est aussi appuyée par « Climate action network Europe » et quelques autres de la même mouvance.
Qui a convaincu ces familles de s’engager dans cette affaire ridicule ? Qui sont ces nouveaux chasseurs de primes à la recherche d’honoraires et de renommée ? On note par exemple qu’une des avocates allemandes des plaignants, Roda Verheyen, conseille aussi le paysan péruvien Saul dans sa plainte contre la compagnie énergétique allemande RWE (qui n’a rien à voir avec le Pérou). Elle est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Climate change damage and international law ».
Est-ce une coïncidence si le Kenya, nationalité de sept des requérants, accueille le siège de l’UNEP (co-fondateur du GIEC), qui publie l’état du contentieux climatique, manuel du parfait plaignant ?
Une des clefs de l’affaire est certainement le circuit de l’argent ; un bon journaliste d’investigation nous apprendrait à coup sûr des choses intéressantes.
Codicille.
L’UE a pourtant indirectement donné une certaine satisfaction aux requérants en décidant récemment de porter la réduction des émissions de GES en 2030 à 55% de celles de 1990 au lieu de 40%, ces deux chiffres étant d’ailleurs aussi ridicules l’un que l’autre.
.Il est dommage que l’on ne puisse pas commenter l’article précédent sur la pretendue “révolution'” de lhydrogene qu’on fait miroiter aux esprits simples en leur faisant croire qu’elle va résoudre d’une façon magique la question des émissions de CO2 par les transports. Le plan hydrogène de plusieurs milliards d’Euros est encore un gaspillage d’argent public inutile pour arriver à la conclusion incontournable que, tout en étant techniquement au point, l’hydrogène est un vecteur d’énergie, et non une “source” d’énergie. Thermodynamiquement ce vecteur d’énergie, comparé aux batteries rechargeables de dernière génération va “pomper” 5 fois plus d’énergie dans le réseau pour restituer aux roues des véhicules de quoi faire un kilométrage équivalent.
Ce qui signifie que si l’on utilise l’eau (distillée) à l’exclusion évidente et définitive des hydrocarbures pour en extraire l’hydrogène, il faudra installer en puissance électrique 5 fois plus de centrales nucléaires (qui tournent 24h/24 et n’émettent pas de CO2) ou 20 fois plus de mix eoliennes/panneaux P.V. (qui ne fonctionnent que 1/4 du temps) que si l’on se bornait à recharger des batteries de vécules électriques pour effectuer un kilométrage égal pour les 2 types de propulsion.
Pour 1 kWh restitué aux roues dans les deux cas, il faudra fournir 1,1 kWh pour les véhicules rechargeables et 5 kWh pour les véhicules à l’hydrogène, dont 4 kWh seront purement et simplement perdus sous forme de chaleur dans l’atmosphère tout au long de la chaine
Faire rouler des millions de véhicules à l’hydrogène obligerait donc à une révision déchirante de notre politique énergétique avec pour résultat un gaspillage scandaleux d’une énergie électrique précieuse qui pourrait être utilisée à des fins plus nobles, comme par exemple le chauffage/climatisation de habitations