L’événement climatique de 4200 BP (« Before present »)

Philippe MALBURET

Divers événements historiques n’ont pas trouvé jusqu’à présent d’explications proposées par les historiens. Et pourtant certains d’entre eux pourraient être mis en relation avec les variations climatiques. À la même époque que la chute de l’ancien empire Égyptien, une autre civilisation a disparu : celle des Akkadiens qui dominaient la Mésopotamie. Les explications données récemment par les géologues et les glaciologues recoupent les hypothèses concernant la chute de l’ancien empire Égyptien.

Éléments historiques en Égypte.

La chute du haut Empire Égyptien (environ 2 686 av. JC à 2 181 av. JC), reste toujours un événement mal connu. Rappelons tout d’abord que cette époque, souvent considérée comme la fin de l’âge d’or de cette civilisation hors du commun, était celle des grandes pyramides (Saqqarah). La société égyptienne (période thinique) avait vu la constitution d’un véritable État qui stabilisa politiquement ce pays émergent. Cette stabilité n’était accompagnée d’aucune menace extérieure et jouissait d’une prospérité remarquable. Ce fut l’époque de développements artistiques et architecturaux remarquables. Les grandes Pyramides firent leur apparition, le pharaon occupait une place centrale inégalée par la suite, secondé par une véritable administration. En revanche, il existe peu de documents décrivant et surtout expliquant les événements qui se sont déroulés à la fin de cette époque ; pourtant l’empire Égyptien sombra pendant quelques années dans la plus grande confusion.

Événements climatiques.

Des recherches récentes pourraient fournir une partie de l’explication à la fin brutale de cet empire.

Une équipe de glaciologues américains, conduite par Lonnie Thompson1 a effectué en 2000 des prélèvements de carottes de glace dans la calotte du Kilimandjaro ; elles sont conservées à l’Université de l’État de l’Ohio. Ces carottes concernent toutes la zone tropicale de notre planète.

Une autre équipe de géoarchéologues conduite pas Fekri Hassan2 a effectué des prélèvements dans la vase d’un lac égyptien situé non loin du Caire (lac Moéris).

Ces deux équipes, indépendamment l’une de l’autre, ont pu mettre en évidence une sécheresse particulièrement importante qui se serait produite vers 2200 ans avant notre ère (4200 ans Before Present.) Ces prélèvements ont permis les constatations suivantes :

  • Les carottes de glace du Kilimandjaro3 comportent une couche indiquant que de la poussière saharienne (essentiellement du sable) s’était déposée il y a 4200 ans au sommet de cet ancien volcan. Rappelons à cette occasion qu’avant l’époque dont il est question ici, le Sahara était humide, vert et habité.
  • Les carottes de sédiments du lac Moéris4 (qui permettent de remonter à 10 000 ans avant notre ère), comportent une couche de gypse mélangée à de l’oxyde de fer rouge datée d’il y a 4200 ans. Sachant qu’un tel oxyde ne peut précipiter que dans des eaux peu profondes et riches en oxygène, cette découverte semble corroborer les analyses des glaces du Kilimandjaro évoquant une chaleur subite.

Il est donc tentant de rapprocher ces deux observations.

On peut inférer de ces deux observations qu’un événement climatique important se serait produit il  y a 4200 ans : un épisode de sécheresse particulièrement intense qui aurait laissé des traces dans les glaces prélevées dans la calotte du Kilimandjaro (présence de sable d’origine saharienne), mais aussi dans les  vases du lac Moéris, alors plus étendu qu’aujourd’hui. Le plus étonnant reste que, selon les indications données par ces carottages, cette sécheresse pourrait s’être développée en l’espace de 20 ans, ce qui est très bref. Aucune explication de nature anthropique ne peut, bien sûr, venir au secours de la vitesse du réchauffement.

Cet événement climatique pourrait participer aux explications des événements historiques évoqués ci-dessus. Cette sécheresse aurait partiellement tari le Nil, rendant ses berges improductives. Des désordres s’en seraient suivis qui ont pu contribuer à la chute de l’ancien empire égyptien.

Fig. 1 – Carte de l’Afrique sur laquelle ont été positionnés les lieux dont il est question dans l’article.

Par ailleurs, l’équipe de Lonnie Thompson a également procédé à des carottages dans l’Himalaya et dans les glaces du sommet des Andes, le mont Huascaris (Pérou), qui montrent une couche, datée de la même époque, composée de sédiments qui seraient aussi des preuves d’une sécheresse importante dans la zone tropicale de notre globe.

Les deux équipes de chercheurs impliqués dans ces mesures, pensent qu’il s’agirait d’un seul et  même événement climatique majeur qui aurait pu expliquer la chute de l’ancien empire égyptien.

Fig. 2- Zones géographiques affectées par l’événement climatique de 4200 BP. Les zones hachurées furent le théâtre de sécheresses ou des tempêtes de sable. Celles pointillées connurent des conditions humides ou des inondations. Source : Wikipedia (graphique établi par Jianjun Wang, Liguang Sun, Liqi Chen, Libin Xu, Yuhong Wang & Xinming Wang
Fig. 3– Reconstruction de la température au cours de la période de l’Holocène.
Fig. 4 (gauche) Lonnie Thomson devant la carotte prélevée au Kilimandjaro. Fig. 5 (droite) Carotte de glace prélevée au Kilimandjaro mettant en évidence l’important événement climatique d’il y a 4200 ans.
Fig. 6. (gauche) Fekri Hassan devant la carotte de vase prélevée dans le lac Moéris.
Fig. 7. (droite) Carotte de vase du lac Moéris, mettant en évidence le même événement climatique d’il y a 4200 ans. Source : France 5, Science Grand Format.

Les événements climatiques découverts en Mésopotamie.

Encore très récemment, on a trouvé une explication de nature climatique permettant de comprendre l’effondrement de l’empire akkadien que l’on situe aussi il y a 4200 ans. Cet empire se situait dans la vallée du Khabur, petite rivière située au nord-est de la Syrie, dans la zone frontalière turque.

Cette fois-ci, ce ne sont plus des carottes glaciaires ni des vases, mais des données issues de l’analyse de fossiles de coraux retrouvés près d’Oman.

Fig. 8.- Emplacement du Khabur et des coraux fossiles

Les coraux fossiles qui ont été analysés par une équipe internationale de géologues (Takaaki K. Watanabe, Tsuyoshi Watanabe, Atsuko Yamazaki et Miriam Pfeiffer) ont été trouvés dans le golfe d’Oman. Comme dans le cas de ce qui a été constaté pour l’ancien empire égyptien, il s’agit vraisemblablement d’une très forte sécheresse, accompagnée de vents violents et de poussières qui pourraient expliquer l’effondrement rapide de l’empire akkadien.

Conclusion.

Des événements historiques de 4200 ans BP trouvent une explication cohérente dans  l’événement climatique qui s’est produit à cette époque. Un réchauffement climatique (au moins observable dans les zones tropicales) s’est produit il y a 4200 ans selon un processus très rapide. Aucune cause anthropique datant de cette époque, ne peut justifier de la vitesse à laquelle s’est déroulé u n tel événement. Par ailleurs sa brièveté peut très bien avoir été gommée par les méthodes utilisées pour reconstruire les courbes des températures, ce qui fait qu’il n’apparaît pas sur de telles courbes.


1 Lonnie Thompson est un paléoclimatologue américain. Après s’être intéressé à la météorologie, il s’est spécialisé dans l’étude des carottes glaciaires.

2 Fekri Hassan est un géoarchéologue égyptien, docteur en anthropologie et professeur d’archéologie à l’University Colleg London.

3 Le Kilimandjaro est un  volcan triple situé au nord-est de la Tanzanie. Il est actuellement éteint (il  culmine à plus de  5800 m), ce qui lui permet d’avoir une calotte glaciaire, actuellement en retrait.

4 Le lac Moéris (actuellement lac Qarun) est un lac situé en Basse Égypte, au nord de l’oasis du Fayoun dont il occupait la dépression au temps de l’Égypte ancienne. Il fut en partie asséché par le pharaon Amenenemhat III, puis réaménagé par Ptolémée II. Ses fonds actuellement peu profonds ont été explorés par carottages de la vase qui s’y trouve. Son niveau actuel est de 44 m sous celui de la mer.

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