Par Samuel Furfari (*)
(*) Samuel Furfari est Docteur et ingénieur de l’Université Libre de Bruxelles, il a été haut fonctionnaire européen à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 ans. Il enseigne la géopolitique de l’énergie depuis 21 ans. Son dernier livre est Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée le la compétitivité de l’UE, éditions L’Artilleur, 2024
L’ESG, autrefois perçu comme une force puissante, se révèle être moins impressionnant ou efficace que prévu. De plus, il implique que les fonds de placement, qui étaient auparavant un fervent défenseur de l’ESG, ne soutiennent plus ces critères avec la même vigueur qu’auparavant. Ils réduisent leur soutien aux stratégies ESG et adopté une approche plus nuancée face à l’inévitable croissance de la demande mondiale en énergies fossiles. La remise en question de la transition verte — en dehors de Bruxelles-Strasbourg — a débuté.
La grande remise en question des entreprises vertes a enfin lieu
Tel est le sous-titre d’un article paru dans le Financial Times de ce week-end. On y apprend qu’Hein Schumacher, le nouveau PDG d’Unilever (le géant des biens de consommation), a consterné les défenseurs de l’environnement en revenant sur les références vertes de ses prédécesseurs, et que Jonathan Porritt, un défenseur du développement durable, reconnaît les dangers qu’il y a à se fier à des dirigeants soucieux de l’environnement. Selon lui, cela est dû aux profondes lacunes du concept de durabilité des entreprises en tant que principal moteur de modes plus durables de création et de distribution des richesses. Si je traduis cela dans un langage moins diplomatique, il est gratifiant pour un dirigeant de proclamer des engagements en faveur du développement durable, mais si les entreprises ne font plus de bénéfices, non seulement le développement ne sera pas durable, mais il n’y aura pas de développement du tout.
Dans son récent rapport, Mario Draghi a souligné combien l’UE s’enfonce dans le manque de compétitivité ― et j’ajoute donc dans le manque de productivité et partant de prospérité. Il confirme le sous-titre de mon dernier livre « Énergie, mensonges d’État. La destruction organiser le la compétitivité de l’UE ». Dans mon analyse de ce rapport, je relève qu’il écrit que « si l’UE ne parvient pas à devenir plus productive, nous serons contraints de choisir. Nous ne pourrons pas devenir à la fois un leader des nouvelles technologies, un phare de la responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines de nos ambitions, si ce n’est toutes. […] Nous avons atteint le point où, si nous n’agissons pas, nous devrons compromettre notre bien-être, notre environnement ou notre liberté. »
D’autres vont plus loin que Mario Draghi, car ils ont compris, pour reprendre le titre du Financial Times, que le temps de la « remise en question » de la transition énergétique était venu. Ils commencent à le dire, certes timidement, comme nous allons le voir dans cette tribune.
BlackRock et l’engagement ESG
BlackRock dans son rapport « BlackRock Investment Stewardship. Global Voting Spotlight. Voting in our clients’ long-term financial interests » — un des plus grands fonds de placement qui gère un portefeuille d’environ 9 310 milliards d’euros ― montre un changement important concernant les propositions avancées pour renforcer l’engagement de l’entreprise en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ce rapport rendu disponible en août dernier couvre les activités de vote par du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.
Bien que BlackRock ait historiquement été un fervent défenseur des initiatives ESG, la tendance récente montre une certaine prudence, avec une réduction de son soutien à certaines résolutions ESG proposées par des actionnaires minoritaires. Nous allons présenter cette évolution récente qui découle du scepticisme du monde de la finance sur la transition énergétique. Un total de six propositions ESG ont été soumises par des actionnaires. Parmi celles-ci, deux propositions ont été acceptées, tandis que quatre ont été rejetées. Cette dynamique marque un changement notable par rapport aux assemblées générales précédentes, où BlackRock avait généralement montré un soutien plus fort aux initiatives ESG. Les actionnaires ont présenté plusieurs propositions visant à renforcer les pratiques durables de BlackRock, notamment des appels à une transparence accrue sur les investissements dans des entreprises à forte empreinte carbone et à un engagement plus fort envers les pratiques de gouvernance d’entreprise.
Cependant, la direction de BlackRock a exprimé des réserves, soulignant la nécessité d’une approche équilibrée qui prenne en compte les intérêts financiers à court terme tout en reconnaissant l’importance des enjeux ESG. Cette assemblée générale a également été marquée par une attention particulière aux pressions politiques croissantes, notamment de la part de certains États américains qui ont décidé de ne plus collaborer avec des gestionnaires de fonds qui priorisent les initiatives ESG. Ces développements ont conduit à des interrogations sur la capacité de BlackRock à maintenir son rôle de leader dans le domaine des investissements durables tout en naviguant dans un environnement réglementaire complexe et parfois hostile.
ESG est l’acronyme pour Environnemental, Social et Gouvernance. Ces critères sont utilisés pour évaluer les pratiques d’une entreprise en matière de durabilité et de responsabilité sociale. Le E est un critère qui évalue l’impact d’une entreprise sur l’environnement. Il prend en compte des facteurs tels que les émissions de gaz à efet de serre, l’utilisation des ressources naturelles, la gestion des déchets et la pollution. Le S représente l’objectif social : ce critère examine les relations de l’entreprise avec ses employés, ses fournisseurs, ses clients et les communautés dans lesquelles elle opère. Il inclut des aspects tels que les conditions de travail, la diversité et l’inclusion, les droits de l’homme et l’engagement communautaire. Enfin, la gouvernance (G) est représentée par un critère qui se concentre sur la structure de gouvernance de l’entreprise, y compris la composition du conseil d’administration, la transparence, l’éthique des afaires et les politiques de rémunération des dirigeants.
Les investisseurs se sont précipités sur ces critères ESG pour évaluer les risques et les opportunités à long terme des entreprises, en plus des indicateurs financiers traditionnels, mais nous allons observer que cette tendance s’essoufle.
BlackRock, un des premiers à revoir sa copie
Larry Fink, le PDG de BlackRock a récemment exprimé une vision plus nuancée des initiatives ESG. Dans ses lettres annuelles, il a traditionnellement plaidé pour l’importance des critères ESG dans les décisions d’investissement, soulignant que les entreprises doivent tenir compte des impacts sociaux et environnementaux pour assurer leur viabilité à long terme. Cependant, au cours des dernières années, Fink a également fait preuve de prudence face aux critiques croissantes et aux pressions politiques.
Il a reconnu que l’engagement envers les pratiques ESG doit être équilibré avec les attentes des investisseurs concernant la rentabilité. Dans ses lettres les plus récentes, il a mis en avant l’importance de la transparence et de la responsabilité, tout en soulignant que les entreprises doivent naviguer dans un paysage complexe où les opinions sur les enjeux ESG sont de plus en plus polarisées.
L’évolution de cette tendance peut être attribuée à plusieurs facteurs, notamment une pression politique croissante contre les investissements ESG dans certains États américains et plusieurs états des États-Unis, ainsi qu’une volonté de la direction de BlackRock de se distancier de certaines initiatives jugées radicales ou non alignées avec les intérêts financiers à court terme des actionnaires. Ce recul par rapport à un soutien plus afirmé aux propositions ESG reflète une réévaluation stratégique de la part de cette société, dans un contexte où les attentes des investisseurs et les pressions externes continuent d’évoluer.
BlackRock reconnaît l’importance de générer de solides rendements financiers pour ses actionnaires. Larry Fink souligne que les entreprises doivent tenir compte de leurs impacts sur la société et l’environnement pour assurer leur pérennité à long terme. Pour atteindre cet équilibre, BlackRock s’engage activement auprès des entreprises dans lesquelles il investit, pour les inciter à adopter de meilleures pratiques ESG. Cela passe par un dialogue nourri avec les dirigeants, visant à les convaincre que la durabilité est dans l’intérêt à long terme des actionnaires. Elle intègre de façon systématique les critères ESG dans son processus d’analyse et de sélection des investissements. Cela permet de mieux identifier les risques et opportunités à long terme, au bénéfice des actionnaires. Enfin, BlackRock s’engage à faire preuve de transparence sur la prise en compte des enjeux ESG dans la gestion des fonds. Des rapports détaillés sont fournis aux investisseurs pour leur permettre de suivre l’évolution des pratiques.
Des états des États-Unis ont lancé la charge contre ESG
Comme on l’a dit, la situation des gestionnaires de fonds aux États-Unis face aux stratégies ESG a impacté BlackRock et a obligé les gestionnaires de fonds aux États- Unis à adopter des positions plus nuancées concernant les stratégies ESG. Plusieurs
États américains ont récemment pris des mesures pour limiter la collaboration avec des gestionnaires de fonds qui mettent en avant des critères ESG dans leurs décisions d’investissement.
En 2021, le Texas a adopté une loi (Senate Bill 13) qui interdit aux agences de l’État de faire afaire avec des entreprises qui « boycottent » l’industrie des énergies fossiles. Le contrôleur des comptes publics du Texas a établi une liste de sociétés financières considérées comme boycottant l’industrie des combustibles fossiles, incluant des noms comme BlackRock, BNP Paribas et Credit Suisse. En 2022, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a fait passer une résolution interdisant aux gestionnaires du fonds de pension de l’État de Floride de prendre en compte les facteurs ESG dans leurs décisions d’investissement. Cette mesure vise à s’assurer que les investissements de l’État sont basés uniquement sur des considérations financières. Toujours en 2022, le Kentucky a adopté une loi similaire à celle du Texas, exigeant que l’État cesse de faire afaire avec des banques qui boycottent certaines entreprises énergétiques. Le trésorier de l’État a publié une liste de banques considérées comme boycottant les entreprises énergétiques et le trésorier de l’État de West Virginia a annoncé que l’État cesserait de faire afaire avec plusieurs grandes banques, dont Goldman Sachs, JPMorgan Chase et Wells Fargo, en raison de leurs politiques de réduction des investissements dans l’industrie du charbon. La même année, l’Oklahoma a adopté une loi (House Bill 2034) qui exige que le trésorier de l’État maintienne une liste des institutions financières qui boycottent les entreprises du secteur de l’énergie. Les agences de l’État sont tenues de se retirer des investissements dans ces institutions.
Ces exemples montrent une tendance croissante dans certains États, particulièrement ceux avec une forte industrie des énergies fossiles, à s’opposer aux politiques d’investissement basées sur des critères ESG. Ces États considèrent que ces politiques peuvent nuire à leurs industries locales et à leurs économies.
Le retournement du système financier ― et des autres ― pour permettre l’avenir des énergies fossiles.
La décision de BlackRock de réduire son soutien aux résolutions ESG ainsi que les autres décisions mentionnées signale un tournant dans la manière dont les fonds d’investissement abordent ces questions. Ces gestionnaires sont conscients que les investissements dans les projets d’énergies fossiles continuent d’être décidés partout dans le monde, à l’exception de l’UE. Le développement des énergies renouvelables se poursuit, bien qu’à un rythme moins soutenu ― il sufit d’observer les marches arrière récentes de Shell, BP, Equinor, Vantenfall et tant d’autres — mais cela ne renversera pas la demande en énergie fossile à court terme. Shell, par exemple, a abandonné son objectif de réduction de 45 % de l’intensité nette de carbone en 2035, invoquant l’incertitude quant au rythme du changement dans la transition énergétique.
ll n’y a pas que le secteur bancaire ou énergétique qui prend ses distances avec le rêve vert. Ce 3 septembre, le site Forbes s’interroge : « Pourquoi les grandes entreprises abandonnent-elles discrètement leurs engagements en matière de climat ? » Les géants de l’intelligence artificielle, comme Google ou Microsoft, s’étaient positionnés
comme des leaders en matière d’ESG en se fixant des objectifs ambitieux de consommation nette zéro, comme si soudainement ils avaient trouvé la solution miracle que l’on recherche depuis la première crise pétrolière de 1973. Avec l’essor de l’intelligence artificielle, gourmande en énergie, les positions politiquement correctes sont mises à mal, comme c’est le cas dans le secteur financier. Forbes rapporte que seulement 4 % de ces entreprises sont en passe d’atteindre leurs objectifs de réduction des émissions, ce qui démontre combien leurs annonces étaient infondées. Dans mon livre « Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE » je développe ces incongruités, si présentes dans les institutions européennes, qui ont conduit ― comme Mario Draghi le déplore ― a une perte de compétitivité de l’UE.
En efet, l’électricité ne représente que 22 % de la consommation finale d’énergie dans l’UE, les transports 27 % et la chaleur environ 50 %. En se concentrant uniquement sur l’énergie nucléaire et les éoliennes, les politiciens ne traitent qu’un cinquième de la question énergétique et négligent l’énergie finale la plus importante : la chaleur, l’énergie thermique. Presque toutes les industries continueront à dépendre de l’énergie thermique pour leurs processus : cimenteries, verreries, briqueteries et industries céramiques, mais aussi brasseries, etc. Il en va de même pour de nombreux services qui ont besoin de chaleur en grande quantité, comme les hôpitaux ou les piscines. À court ou moyen terme, critères ESG ou pas, il n’est guère possible de remplacer le gaz et les produits pétroliers qui alimentent ces industries et services par des énergies renouvelables.
Les fonds de placement en ont pleinement conscience et continuent donc d’investir dans ce secteur, reconnaissant que les énergies fossiles joueront encore un rôle important dans le mix énergétique mondial dans les décennies à venir, malgré les soutiens financiers trop généreux pour forcer la pénétration du marché par des alternatives prétendument vertes. Ce changement de cap intervient dans un contexte où plusieurs États américains ont décidé de ne plus collaborer avec des fonds qui mettent en avant des critères ESG, poussant ainsi d’autres gestionnaires de fonds à adopter une approche similaire, alors que les banques de l’UE sont encore dans la doxa de l’ESG ce qui va impacter négativement leur rentabilité.
Dans le rapport mentionné au début, BlackRock écrit « Certaines grandes compagnies pétrolières européennes ont souligné l’importance qu’elles accordent à la rentabilité pour les actionnaires, à l’amélioration des valorisations et à la rationalisation des segments non essentiels [entendez, réduire la voilure verte]. Dans l’ensemble, ces sociétés ont continué à bénéficier du soutien des actionnaires pour leur approche pragmatique visant à équilibrer la demande à court terme des consommateurs en matière de sécurité énergétique ». Car c’est bien là le cœur du problème : l’UE a négligé sa sécurité d’approvisionnement énergétique comme je l’ai mentionné dans une
interview en me référant au livre vert de la sécurité d’approvisionnement énergétique de 2000 que la Commission Prodi avait publié (1).
La décision de BlackRock et d’autres qui ont choisi la même stratégie de réduire leur soutien aux résolutions ESG est logique à la fois pour protéger les actionnaires, mais aussi parce que les critères ESG n’ont aucun impact sur la consommation globale en énergie, sur la nécessité de consommer plus pour les pays africains et somme toute pour la géopolitique de l’énergie c’est-à-dire la marche du monde. Les pays BRICS+ doivent bien rire en voyant l’UE et son système bancaire s’évertuer à coup de milliards à imposer des politiques ESG pendant qu’eux prospèrent.
Les fonds de placement américains et les banques des BRICS ont pleinement conscience que les investissements dans les projets d’énergies fossiles et nucléaires continuent d’être décidés partout dans le monde, à l’exception de l’UE. Les grandes entreprises ont emboîté le pas. Tous continuent donc d’investir dans ce secteur pour assurer la prospérité du monde, car l’énergie est essentielle à la vie. Le Financial Times a peut-être raison de titrer « La grande remise en question des entreprises vertes a enfin lieu », même s’il semble se contredire ainsi après toutes ces années de conviction vertes. Va-t-elle advenir à Bruxelles-Strasbourg ?
(1) « Si l’UE avait suivi le livre vert, nous aurions peut-être pu éviter la guerre en Ukraine » Samuel Furfari Interview). European Scientist, 17/03/2022.
que signifie ESG ? MERCI
ESG : critères environnementaux, sociaux et de gouvernance
Très bon article.
Comme on le voit dans de nombreux pays occidentaux, un “pognon de dingue” part dans la tristement célèbre transition énergétique, sans aucun contrôle et surtout sans aucune analyse factuelle et impartiale quant au retour sur investissement ! Or, nous arrivons maintenant à des niveaux où les Etats ayant pris ces chemins ne peuvent plus assumer. Résultat, les moyens dans la santé ou le régalien sont rognés au profit des politiques dites écologistes… Et c’est la bascule petit à petit vers la faillite budgétaire…
La réalité est un mur qui fait mal !
“”””””””” La destruction organiser le la compétitivité de l’UE,”””””””
Pas de correcteur d’ortografe sur ce site ?
Corrigé, merci
Le début du début de la fin de l’ubuesque mirage écolocollapso….pas trop tôt….à suivre
Je mets cela ici ; parce que si je le mets plus loin personne ne répondra jamais
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« » » » » » » » »Non, les aurores boréales vues en France ne sont pas liées au réchauffement climatique. » » » » »
https://www.slate.fr/story/266819/aurores-boreales-france-consequence-rechauffement-changement-climatique-terre-soleil-eruption-tempete-solaire-extreme
Des liens qui disent la même chose , il y en a plein
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Mais peut être que cela pourrait être l’inverse ; quelqu’un pourrait m’expliquer pourquoi il n’y aurait pas un lien entre vent solaire observable de plus en plus souvent et de plus en plus en basse latitude et réchauffement climatique , ou du moins les changements météo observables sans doute liés à des modifications de circulation atmosphérique
Quand il n’y aura plus d’argent à se faire sur le dos du climat, le château de carte “crise climatique” s’écroulera
@fred
il ne faut plus dire “Quand il n’y aura plus d’argent à se faire sur le dos du climat,” il faut dire , “sur le dos du CO2”
fretz