Les Mystères de l’éolien en mer

Par Rémy Prud’homme, Professeur des universités (émérite)

Samedi 18 janvier s’est tenu au Havre un débat public au sujet de possibles nouvelles éoliennes en mer au large de la Normandie. Rémy Prud’homme y a fait le seul exposé critique parmi quatorze autres intégralement acquises à la cause. Benoît Rittaud qui participait aussi à l’événement a fait un compte rendu de cette demi-journée de débat.

L’histoire récente de l’éolien en mer est un vrai roman, un roman policier, une intrigue, avec politiciens bavards, financiers internationaux, pêcheurs furieux, oiseaux menacés – et citoyens qui payent. Une  histoire à plus de 20 milliards d’euros. Il y a quelques années, l’éolien en mer était présenté par tous les experts et décideurs comme la source d’électricité la plus coûteuse. Aujourd’hui, l’éolien en mer est présenté (par les mêmes experts et les mêmes décideurs) comme la moins coûteuse des électricités. Ce changement miraculeux soulève toutes sortes d’interrogations.

Précisons. En 2012-2013, l’Etat s’engage pour l’implantation de 6 parcs éoliens en mer (d’une puissance de 3 GW) sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique. (Saluons en passant le choix du mot « parc » aux connotations bucoliques pour décrire ces régiments de structures en béton et en métal : dans chaque financier, il y a un poète caché). L’Etat garantit alors aux multinationales retenues l’achat de toute leur production au prix d’environ 200 €/MWh. Ce prix est censé couvrir leurs coûts et leur assurer une marge bénéficiaire raisonnable. Pour diverses raisons, notamment juridiques (l’Etat avait « vendu » ces parcs sans s’assurer qu’il en avait bien le droit), ces éoliennes n’ont pas été érigées. En attendant, les coûts projetés diminuent. En 2018, ils sont clairement devenus inférieurs à 200 €/MWh, et l’on s’aperçoit que ce prix va engendrer ce que la CRE, le régulateur de l’énergie, appelle une « rémunération excessive » des promoteurs de l’éolien. Sagement, le gouvernement négocie un prix d’achat plus bas, d’environ 150 €/MWh. En 2019, le gouvernement lance un appel d’offre pour un septième parc éolien, près de Dunkerque. Il en résulte un prix d’achat d’environ 50 €/MWh. Les prix d’achat, qui avaient diminué de 25% entre 2013 et 2018, ont donc baissé de 66% entre 2018 et 2019. Deux questions se posent.

Comment est-ce possible ? Ces prix sont censés refléter les coûts de production de l’électricité éolienne (en mer). Ils résultent d’appels d’offre concurrentiels qui devraient, en principe, révéler le coût des technologies les moins coûteuses, associées à des marges bénéficiaires modestes. Certes, le progrès technique, et les économies d’échelles (plus c’est gros, moins ça coûte), engendrent des augmentations d’efficacité, et donc des baisses de coûts. Mais moins 66% en un an, ou même moins 75% en 6 ans, constituent des baisses de coûts plutôt inhabituelles. Se peut-il que la fameuse concurrence des appels d’offre ait mal fonctionné ? Cela s’est déjà vu. Est-il concevable que les lauréats de l’appel d’offre de Dunkerque aient systématiquement sous-estimé leurs coûts pour emporter l’affaire ? Ce sont des choses qui arrivent. On attend le Sherlok Holmes qui résoudra cette énigme.

Plus troublante et plus actuelle est la deuxième question. D’un côté, le gouvernement affirme que l’on sait maintenant construire (à Dunkerque) des éoliennes en mer qui produisent de l’électricité à moins de 50 €/MWh. D’un autre côté, il patronne dans pas moins de six sites la construction d’éoliennes qui vont produire de l’électricité que nous allons acheter 150 €/MWh. Cela revient à payer 150 ce que l’on pourrait avoir pour 50 : une bien mauvaise affaire. Il est facile d’estimer le montant de ce cadeau aux promoteurs éoliens, montant qui sera pris dans la poche des Français : 1 milliard d’euros par an, 20 milliards en vingt ans (3 GW x 8760 h/an x 40% des heures de l’année x 100 €/MWh x 20 années = 21 G€). Avec une méthodologie différente, la CRE arrive à une évaluation un peu plus élevée (25 milliards). Pourquoi va-t-on jeter tant d’argent par les fenêtres ? Parce que les promoteurs éoliens le méritent bien ? Parce qu’il est difficile d’arrêter une machine administrative qui roule ? Mais les travaux n’ont même pas encore démarré. Parce que retarder l’inauguration aurait un coût politique élevé ? Peut-être qu’il n’y a pas cadeau, pas de crime, et que le 50 €/MWh est une blague ? Au secours, Hercule Poirot, venez éclairer ce mystère.

L’économie de l’éolien en mer est une économie planifiée, de type Gosplan. Toutes les décisions  relatives aux quantités, aux prix, aux localisations, etc. sont à la main de très visibles politiciens, pas à la main invisible du marché. En théorie, il y a d’excellents arguments pour justifier ce choix. Mais en pratique, il donne ici des résultats déplorables. Six parcs vont être construits. Ou bien ils le seront avec la technologie d’hier, et on aura un lamentable gaspillage de 20 milliards ; ou bien ils le seront avec la technologie d’aujourd’hui, et on aura un injustifiable cadeau (aux promoteurs) de 20 milliards. 

L’enjeu de ces 20 milliards est-il considérable ? Pas du tout. La production d’électricité annuelle attendue de ces 6 parcs éoliens est de 10 TWh par an, 2% de la production française. C’est nettement moins que que la production annuelle (12 TWh) des deux centrales de Fessenheim qui fabriquent de l’électricité à un coût de 25 €/MWh, qui n’ont jamais été subventionnées, et que l’on va fermer pour gagner quelques votes écologistes. Cette électricité éolienne est-elle plus décarbonée que l’électricité nucléaire qu’elle remplace ? Beaucoup le clament haut et fort. Ils se trompent, et nous trompent, totalement : les deux rejettent zéro CO2. Mais quand on aime, ou quand on hait, on ne compte pas.

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