Envolée du prix de l’électricité : à qui la faute ?

par Rémy Prud’homme.

La propagande gouvernementale affirme que la guerre à l’Ukraine, qui multiplie par cinq le prix du gaz en Europe, devait (selon RTE, un appendice de l’exécutif) entraîner en France une hausse du prix de l’électricité de 35%. Mais dans sa générosité, notre gouvernement a mis en place un « bouclier » qui va limiter cette hausse à 4% en 2022, et à 15% en 2023. Vous êtes invité à dire : bravo, et merci. En réalité, un quintuplement du prix du gaz européen n’a qu’un effet très limité, pratiquement négligeable, sur le coût de production de notre électricité. Pour au moins quatre raisons.

La première est que le poids de l’électricité au gaz dans le mélange électrique français est faible : 6% en 2021. L’essentiel de notre électricité est d’origine nucléaire, hydraulique, et renouvelable. Les coûts de production de ces formes d’électricité sont totalement indépendants du gaz et de son prix. Le coût de 94% de notre production électrique n’est en rien affecté par une hausse du prix du gaz. Seul 6% de notre production peut l’être.

La deuxième raison est que (pour ces 6% là) le coût du combustible (le gaz) ne représente que 10% du coût de production de l’électricité au gaz. Le reste correspond au coût du capital, aux salaires, à l’entretien, toutes dépenses qui sont évidemment sans lien avec le prix du gaz et son évolution.

La troisième raison, est que pour l’électricité en général, et donc aussi pour l’électricité au gaz, le coût de la production compte seulement pour 50% (48% exactement) du prix payé en France par le ménage ou l’entreprise. L’autre moitié de ce coût consiste en dépenses de commercialisation, de transport, de distribution et en taxes. Ces dépenses et ces taxes sont elles aussi complètement indépendantes du prix du gaz.

Enfin, le gaz importé et utilisé en France (pour produire de l’électricité et pour d’autres usages) n’est russe qu’à 17%. Le prix du gaz norvégien ou quatari que nous consommons n’est pas directement affecté par la guerre à l’Ukraine et l’embargo sur le gaz russe. On peut cependant soutenir qu’il l’est indirectement, dans la mesure où existent des marchés mondiaux ou régionaux du gaz. Par prudence, on ignorera ce quatrième effet.

Au total, la valeur des achats de gaz représente donc environ 6%x10%x48%, soit 0,3% du coût de la production et de la distribution de l’électricité en France, ou si l’on préfère de la facture des ménages et des entreprises. Un doublement du prix du gaz entraîne donc une augmentation de 0,3% de cette facture ; et un quintuplement de ce prix une augmentation de 1,5% de cette facture. L’embargo de Poutine sur les ventes de gaz à l’Europe a peut-être contribué à la multiplication par cinq du prix du gaz, mais certainement pas entraîné une dramatique menace d’augmentation de 35% du prix de l’électricité en France. Qu’est-ce qui transforme ce petit +1,5% en un terrible +35% ? Pour le comprendre, il faut regarder du côté de Bruxelles plutôt que du côté de Moscou.

Il fut un temps où le prix de vente par EDF de l’électricité en France (on disait : le tarif) était égal à la moyenne des coûts de production de cette électricité par EDF (plus un honnête dividende versé par EDF à l’État). Lorsque ces coûts diminuaient,les tarifs baissaient, comme cela se produisit dans la période 1988-2008. Comme ces coûts étaient largement des coûts de capital, les tarifs étaient raisonnablement stables.

Des idéologues idolâtres du marché et de l’Europe ont postulé qu’un marché était toujours préférable à un monopole, et que l’Europe était toujours préférable à la France. Ils ont remplacé un monopole français éclairé par un marché européen inadapté.

En simplifiant un système complexe, on peut dire que le prix actuel de l’électricité européenne est égal au coût marginal de l’électricité en Europe, qui est en pratique le coût marginal de l’électricité au gaz russe en Allemagne. Lorsque la Russie de Poutine réduit ou cesse ses livraisons de gaz à l’Allemagne, le prix du gaz en Allemagne bondit, entrainant celui de l’électricité en Allemagne, et par contagion ailleurs en Europe et donc en France. Quelle aubaine pour tous les producteurs d’électricité infra-marginaux ! Ils produisent leur électricité (nucléaire ou même renouvelable) à son coût habituel, et la vendent à ce prix européen, empochant des bénéfices extravagants. En théorie, un marché, un marché qui fonctionne s’entend, élimine les rentes ; en réalité le marché européen de l’électricité fabrique des rentes.

L’apparition de cette rente n’a pas grand-chose à voir avec Poutine. L’embargo du dictateur russe, on l’a vu, cause une augmentation de 1,5% du coût de l’électricité en France, qui aurait, du temps d’EDF, entraîné une augmentation du prix de cet ordre de grandeur. C’est le marché européen de l’électricité qui engendre une augmentation supplémentaire de 33,5%, pour conduire aux 35% d’augmentation estimés par RTE.

D’où sort ce marché européen ? Il a été forgé et mis en place à l’initiative de la Commission européenne, avec l’appui du Parlement européen, dans des décisions prises par des conseils ministériels européens. Des responsables français – fonctionnaires, parlementaires européens, ministres – y ont très activement participé. Sans leur marché européen chéri, les embargos de Poutine seraient restés des pétards mouillés. Nos dirigeants ne seraient pas obligés, pour camoufler leurs erreurs, d’incriminer des boucs émissaires et d’inventer de coûteux boucliers – qu’ils nous feront un jour payer. Dans une audition à l’Assemblée Nationale, Yves Bréchet (ancien haut-commissaire à l’énergie atomique, membre de l’Académie des Sciences), emploie les expressions : « âneries, laquais du prince, naïveté confondante » pour qualifier l’attitude de nos dirigeants en matière de politique énergétique. Il est difficile de lui donner tort. Exprimons le même jugement en disant que ces dirigeants ne méritent pas les bravos et les mercis qu’ils attendent de nous.

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13 réflexions au sujet de « Envolée du prix de l’électricité : à qui la faute ? »

  1. Cette hausse du tarif est inepte.
    Mais soyons sûr que cet argent, indûment prélevé dans nos poches, n’est pas perdu pour tout le monde.

    Un grand merci à la bande d’incompétants qui nous gouvernent.

  2. Le 5 décembre 2022 à 13 h 01 min, Fritz a dit :
    j’ai pas lu l’article , ni les commentaires ; mais je suis actionnaire d’EDF ( 100 actions c’est pas terrible)et vient de recevoir une lettre de ma banque comme quoi l’état veut racheter toutes les actions détenues par des particuliers pour être le seul responsable de la politique énergétique future qui sera électrique
    C’est scandaleux

    J’aime

    Répondre ↓
    Le 5 décembre 2022 à 13 h 35 min,
    Fritz
    a dit :
    lire à ce propos cet article
    https://www.marianne.net/politique/gouvernement/ignorance-stupefiante-lex-haut-commissaire-a-lenergie-atomique-dezingue-linculture-des-politiques

    J’aime

  3. Comment une démonstration aussi claire peut-elle échapper à la presse généraliste ?

    Dans un monde normal, cet article serait publié dans Le Monde. Il serait commenté abondamment dans les journaux, médias d’information télévisuels, radio et internet. Alors que trouve-t-on sur http://www.lemonde.fr ?
    Le 28 novembre 2022, nous trouvons ceci :


    Notre corps va-t-il changer avec le climat ?
    Des nuits plus courtes, une vulnérabilité accrue à certaines maladies, et, pour les femmes, des perturbations tout au long de la vie hormonale. Voici quelques-unes des modifications que pourrait provoquer le dérèglement climatique.

    Commentaire sous la photo suivant ce paragraphe : Un couple de personnes âgées regarde la mer sous le soleil en se protégeant de la chaleur mais aussi du risque de seconde vague de Covid-19, à Nice, en août 2020.
    Source: https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/11/28/notre-corps-va-t-il-changer-avec-le-climat_6152013_1650684.html

    Certains prétendent-ils encore que ce n’est pas de la propagande ?

    Le Monde est le missel que l’on doit apprendre avec zèle chaque semaine, sous peine d’être immédiatement exclu de son milieu social. Le souci est que ce qui y est écrit devient tellement absurde, imbécile, crétin, que cet apprentissage requiert d’être amnésique et non rationnel ; un exercice difficile, mais nécessaire pour bien montrer à ses amis qu’on a de la “culture générale”. Ce n’est pas qu’un jeu, les étudiants de nos futures élites sont recrutés dans les “grandes” écoles selon même ce critère.

    • Merci de cette référence.
      Dans l’article, il est dit que les individus de grande taille résistent mieux à la chaleur car ils ont une plus grande surface de peau pour transpirer ..Pauvres pygmées qui vivent sous l’équateur.

      Il faut que l’Association des Climato-réalistes demande que le fonds d’indeminisation qui vient d’être créé par la COP27 établisse une indeminisation des victimes du réchauffement climatique en fonction de leur taille et de leur sexe puisque les femmes subiront des perturbations hormonales tout au long de leur vie. L’indemnisation pourrait d’ailleurs prendre la forme d’une rente ….
      Heureusement que Le Monde est un journal sérieux.

    • On pourrait ajouter que “le Monde” est de plus en plus mal écrit. (Et en effet le remarquable article de Prud’homme, dans un monde normal, devrait être abondamment commenté.)

  4. Merci pour votre article qui nous éclaire davantage que le plan de sobriété imaginé par un gouvernement en pleine panique.
    En écrivant ce commentaire, j’entends les questions au gouvernement sur LCP : les réponses de la ministre Panier Runacher sont confondantes de bêtise et de mauvaise foi.
    Notre président critique ceux qui paniquent, qu’il commence par nommer des ministres à la hauteur des enjeux, pourquoi pas des personnes compétentes en matière énergétique…

  5. Vous parlez d’embargo russe sur le gaz.
    Il n’y en a pas eu. Ce sont les européens qui ont décidé de se priver du gaz russe avec leurs sanctions, en n’acceptant pas de payer en roubles, puis dernièrement en voulant bloquer les prix.
    Sans parler du dynamitage des pipelines par les anglo-saxons.

    • Parfaitement exact Fabio.
      Vraiment dommage que l’auteur de cet article ait un parti pris ouvertement anti-Poutine en le traitant de dictateur. Il y a des élections en Russie et s’il y a de la fraude lors de ces élections, elle peut être considérée comme marginale au regard de ce qui se passe aux USA où celle-ci est massive.

  6. Depuis le conflit en Ukraine, les prix de l’énergie on été multiplié par 5. Une simple question à se poser :
    Les coût d’extraction et d’exploitation pour gaz et pétrole ont-ils augmenté ?
    Les profiteurs de guerre sont donc bien visibles. Les pays de l’OPEP+ qui limitent la production pour maintenir des prix abusifs sont bien les coupables. De plus cette hausse permet de financer la Russie, l’effet inverse de ce que les sanctions voulaient.
    L’OMC n’a même pas gérer la situation pour limiter les prix !
    L’Europe ici est stupide car elle impose des dictats communs à des situations différentes, les pays qui sont sortis du marche Européen de l’Electricité vont s’en sortir en attirant chez eux des PMI. Chez nous les artisans, leurs employés et leur clients vont crever mais comme ils ne sont pas cotés en bourse notre président ne les voie même pas !

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