En 2016, il s’est propagé dans la communauté scientifique une hypothèse selon laquelle une hausse des températures mondiales entraînerait l’autodestruction des immenses falaises de glace bordant la calotte glaciaire de l’Antarctique, qui s’effondreraient alors comme des dominos. Ces falaises de glace au front des glaciers mesurent à peu près 20 m de hauteur mais plus elles sont hautes et plus elles sont susceptibles de s’effondrer. L’hypothèse d’un tel effondrement, pour des falaises de 100 m de hauteur (qui pourrait entraîner un recul auto entretenu de la calotte glaciaire) est remise en question par une étude publiée le 06 février 2019 dans la revue Nature intitulée « Revisiting Antarctic ice loss due to marine ice-cliff instability ». Cette étude suggère qu’une fonte plus mesurée pourrait être constatée au cours des prochaines décennies et revoit à la baisse les estimations d’élévation du niveau de la mer d’ici 2100.
Nous reproduisons ci-dessous un résumé de cette publication rédigée par le CNRS.
De nouveaux modèles glaciologiques prévoient une moindre élévation du niveau de la mer d’ici 2100
Source : Actualités du CNRS-INSU
Les prévisions de la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer au cours du siècle vont de zéro à plus d’un mètre. Les valeurs les plus élevées sont basées sur une hypothèse controversée d’effondrement des falaises de glace dans l’océan (MICI, pour marine ice-cliff instability). Dans cette étude impliquant l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE/OSUG, Université Grenoble Alpes/CNRS/IRD), les incertitudes de la modélisation sont quantifiées ; dans les scénarios climatiques les plus forts, la contribution la plus probable avec MICI est de 45 centimètres de niveau des mers mais le MICI n’est pas essentiel pour reproduire les variations passées du niveau de la mer.
Les pertes de glace prévues pour l’Antarctique sont dues à des changements dans l’écoulement de la glace. Les parties marines de la calotte glaciaire, qui reposent sur le substratum rocheux sous le niveau de la mer, sont potentiellement vulnérables à deux rétroactions positives qui ont pu mener à l’effondrement passé de la calotte Antarctique de l’Ouest. Les deux rétroactions sont basées sur des mécanismes physiques avec des fondements théoriques, mais la vitesse à laquelle les phénomènes se produisent est encore débattue et il n’est pas encore clair si ces rétroactions peuvent effectivement mener à des pertes généralisées, rapides et soutenues de glace.
La première rétroaction appelée “instabilité des calottes marines” (MISI, marine ice sheet instability) est un recul autoentretenu de la ligne d’échouage (lieu où la glace continentale commence à flotter sur l’océan) dans les régions où le socle rocheux s’abaisse vers l’intérieur des terres. Ce phénomène est déclenché par l’amincissement ou l’effondrement de la plate-forme de glace flottante (ice-shelf) qui prolonge le glacier. La rétroaction est la suivante: lors d’un recul de la ligne d’échouage, l’épaisseur de la glace au niveau de la ligne d’échouage augmente (en raison de la pente du socle rocheux), ce qui entraîne une accélération de la vitesse d’écoulement de la glace et, par conséquent, un nouveau recul. Les données satellitaires et les données de modélisation suggèrent que le MISI est en cours dans l’Antarctique de l’Ouest, sous l’impulsion des eaux chaudes de la circulation circumpolaire profonde (bien que le lien avec le réchauffement climatique ne soit pas clair).
La deuxième instabilité, “instabilité des falaises marines” (MICI, marine ice cliff instability), est un recul autoentretenu du front de glace dans les zones où il se trouve à 100 m ou plus au-dessus de la surface de l’océan, une situation qui demande d’abord la disparition totale de la plate-forme de glace flottante. Les hautes falaises de glace sont structurellement instables et leur effondrement pourrait céder la place à d’autres hautes falaises, ce qui entraînerait des pertes soutenues de glace. Les données d’observation pour le MICI sont indirectes: absence de falaises de glace de plus de 100 m de haut et recul rapide du front des glaciers Jakobshavn (Groenland) et Crane (Antarctique).
Les prévisions les plus élevées pour le siècle prochain sont de loin celles obtenues par les auteurs De Conto et Pollard (Nature 2016) et sont basées sur l’hypothèse controversée du MICI. À partir d’un ensemble de simulations, leurs projections sont calibrées en n’acceptant que les jeux de paramètres qui reproduisent la contribution de l’Antarctique au niveau des mers au milieu du Pliocène (il y a environ 3 millions d’années) et durant le dernier interglaciaire (il y a 130 000 à 115 000 ans).
Cependant, le MICI n’a pas été observé à l’ère moderne et il n’est pas encore clair si ce mécanisme est vraiment nécessaire pour reproduire les variations du niveau de la mer dans le passé géologique. Cette question a été débattue dans la communauté depuis la publication de l’article De Conto et Pollard. En utilisant des techniques statistiques et une émulation du modèle, nous quantifions ici les incertitudes de la modélisation de l’article original utilisant le MICI. Nous montrons que les distributions de probabilité dans les projections sont biaisées vers des valeurs inférieures et que, dans les scénarios climatiques les plus forts, la valeur la plus probable en incluant le MICI est de 45 centimètres (pour une valeur médiane de 79 cm).
De plus, nous montrons que le MICI n’est pas essentiel pour reproduire les variations du niveau de la mer dans le passé. Sans ce mécanisme, nous constatons que les projections pour ce siècle sont conformes aux études antérieures [1] (tous les 95es centiles sont inférieurs à 43 centimètres et la valeur la plus probable est environ 15 cm). Nous concluons que les interprétations de ces projections MICI surestiment l’élévation du niveau de la mer au cours du siècle. Comme l’hypothèse MICI n’est pas bien contrainte, la confiance dans les projections avec MICI exigerait un plus grand éventail de modèles, contraints par des observations, simulant la vulnérabilité des plates-formes de glace et l’effondrement des falaises de glace.
[1] Selon le rapport du GIEC (AR5) : pour la période allant de 2081 à 2100 par rapport à 1986-2005, l’élévation moyenne du niveau de la mer au niveau mondial devrait se situer (niveau de confiance moyen) entre 0,26 et 0,55 m pour le scénario RCP2.6, de 0,32 à 0,63 m pour le RCP4.5 de 0,33 à 0,63 m pour le RCP6.0 et de 0,45 à 0,82 m pour le RCP8.5. Le GIEC estime que selon les connaissances actuelles, seul l’effondrement de secteurs de la calotte glaciaire antarctique d’origine marine pourrait faire en sorte que le niveau moyen de la mer augmente considérablement au-dessus de la plage probable au XXIe siècle.