Comment deux milliardaires américains sont parvenus à corrompre la science du climat

Roger A. Pielke est politologue et professeur à l’Université du Colorado Boulder. Dans un article récemment publié dans la revue Forbes, il explique comment Tom Steyer et Michael Bloomberg, tous deux milliardaires et candidats démocrates à l’élection présidentielle sont parvenus à influencer non seulement les medias mais aussi la communauté scientifique en dévoyant le système de révision par les pairs. Précisons que Roger A. Pielke n’est pas un climato-sceptique; il affirme en préambule de son article que « le changement climatique est réel et qu’il est de façon significative influencé par les activités humaines ». Le texte qui suit est un résumé de son article.

Un mois après avoir démissionné du fonds spéculatif qu’il dirigeait en novembre 2012, Tom Steyer a réuni des dirigeants environnementaux et des représentants du parti démocrate dans son ranch à Pescadero, en Californie. Parmi les personnes présentes figuraient Bill McKibben, le fondateur de 350.org , et John Podesta qui avait fondé en 2003 le Center for American Progress pour promouvoir des causes progressistes. L’objet de la réunion était de déterminer comment agir pour « que la menace climatique soit perçue par le monde des affaires comme réelle, immédiate et potentiellement dévastatrice ». A la suite à cette rencontre Steyer a invité deux personnalités à se joindre à lui : Michael Bloomberg, qui terminait son mandat de maire de New York, et Hank Paulson, un républicain qui fut  PDG de Goldman Sachs et secrétaire du Trésor sous George W. Bush.

Steyer, Bloomberg et Paulson ont chacun contribué à hauteur de 500 000 dollars au projet baptisé Risky Business Project dont l’objectif initial était de produire une série de rapports s’appuyant sur les travaux de jeunes universitaires et l’expertise de consultants travaillant pour la société d’études Rhodium et le cabinet spécialisé en gestion des risques RMS.

Un premier rapport de Risky Business a été publié en juin 2014 qui s’intitulait « The Economic Risks of Climate Change in the United States ». L’ approche de Risky Business était de présenter le scénario le plus pessimiste du GIEC comme « la trajectoire la plus proche du statu quo » c’est à dire celle correspondant à l’absence d’action pour réduire le réchauffement futur. De cette façon, ils étaient assurés que les impacts économiques seraient très importants.

Mais le rapport Risky Business a commis deux erreurs méthodologiques importantes. Premièrement, ils ont incorrectement qualifié le scénario extrême du RCP 8.5 de « business as usual » correspondant à une absence de politique de lutte contre le réchauffement climatique. Deuxièmement, ils ont présenté à tort les scénarios du GIEC comme résultant de diverses politiques climatiques, suggérant qu’il serait possible de passer d’un scénario à un autre par exemple du RCP 8.5 au RCP 2.6 (ou du RCP 4.5 au RCP 6.0), en y mettant les moyens financiers nécessaires.[1]

Mais le projet Risky Business ne s’est pas arrêté à la production d’un simple rapport destiné aux medias. Il a entrepris une campagne beaucoup plus sophistiquée axée sur l’introduction de ses méthodes dans la littérature scientifique.

Par exemple, les travaux financés par Steyer-Bloomberg-Paulson ont servi de base à 11 entretiens lors de la réunion annuelle de l’American Geophysical Union à San Francisco, qui est le plus grand rassemblement annuel de chercheurs sur le climat. L’étape suivante consistait à faire publier les analyses du projet dans la littérature scientifique où elles pourraient influencer les recherches ultérieures et servir de base à des revues scientifiques faisant autorité, telles que la National Climate Assessment des États-Unis.

Autre exemple : un article de 2016 publié dans la prestigieuse revue Science a introduit la notion erronée du Risky Business project selon laquelle on pouvait passer d’un scénario RCP à un autre via une politique climatique appropriée. Cet article a par la suite été cité 294 fois dans d’autres études universitaires, selon Google Scholar. En dépit d’une faille méthodologique évidente, le document a passé l’examen de la révision par les pairs et n’a reçu que peu ou pas de critiques.

Encore un autre exemple : une étude plus complète du projet Risky Business a été publiée dans la revue Science en 2017 : le résumé de l’article annonce sans sourciller son erreur méthodologique :  « À la fin du 21e siècle, le tiers le plus pauvre des comtés des Etats-Unis devrait subir des dommages évalués entre  2 et 20% de leur revenu (avec une probabilité de 90% ) si les émissions correspondant au statu quo (RCP 8.5) sont maintenues » . La conclusion la plus extrême de cette analyse était que dans le cadre du scénario RCP8.5, les États-Unis connaîtraient une augmentation de la température de 8 degrés Celsius entre 2080 et 2099 avec un impact de 10% sur leur économie. Ce document a été cité 285 fois dans d’autres études, selon Google Scholar. Le chiffre de 10% de perte de PIB a été retenu comme la principale conclusion du National Climate Assessment des États-Unis.

La publication d’articles dans la littérature universitaire basée sur une méthodologie défectueuse s’est  répétée à de nombreuses reprises. La réinterprétation trompeuse des scénarios climatiques s’est ensuite propagée de façon virale dans toute la littérature sur la science du climat.

Le National Climate Assessment (NCA) de 2018 des États-Unis en offre un exemple particulièrement remarquable. Les travaux initiés par le projet Risky Business ont été cités près de 200 fois dans ce rapport, notamment des références directes aux rapports du projet ainsi que les travaux de son consultant principal, le Groupe Rhodium . L’un des principaux chercheurs de Risky Business était également l’ un des principaux auteurs du NCA . Ses recherches soutenues par Risky Business (et celle de son principal collaborateur) ont été citées plus de 150 fois dans le NCA ( National Climate Assessment). Pourtant le gouvernement américain n’a jamais révélé que cet auteur principal de la NCA était sous contrat avec le groupe Rhodium de 2015 à 2022.

Plus récemment, les travaux entamés grâce à l’investissement initial du trio Steyer-Bloomberg-Paulson ont été repris par un collectif appelé Climate Impact Lab . Les chefs de projet du rapport Risky Business, plusieurs universités ainsi que le Groupe Rhodium collaborent aux travaux du Climate Impact Lab qui a produit une série d’études dont les projections catastrophistes étaient adaptées aux attentes des médias, par exemple :

  • 1,5 million de personnes supplémentaires pourraient mourir en Inde d’ici 2100 en raison de la chaleur extrême due au changement climatique ;
  • L’élévation du niveau de la mer pourrait submerger les grandes villes et déplacer près de 200 millions de personnes ;
  • La mortalité due au dérèglement climatique dépassera celle provoquée par toutes les maladies infectieuses.

En juin 2019 le codirecteur du Climate Impact Lab a témoigné devant le Congrès et fait valoir que le « coût social du carbone » est bien plus élevé que ce qui avait été initialement estimé.

Nous assistons donc conclut Roger A. Pielke à une campagne de financement de manœuvres visant à  changer fondamentalement la façon dont la science du climat est utilisée dans la littérature scientifique, la façon dont cette science est rapportée par les médias et, finalement, la façon dont sont façonnés les débats et les décisions politiques.


[1] Les quatre profils d’évolution des concentrations des gaz à effet de serre (RCP) retenus par les experts du GIEC pour le 5ème Rapport ont été traduits en termes de forçage radiatif, c’est-à-dire de modification du bilan radiatif de la planète (différence entre le rayonnement solaire reçu et le rayonnement infrarouge réémis par la planète).Ils sont identifiés par un nombre, exprimé en W/m² (puissance par unité de surface), qui indique la valeur du forçage considéré. Le scénario RCP 8.5 est donc celui d’un forçage de 8,5 W/m².

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