Par MD
» Le monde assistera-t-il toujours
aux mêmes scènes jouées sur d’autres théâtres ? »
(marquis de Custine, lettres de Russie, 1839).
Nous commençons à être habitués au rituel. Au terme d’une quinzaine prodigieuse et de ses inévitables prolongations, le marteau du président et le rideau de scène sont enfin tombés sur les rives de la mer Rouge. On laissera de côté les anecdotes dont la presse s’est fait l’écho : 400 (sic) jets privés, climatisation généreuse, pénuries de sandwiches et de cannettes, menus plantureux pour VIPs etc. On ne commentera pas non plus les interventions écrites ou orales des « autorités », dont certaines ont dépassé en extravagance tout ce que nous avions lu et entendu au cours d’une année pourtant fertile. Après cet intermède festif, les 40 000 (33 000 selon la police) congressistes sont retournés à la maison pour s’occuper à nouveau des affaires sérieuses.
Contentons-nous d’examiner les résultats pratiques obtenus.
1/ Le cadre institutionnel.
On rappelle d’abord qu’il y a eu trois conférences en une, impliquant trois ensembles très légèrement différents d’Etats du monde entier, et débouchant sur trois « décisions » finales. En effet, la réunion dite COP-27 était la superposition de trois « Conférences des Parties agissant comme réunion des Parties à… » respectivement :
- la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 27ème conférence (COP-27)
- l’Accord de Kyoto, 17ème conférence (CMP-17).
- l’Accord de Paris, 4ème session (CMA-4).
Voir la liste des documents synthétiques en anglais. Les deux principaux sont intitulés « Decisions Sharm el-Sheikh / Implementation Plan » :
-(Decision -/CP.27) relative à la Convention
-(Decision-/CMA.4) relative à l’accord de Paris.
On résumera ci-après les points importants de chaque chapitre de ces décisions en essayant de ne pas en trahir l’esprit. Les chapitres qui ne comportent que les banalités habituelles ne sont mentionnés que pour mémoire. La lecture de ces documents étant particulièrement fastidieuse, les lecteurs voudront bien pardonner les erreurs ou les omissions qui ont pu se glisser dans ce qui suit.
2/ La CP.27.
Elle comporte 10 pages et 62 articles répartis en un préambule et XII chapitres.
Préambule.
Réaffirme les conclusions des conférences précédentes. Note l’importance de la transition vers des modes de vie et des modes de consommation et de production durables (sustainable) pour faire face au changement climatique ; ainsi que l’importance de l’éducation en vu de promouvoir ces transitions.
Note la nécessité de préserver tous les écosystèmes et la biodiversité.
Reconnait la priorité fondamentale donnée à la sauvegarde de la sécurité alimentaire et à la lutte contre la faim, et contre les vulnérabilités de la production de nourriture face au changement climatique.
Insiste pour que les évènements géopolitiques et le recouvrement après la pandémie ne servent pas de prétexte pour traîner les pieds sur l’action climatique.
I. Science et urgence (§1 à 5).
Salue le 6ème rapport du GIEC, le récent rapport de l’UNEP et le rapport de l’OMM (liens fournis).
Réaffirme que les impacts du changement climatique seront très inférieurs (much lower) pour une augmentation de température de 1,5°C qu’ils ne seront pour une augmentation de température de 2°C, et décide (resolves) de poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation à 1,5°C.
Reconnait l’impact sur la cryosphère et la nécessité de poursuivre les études sur ce sujet, y compris les tipping points.
II. Améliorer l’ambition et la mise en œuvre (§6 et 7).
III. Énergie (§ 8 à 10).
Met l’accent sur la nécessité urgente d’une réduction immédiate, profonde, rapide et durable des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Reconnait que la crise énergétique sans précédent souligne l’urgence d’un système énergétique plus sûr, plus fiable et plus résilient y compris en accélérant la transition vers l’énergie renouvelable pendant la décennie en cours qualifiée de « critique ».
IV. Atténuation (mitigation) (§11 à 16).
Reconnait que limiter le réchauffement global à 1,5°C requiert une réduction rapide, profonde et soutenue des émissions de GES de 43% en 2030 par rapport à 2019.
Appelle les parties à accélérer le développement de politiques visant à développer les énergies propres (clean), y compris l’accélération des efforts pour la réduction progressive (phasedown) des centrales à charbon classiques (unabated, c’est-à-dire sans récupération du CO2) et l’élimination (phase-out) des subventions inefficaces aux énergies fossiles.
Invite à nouveau les parties à réduire d’ici 2030 les émissions de GES autres que le CO2, y compris le méthane.
V. Adaptation (§17 à 21).
Note avec une sérieuse inquiétude le fossé entre le niveau d’adaptation actuel et celui qui serait nécessaire. Exhorte les pays développés à augmenter les dispositions financières, de transferts de technologies et de développements de compétences pour aider les pays en développement. Insiste sur la protection et la restauration des écosystèmes aquatiques, rivières, aquifères et bassins
VI. Perte et dommage (Loss and damage) (§22 à 25).
Note avec une grave inquiétude l’augmentation de la gravité, de la portée et de la fréquence en toutes régions des pertes et dommages entraînés par le changement climatique.
Salue la prise en considération, pour la première fois, de fonds destinés à compenser ces pertes et dommages (ici références à divers textes antérieurs).
VII. Alerte précoce et observation systématique (§26 et 27)
Insiste sur la nécessité de combler les lacunes en termes d’observation des phénomènes climatiques, notamment dans les pays en développement : un tiers du monde, dont 60% en Afrique, ne dispose pas de dispositifs d’alerte et de prévention.
VIII. Mise en œuvre-trajectoire (pathway) vers une transition équitable (§28 et 29).
IX. Finance (§30 à 40).
Affirme qu’environ 4 000 milliards d’US$ par an devraient être investis dans les énergies renouvelables pour parvenir au « net zero » en 2050 ; en outre une transformation vers une économie bas-carbone nécessiterait au moins 4 à 6 000 milliards d’US$ par an.
Ce qui implique une transformation du système financier mondial.
Note avec inquiétude le fossé entre les besoins des pays en développement pour faire face aux impacts croissants du changement climatique et les fonds destinés à leur permettre de respecter leurs nationally determined contributions (NDCs), ces besoins étant estimés à 5 800 – 5 900 milliards d’US$ pour la période avant 2030.
Exprime de sérieuses inquiétudes sur le fait que l’objectif des pays développés de mobiliser 100 milliards d’US$ par an en 2020 n’a pas encore été atteint.
Note que les flux financiers sont faibles par rapport aux besoins des pays en développement, car ils s’élèvent à 803 millions d’US$ en 2019-2020, ce qui représente 31 à 32% de l’investissement annuel nécessaire pour contenir la température globale à nettement moins de 2°C ou 1,5°C. Exhorte les pays développés à redoubler d’efforts pour aider les pays en développement.
Appelle les établissements bancaires à participer à ces efforts.
X. Transfert de technologie et développement (§41 à 43).
Différents organes et programmes
XI. Développement des compétences (Capacity-buidong) (§44).
XII. Faire le point (taking stock).
XIII. Océans (§ 45 et 46).
XIV Forêts (§47 et 48)
XV. Agriculture (§49).
XVI. Mise en œuvre : action des tiers (non-Party stakeholders) (§50 à 62).
Considérations diverses sur la participation des jeunes et des enfants (youth and children) aux organes et processus ; sur la question de genres (gender-responsive) et des minorités.
3/ La CMA.4.
Elle comporte 13 pages et 93 articles répartis en un préambule et XVII chapitres
Les deux textes comportent de nombreux articles en commun. Mais la CMA.4 y ajoute une trentaine d’articles relatifs à l’accord de Paris (Paris agreement) et aux « nationnally determined contributions » (NDCs). On ne citera ici que les principales références.
I. Science et urgence (§7).
Réaffirme l’objectif de maintenir l’augmentation de température globale bien au-dessous de 2°C et de tendre vers 1,5°C par rapport à l’époque préindustrielle.
IV. Atténuation (mitigation) (§20 à 27).
Note avec sérieuse inquiétude que selon le dernier rapport de synthèse sur les NDCs les émissions de GES ne seraient en 2030 que de 0,3% au-dessous de celles de 2019, ce qui n’est pas en ligne avec les scénarios permettant de limiter l’augmentation de température à 2 ou 1,5°C. Les parties sont instamment priées d’accroître leurs efforts.
Les parties qui n’ont pas encore communiqué la mise à jour de leur NDC sont fortement invitées à le faire avant la CMA-5 (novembre-décembre 2023). En outre, toutes les parties sont fortement invitées à revoir et à renforcer leurs objectifs pour 2030, ainsi qu’à préciser leur stratégie pour atteindre le net zero vers le milieu du siècle. Les NDCs doivent être compatibles avec ces objectifs. Le secrétariat produira avant la CMA-5 un rapport sur ces stratégies de long terme.
V. Adaptation (§ 37 et 42)
Accueille favorablement les progrès faits durant la première période sur le programme biennal d’adaptation Glasgow-Sharm el-Sheikh, en attend l’aboutissement pour la CMA-5 et accueille favorablement le travail important (robust) prévu pour l’année 2023.
Demande au comité des finances de préparer un rapport sur le doublement des finances d’adaptation pour la CMA-5.
VIII. Mise en œuvre-trajectoire (pathway) vers une transition équitable (§58)
Décide d’établir un programme de travail pour discuter des trajectoires nécessaires à l’objectif de l’accord de Paris et demande aux différents organes subsidiaires d’établir une esquisse pour la CMA-5. Une table ronde ministérielle se tiendra par la suite tous les ans.
IX. Finances.
XII. Transparence (§72-73)
Rappelle que les parties doivent produire leur premier rapport biennal sur la transparence avant le 31 décembre 2024.
4/ Observations sur ces « décisions ».
On pourra éventuellement se reporter à titre de comparaison à l’article consacré l’année dernière à la COP26.
Cadre conceptuel général.
L’édifice repose notamment sur l’affirmation que les évènements météorologiques exceptionnels se multiplient et s’aggravent. Il s’agit d’un mensonge que contredisent toutes les statistiques disponibles.
Énergie.
Aucune modification depuis la COP-26 : en dépit des clauses de style, les énergies fossiles conservent toute leur place dans le mélange énergétique. Au passage, on se demande ce que peuvent bien être ces « subventions inefficaces aux énergies fossiles » qu’il faudrait éliminer (phase out), alors que ces produits sont parmi les plus taxés au monde.
Atténuation.
On apprend que les NDCs en vigueur conduiraient à une diminution de 0,3% des émissions de GES en 2030 par rapport à 2019 (nouvelle année de référence ?). Alors que pour respecter l’« objectif » de 1,5°C, il faudrait les diminuer de 43% (sic). Le ridicule de ce dernier chiffre n’échappera à personne. On sait notamment que la Chine, l’Inde et quelques autres petits milliards d’habitants dans le monde entendent bien continuer à développer leurs économies, à accroître leur qualité de vie, et donc à augmenter leurs émissions au moins jusqu’en 2030, NDCs ou non.
Adaptation.
Les finances consacrées à l’adaptation devraient être multipliées par 2.
Pertes et dommages.
Cet aspect de la COP27 a fait les gros titres des médias (faute de mieux à se mettre sous la dent). Mais il ne saute pas aux yeux à la lecture des « décisions ». On le trouve aux §24-25 de la COP.27 et §46-47 de la CMA.4.
Rappelons que ce concept avait pris naissance lors de la COP19 de Varsovie en 2013.
Lors de la COP27, pour la première fois, il a été décidé de créer un fonds d’indemnisation spécifique pour compenser les dommages causés au pays en développement par les aléas météorologiques. L’organisation de ce fonds sera la tâche de l’année 2023, au cours de laquelle sera choisi le lieu d’implantation du secrétariat d’un certain « réseau de Santiago ». Le secrétariat en question va avoir fort à faire pour déterminer ce que sont véritablement ces dommages (passés, et depuis quand ? de l’année ? futurs ? modélisés ?), en donner l’évaluation, et savoir qui va payer et à qui.
Finance.
Le caractère hétéroclite et désordonné de ce chapitre est déconcertant. Résumons : les pays développés ont été incapables de mobiliser les 100 milliards d’US$ par an promis pour 2020. Donc et par conséquent, il est urgent d’en mobiliser au moins 100 fois plus (dans les 10 000 milliards d’US$, pardon si on a mal compris) déjà pour réaliser le net zéro. Sans compter le doublement des crédits d’adaptation et les indemnités pour pertes et dommages qui ne semblent pas être inclus dans les chiffres cités. J’ai bon, m’sieur ?
EN CONCLUSION
Les sujets qui fâchent sont reportés à la COP28 de Dubaï. Pas le lieu idéal pour célébrer l’enterrement des énergies fossiles.
Embrigadement des mineurs.
Ce sujet semble avoir échappé à l’attention des commentateurs. Il est évoqué en préambule (« education ») mais surtout dans le chapitre XVI de la COP.27 où les « youth and children » sont évoqués avec une insistance nouvelle (à sept reprises) comme devant être impliqués dans les processus. Croisade des Enfants, Joueur de flûte de Hamelin, Chemises vertes ? Nous aurons été prévenus.
Contentieux.
Tous ces « engagements » chiffrés ou non ne peuvent qu’alimenter les contentieux « climatiques » déjà prospères. On peut compter sur les cabinets d’affaires spécialisés pour scruter les textes et actionner les sergents recruteurs de plaignants (de préférences jeunes, modestes et géographiquement dispersés). Puis engager en leur nom des procédures contre les pouvoirs publics de tous niveaux auprès des juridictions nationales, européennes ou internationales. Au vu de l’orientation idéologique prise par certains magistrats ces dernières années, le succès est assuré. A quand les « chambres climatiques » au sein des hautes juridictions ?
ÉPILOGUE.
De port en port, de COP en COP, retour à la maison.