Chers amis,
Comme vous le savez, la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) a rendu en juin un ensemble de propositions qui doivent servir de base à l’élaboration de divers textes de lois. Cette convention n’a aucune légitimité démocratique. Elle n’a pas davantage de compétences techniques, si bien que, sans surprise, ses propositions ne sont qu’un catalogue de bonnes intentions plus ou moins recopiées d’autres catalogues du même genre. Ces propositions sont au mieux naïves, au pire dangereuses, et dans tous les cas contre-productives.
Comme il vous a été annoncé, l’Association des Climato-Réalistes va présenter durant les semaines à venir des explications sur ce qu’il faut penser des propositions de cette Convention. Nous comptons sur vous pour répercuter ces informations au plus grand nombre. Transmettez-les à vos proches, faites-les circuler sur les réseaux sociaux, interpellez vos élus locaux ! Le débat sur les propositions de la CCC ne fait que commencer, c’est maintenant qu’il faut agir et faire entendre notre voix !
Au mois de juillet, nous avons publié un article du Professeur Rémy Prud’homme portant sur le mythe du transfert modal.
Notre sujet d’aujourd’hui concerne la rénovation énergétique des bâtiments. Il est analysé pour nous par Samuel Furfari, ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne pendant 36 ans dans le domaine de l’énergie.
Ensemble, faisons-nous entendre !
Amicalement à tous,
Benoît Rittaud,
président de l’Association des Climato-Réalistes.
La rénovation énergétique des bâtiments : mythes et réalités
par Samuel Furfari
Idée géniale que la rénovation énergétique des bâtiments ? Sauf qu’elle n’est nullement neuve : une directive de l’Union européenne l’impose depuis 2002 ! La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ne fait d’ailleurs que suivre la Commission européenne qui, dans son Pacte vert, insiste une fois encore sur l’importance de l’efficacité énergétique dans les bâtiments. Si ça n’a pas marché jusqu’à présent, c’est qu’il y avait des raisons objectives. Celles-ci n’ont pas disparu simplement parce que des citoyens tirés au sort ont découvert la question…
Importance de l’efficacité énergétique
Trop souvent, on confond transition énergétique avec énergies renouvelables. C’est une erreur, car il y a beaucoup à faire, et pour moins cher, dans le domaine de l’efficacité énergétique. Qu’une question d’efficacité énergétique soit mise en avant est donc intéressant. Mais il faut se rendre à l’évidence : malgré le slogan ridicule « la meilleure énergie est celle qu’on n’utilise pas », la politique d’efficacité énergétique demeure le parent pauvre de la politique énergétique.
Les politiciens sont friands de photos où ils se montrent aux côtés d’infrastructures qu’ils ont financées, mais on ne peut pas se faire prendre en photo devant des économies d’énergie. Les élus, et particulièrement les élus locaux qui ont besoin de visibilité, ont donc très souvent préféré financer des panneaux photovoltaïques sur les toits de leurs écoles et bâtiments administratifs plutôt que de financer la pose de nouvelles fenêtres ou des panneaux d’isolants. Ces derniers, en plus d’économiser de l’énergie, apportent pourtant aussi du confort à ceux qui les occupent.
Importance de la chaleur
Une des erreurs de base de la politique énergétique consiste à n’observer la situation énergétique qu’au travers de la question de l’électricité. Or en moyenne dans l’UE et la France, l’électricité ne représente respectivement que 22% et 27% de la demande finale en énergie. Cette considération élémentaire devrait redimensionner l’enthousiasme des personnes bien intentionnées pour une transition énergétique. Les énergies renouvelables financées et développées sont pour la très grande majorité l’éolien et le solaire, mais elles ne servent qu’à produire de l’électricité. Elles ne s’attaquent donc qu’à un cinquième de la problématique de l’énergie. Comment produire les 50% de l’énergie que nous utilisons pour chauffer nos maisons et nos fours industriels ? Certainement pas avec des panneaux solaires et des éoliennes.
L’efficacité énergétique dans le secteur de la chaleur est un vrai sujet. 80% de l’énergie finale consommée sous les toits de nos maisons ou bâtiments est de la chaleur. Si l’on veut vraiment réduire nos consommation d’énergie, il s’agit donc d’une priorité. Certes, la CCC le demande, en proposant de diviser par 2 d’ici 2040 les 16 % d’émissions nationales de gaz à effet de serre engendrés dans le secteur résidentiel et tertiaire. Sauf que….
La dure réalité de l’efficacité énergétique dans le bâti
Selon le Buildings Performance Institute Europe (BPIE), les niveaux actuels de consommation d’énergie pour un bâtiment unifamilial vont de 585 kWh/m² (Royaume-Uni, avant 1920, maison individuelle) à 34 kWh/m² (Slovénie, après 2005). La consommation annuelle moyenne d’énergie des bâtiments résidentiels est aujourd’hui de 168 kWh/m², et en moyenne 118 kWh/m² sont utilisés pour le chauffage. Les bâtiments de services, tels que les banques, les bureaux et les magasins, représentent un quart du stock. La consommation d’énergie par mètre carré est en moyenne 40 % plus élevée que dans les bâtiments résidentiels.
En général, un grand appareil électro-ménager est changé tous les dix ans et, lorsqu’il est remplacé, le nouvel appareil est beaucoup plus efficace énergétiquement grâce aux innovations technologiques. Une chaudière domestique est remplacée au bout de 20 à 30 ans et, là encore, la nouvelle est toujours beaucoup plus efficace. Mais se débarrasse-t-on d’une maison comme d’un smartphone obsolète ou d’un vieux réfrigérateur ? Non, bien entendu. La réalité est la suivante :
- Dans de nombreux États membres de l’UE, un grand nombre de bâtiments ont été construits avant 1920.
- Environ 40% des 180 millions de bâtiments de l’UE ont été construits avant 1960, à une époque où l’attention à l’efficacité énergétique n’existait pas. Au fil des ans, seule une petite partie de ces bâtiments a fait l’objet d’une rénovation énergétique importante.
- Près de ¾ des bâtiments qui existeront en 2050 ont déjà été construits.
- Le taux actuel de rénovation des bâtiments n’est pas supérieur à 1 % par an : à ce rythme, la moitié de ces bâtiments ne seront pas rénovés d’ici 2050.
- Avec ce taux actuel de 1% du renouvellement du bâti existant, il faudra un siècle pour remplacer toutes les maisons du pays.
Si le taux de rénovation n’augmente pas, l’UE et ses États membres ont très peu de chances d’atteindre leurs objectifs en matière d’efficacité énergétique. Ce n’est pas par manque de volonté politique que les bâtiments ne sont pas démolis pour être reconstruits en vue d’une plus grande efficacité énergétique, mais parce qu’il est financièrement, économiquement et même sentimentalement impossible de détruire des maisons et d’en construire de nouvelles dans le seul but de « sauver la planète ». La structure, l’âge et la dispersion de la propriété du parc immobilier créent des barrières spécifiques, telles que des conflits d’intérêts entre locataires et propriétaires, et entre copropriétaires des bâtiments. Ces incitations dites « fractionnées » rendent plus difficile le financement des rénovations nécessaires pour les rendre efficaces sur le plan énergétique.
Le problème propriétaire-locataire
Les différentes formes de propriété des bâtiments nécessitent des mesures différentes pour favoriser la rénovation énergétique. Environ 70 % de la population de l’UE vit dans des immeubles résidentiels privés. Ce n’est pas parce que les propriétaires ne sont pas conscients des avantages, ou qu’ils manquent de conseils concernant les possibilités techniques, ou même qu’ils sont confrontés à des incitations fractionnées (par exemple dans les immeubles à appartements multiples) qu’ils ne rénovent pas leur avoir. C’est parce que la dépense n’en vaut pas la peine. Le retour sur investissement est beaucoup trop faible : on est peu enclin à investir d’importantes sommes dans l’espoir de les récupérer au bout de 20 ans ! La rénovation n’étant rentable que sur le long terme l’investissement est rarement réalisé s’il n’y a pas une autre raison (agrandissement ou achat par exemple). On ne comprend donc que trop bien que le titre de cet objectif de la CCC soit de « rendre obligatoire » : cela ne se fait pas de façon naturelle.
Dans les bâtiments privés loués, les principaux défis sont les incitations fractionnées, c’est-à-dire que les propriétaires sont peu enclins à investir puisque c’est le locataire qui paie la facture et que c’est lui qui bénéficiera de l’avantage d’une meilleure efficacité énergétique. Il n’existe pas de solution simple à cela. La législation nationale pourrait revoir les lois sur la propriété afin de déterminer comment répartir les bénéfices des améliorations énergétiques dans les propriétés privées louées entre les propriétaires et les locataires, ou comment partager les bénéfices et les coûts entre les résidents des immeubles à appartements multiples, mais c’est extrêmement compliqué à mettre en œuvre. Raison pour laquelle cela ne se fait pas, et de toute évidence ne se fera jamais.
Qu’en est-il des bâtiments appartenant à des organismes publics (y compris les logements sociaux) ? Ils représentent en effet une part considérable du parc immobilier. Le problème, c’est l’ampleur du financement nécessaire, qui nécessitera nécessairement de nouvelles taxes. Dans un pays au taux de prélèvement déjà très élevé, c’est tout simplement irréaliste. Écoles, universités ou encore hôpitaux sont des bâtiments souvent gourmands en énergie, qui pourraient très bien servir de vitrine… même eux, pourtant, ne reçoivent pas les fonds nécessaires. Et ce depuis des années.
La simplicité du double vitrage
La première chose à faire pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments serait de remplacer les vieux châssis à simple vitrage par des nouveaux à double vitrage. On le sait depuis la première crise pétrolière (1974), mais après presque un demi-siècle il est choquant d’observer que ce sont les pouvoirs publics qui sont nettement en retard dans la mise en œuvre de cette banalité. Ce n’est certes pas de la haute technologie dont on peut se vanter, ce n’est pas aussi glorifiant qu’une éolienne, mais c’est la base de l’efficacité énergétique dans les bâtiments.
Annexe : heurs et malheurs des directives européennes sur la rénovation énergétique
La CCC ne mentionne même pas les directives européennes sur la performance énergétique des bâtiments, qui constituent pourtant l’une des principales politiques énergétiques de l’UE. C’est tout à fait symptomatique de personnes de bonne volonté mais incompétentes, réfléchissant sans le savoir sur des choses qui existent depuis des années. Pour ceux qui voudront se faire une idée plus précise de ce que donne la confrontation des bonnes intentions avec le réel, voici comment les choses se sont passées depuis 2002, date des premières décisions sur le sujet prises par l’UE pour améliorer l’efficacité énergétique dans les bâtiments.
Pour honorer les engagements pris dans le cadre du Protocole de Kyoto, l’UE a adopté une première directive en 2002 sur l’efficacité énergétique. Celle-ci était accompagnée d’un dispositif d’étiquetage de la performance énergétique des bâtiments, à l’instar des appareils électroménagers qui sont affublés d’une étiquette signalant leur classe énergétique. Toutefois, vu le manque de résultats, cette directive a dû être révisée en 2010 et encore une fois en 2018. L’approche législative a donc échoué.
La première obligation de ces directives est de garantir des exigences de performance énergétique optimales en termes de coûts pour les nouveaux bâtiments et les bâtiments existants qui font l’objet de rénovations importantes, c’est-à-dire qui sont soit rénovés, dont certaines parties de l’enveloppe du bâtiment ou des systèmes techniques du bâtiment (chauffage, refroidissement, grand système de ventilation) sont renouvelés, remplacés ou modernisés.
L’ancienne directive de 2002 sur la performance énergétique exigeait une certification de la performance énergétique avec une note allant de A, la plus efficace, à G, la moins efficace. Il n’est pas autorisé de mettre en location ou de vendre un immeuble sans qu’il soit accompagné d’une certification de sa performance énergétique. Mais qui se préoccupe de cette étiquette au moment du choix ? L’achat ou la location d’un bien répond à l’émotion que l’on ressent, de la capacité financière de l’acheteur ou locataire, de sa localisation, et d’autres critères subjectifs. La froideur d’une classification bureaucratique a peu d’importance dans ce choix.
Dans l’espoir de la rendre plus attractive, la directive de 2010 a exigé une meilleure fiabilité de cette certification : elle doit être effectuée par des experts qualifiés, il doit y avoir un contrôle de qualité indépendant des certificats, et un seuil inférieur concernant l’affichage des certificats dans les bâtiments publics de plus de 250 m² doit être fixé.
D’autres dispositions contenues dans les directives visent l’obligation d’une rénovation complète de 3 % par an de la surface des bâtiments de l’administration centrale. La Commission européenne avait proposé d’appliquer cette mesure également aux bâtiments des administrations des collectivités territoriales, mais la France s’y est opposée.
Une autre caractéristique majeure de la directive de 2002 oblige la construction de bâtiments à énergie quasi nulle ou des bâtiments passifs pour toutes les nouvelles constructions d’ici la fin de 2020 (fin 2018 pour les bâtiments publics). On en est aujourd’hui très loin, tant la mise en œuvre de cette disposition est difficile à réaliser, aussi bien financièrement que géographiquement. Certes, les nouvelles construction sont bien plus performantes grâce aux choix de nouveaux matériaux, des efforts des architectes et de nouvelles techniques de construction. Mais l’objectif de cette disposition demeure irréaliste.
Un bâtiment « passif » est ainsi désigné parce qu’il ne consomme pas d’énergie pendant son utilisation. Cependant, pour être juste, le cycle de vie complet doit prendre en compte la quantité d’énergie utilisée pour produire les matériaux nécessaires à sa construction et l’énergie utilisée pendant la phase de construction. On comprend bien que démolir une maison pour en construire une plus efficace n’a pas de sens, compte tenu de l’énergie nécessaire à la démolition, au recyclage des déchets et à la production des matériaux pour la nouvelle construction. On peut retourner le problème dans tous les sens : il n’y a pas de solution efficace si n’est le bon sens qui prévalait jusqu’à présent et qui reste notre meilleur guide.
Le Pacte vert n’a pas osé réviser une nouvelle fois la directive, car tout est dit depuis 2002. Ce n’est pas faute de législation, ni parce que celle-ci n’était pas bien conçue que le résultat se fait attendre. C’est en raison de la nature même de l’opération, qui ne peut pas se faire avec un coup de baguette magique. Il va donc falloir se contenter de faire de la « communication »… Il est en effet très facile de faire de grandes déclarations, voire de les traduire en texte législatifs. Les résultats, quant à eux, révèlent la médiocrité de tout ce mécanisme législatif.
On comprend donc bien pourquoi le mot « obligatoire » et ses dérivés apparaît pas moins de 16 fois dans le texte de 9 pages de la CCC sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments. En effet, il ne s’agit pas de quelque chose qui pourra se faire naturellement. Seule la la contrainte de l’écologie punitive pourra infléchir cette situation de fait. Si on ajoute que cette rénovation doit se faire selon les propositions de la CCC « dans un souci de justice sociale », on comprend qu’il n’y aura jamais assez d’argent pour rénover les logements sociaux. Ajoutons encore que la rénovation doit, selon la CCC, avoir recours à « des matériaux biosourcés » et doit « coupler la rénovation globale avec le développement des énergies renouvelables » et nous voilà dans la pure rêverie.
Conclusion
L’objectif de la rénovation énergétique des bâtiments est louable. L’UE le vise depuis 2002. Mais très peu a pu être fait, parce qu’on ne démolit pas un bâtiment sous prétexte qu’il consommerait trop d’énergie par rapport à un bâtiment plus moderne. La rénovation du bâti suis son propre rythme, et les améliorations de l’efficacité énergétique seront progressivement mise en œuvre, apportant économie mais aussi confort. Cela peut sembler frustrant, mais voudrait-on vraiment d’un système soviétique d’obligations et de contrôles de nos biens meubles et immeubles ? D’autre part, la numérisation va progressivement pénétrer les nouveaux bâtiments et contribuera à réduire la consommation d’énergie.
Donc, oui : nous allons aller vers des bâtiments de plus en plus énergétiquement performants, mais il faut cesser d’imaginer que la contrainte accélèrera le mouvement. L’UE l’a appris à ses dépens. Plutôt que de faire perdre son temps à la CCC, il aurait suffi de consulter les spécialistes de la question. Cela aurait évité à des citoyens de réinventer des solutions qui ont fait la preuve de leur inefficacité depuis près de vingt ans.
La première source d’économie d’énergies au niveau des bâtiments ne coûte rien, ne nécessite ni travaux ni interventions contraignantes! Ah oui? me direz-vous, qu’est-ce donc?
Eh bien sortez dans la rue et regardez autour de vous!… alors? Vous voyez ce que je vois mais ce à quoi plus personne ne fait attention! La plupart des magasins travaillent avec les portes grandes ouvertes été comme hiver avec le chauffage ou la clim à fond selon la saison. Vous pouvez toujours dépenser de petites fortunes pour isoler les appartements situés dans les étages, il suffit d’un magasin au rez-de chaussée grand ouvert du matin au soir pour ruiner tous ces efforts. Je constate que l’inénarrable Convention citoyenne sur le climat n’a pas pensé à exiger que les magasins travaillent avec les portes fermées, ce n’est sans doute pas assez punitif et pourtant bigrement efficace!
On pourrait aider les magasins à installer des portes à fermeture automatique (qu’ils ne laissent pas bloquées en position ouverte bien sûr) le rapport investissement/ gain d’énergie serait en tête de palmarès!