par Judith Curry (21 novembre 2021)
(Traduit par Camille Veyres)
Le domaine des relations Soleil-climat…ces dernières années a été corrompu par des influences politique et financière malvenues, les sceptiques du changement climatique s’étant emparés des effets solaires putatifs pour justifier leur inaction face au réchauffement anthropique.
Lockwood (2012).
Nous soutenons que le débat Soleil/climat est l’une de ces questions où les déclarations de “consensus” du GIEC ont été obtenues prématurément par l’élimination des opinions scientifiques dissidentes.
Connolly et al. (2021)
L’impact des variations solaires sur le climat est incertain et fortement débattu. Pourtant, les rapports d’évaluation du GIEC ne permettent pas de voir qu’il y a un débat et une forte incertitude sur cette question.
Le soleil a des cycles d’environ 11 ans (cycle de Schwabe) au cours desquels l’activité solaire augmente puis diminue. Au-dessus de l’atmosphère terrestre, le flux solaire total (total solar irradiation) TSI, mesuré en watts par mètre carré (W/m²) varie peu entre le maximum le minimum des 11 ans, de l’ordre de 0,1 % de la TSI, soit environ 1 W/m². Une augmentation de la TSI sur plusieurs décennies devrait provoquer un réchauffement de la planète (toutes choses égales par ailleurs), et une diminution sur plusieurs décennies de la TSI devrait provoquer un refroidissement de la planète. Des chercheurs ont émis l’hypothèse que des variations décennales, ou plus longues, de l’activité solaire pourraient être un facteur important du changement climatique.
La manière exacte dont la TSI a évolué au fil du temps reste un problème difficile. Depuis 1978, nous disposons de mesures directes de la TSI faites sur des satellites, mais la recherche d’une tendance pluri-décennale nécessite des comparaisons d’observations provenant de satellites dont les périodes de bon fonctionnement se recoupent. Une forte incertitude existe dans les séries composites TSI sur la période de 1978 à 1992 ; en effet la mission du satellite solaire ACRIM2 a été retardée à cause de la catastrophe de la navette spatiale Challenger en 1986 et ACRIM2 a finalement été lancé à la fin de 1991 alors que ACRIM1 s’est arrêté en juillet 1989. Le trou entre juillet 1989 et fin 1991 empêche de comparer directement les deux séries de mesures de haute qualité la TSI par ACRIM1 et par ACRIM2. [https://www.mdpi.com/2072-4292/11/21/2569]
Cette question complexe d’étalonnage l’une par rapport à l’autre des deux séries d’observations satellitaires a de grosses conséquences. Il y a un certain nombre d’autres séries de données liées à la TSI qui ne s’accordent pas sur l’augmentation ou la diminution de la TSI au cours de la période 1986-1996. En outre, la série des mesures satellitaires de la TSI sert à calibrer d’autres séries, des taches solaires et des isotopes cosmogéniques [Velasco Herrera et al. 2015] qui donneraient une estimation des variations solaires passées. Certaines de ces séries de valeurs passées de la TSI (depuis 1750) présentent une faible variabilité, ce qui implique un impact très faible des variations solaires sur la température moyenne à la surface du globe, tandis que des séries de données avec une forte variabilité de la TSI peuvent expliquer de 50% à 98 % des variations des températures depuis l’époque préindustrielle.
Le rapport AR5 du GIEC a adopté les reconstructions solaires à faible variabilité, sans mentionner cette controverse. Il a conclu que la meilleure estimation du forçage radiatif dû aux changements de la TSI pour la période 1750-2011 était de 0,05 W/m², avec une « confiance moyenne ». À comparer au forçage dû aux 2,29 W/m² des gaz atmosphériques « à effet de serre » [NdT : hors vapeur d’eau !] sur la même période. Ainsi, le message du rapport GIEC AR5 est que le forçage du changement climatique par des changements de l’activité solaire est presque négligeable par rapport aux effets anthropiques.
Le rapport d’évaluationAR6 du GIEC admet une plage bien plus grande de valeurs estimées des changements de la TSI au cours des derniers siècles : entre le minimum de Maunder (1645-1715) et la seconde moitié du 20e siècle la TSI a augmenté d’une valeur comprise entre 0,7 W/m² et 2,7 W/m², une fourchette qui inclut les séries de TSI faiblement variables et celles plus fortement variables. Néanmoins la série des forçages radiatifs recommandée pour les simulations informatiques CMIP6 utilisées dans le rapport AR6 est la moyenne de deux séries de faible variabilité (Matthes et al. 2017).
Les incertitudes et le débat sur les variations solaires et leur impact sur le climat ont été le thème de ClimateDialogue qui est une expérience intéressante dans la blogosphère. ClimateDialogue est venu d’une demande du parlement néerlandais pour faciliter les discussions scientifiques entre des experts représentant l’ensemble des points de vue sur le climat. Le Dialogue on solar variations (2014) comprenait cinq scientifiques éminents tous avec de nombreuses publications sur ce sujet. L’un était en accord avec le rapport AR5 du GIEC, pensant que les variations solaires ne sont qu’un acteur mineur du climat de la Terre ; deux autres ont plaidé pour un rôle plus important, voire dominant, du Soleil, et les deux derniers ont souligné les incertitudes qui limitent notre compréhension actuelle de ces phénomènes.
Plus récemment, un article de synthèse a été publié par Connolly et al. (2021) dans la revue Research in Astronomy and Astrophysics. Cet article est le travail de 23 co-auteurs aux opinions diverses, mais unis dans leur refus de l’approche « consensus » du GIEC. Cet article montre où sont les divergences et les points d’accord. Ces auteurs ont constaté que le débat Soleil/climat est un sujet où l’affirmation par le GIEC d’un consensus ne repose que sur la suppression prématurée des opinions scientifiques divergentes.
Les projections climatiques pour le XXIe siècle ne peuvent ignorer un possible changement substantiel de l’activité solaire. Aux échelles de temps de plusieurs décennies, les reconstitutions de l’activité solaire à partir de marqueurs montrent des phases d’activité solaire exceptionnellement faible ou forte appelées Grand Minimum Solaire et Grand Maximum Solaire (Usoskin et al., 2014). Les grands maxima solaires correspondent à plusieurs cycles solaires successifs avec une activité supérieure à la moyenne sur des décennies ou des siècles.
L’activité solaire a atteint des niveaux inhabituellement élevés dans la seconde moitié du XXe siècle, bien que les reconstructions ne s’accordent pas sur la question de savoir si ce maximum a culminé dans les années 1950 ou s’est poursuivi dans les années 1990. On estime qu’environ 20 grands maxima se sont produits au cours des 11 derniers millénaires (Usoskin et al. 2007), soit, en moyenne, un tous les 500 ans. Au cours des onze derniers millénaires, il y a eu onze grands minima solaires, séparés par des intervalles allant d’une centaine d’années à quelques milliers d’années. Le dernier grand minimum a été le minimum de Maunder, de 1645 à 1715. [lien]
Il y a plusieurs raisons de s’attendre à une activité solaire plus faible au cours du XXIe siècle, par rapport au XXe siècle. Le cycle solaire 24 qui vient de s’achever a été le plus pauvre en taches solaires des cent dernières années et le troisième d’une tendance à la diminution du nombre de taches solaires. Les physiciens spécialistes du Soleil s’attendent à ce que le cycle 25 soit encore plus faible que le cycle 24. Et de plus un grand maximum a plus de chances d’être suivi d’un grand minimum que d’un autre grand maximum (Inceoglu et al., 2016). Les projections empiriques voient un nouveau minimum solaire commençant en 2002-2004 et se terminant en 2063-2075 (Velasco Herrera et al. 2015). II y aurait 8 % de chances que le Soleil tombe dans un grand minimum au cours des 40 prochaines années (Barnard et al. 2011). Mais le niveau et la durée d’une phase de faible activité solaire au cours du XXIe siècle sont largement incertaines.
Si au milieu du XXIe siècle le soleil entrait dans un minimum proche du minimum de Maunder, quel refroidissement devrions-nous nous attendre ? Pour les modèles climatiques et pour d’autres modèles analytiques, le refroidissement serait faible, allant de 0,09°C à 0,3°C (Fuelner 2010). Ces modèles supposent que l’interaction entre le soleil et le climat se limite au seul forçage par la TSI.
Cependant, on a de plus en plus de preuves que d’autres aspects de la variabilité solaire amplifient le forçage de la TSI ou sont indépendants de la TSI, ce que l’on appelle des effets solaires indirects comme des changements dans l’ultraviolet solaire, des pluies de particules de forte énergie, l’effet du champ électrique atmosphérique sur la couverture nuageuse, les changements de la couverture nuageuse produits par les rayons cosmiques galactiques modulés par le soleil, de grands changements du champ magnétique et de la force du vent solaire. Les effets solaires indirects relèvent de la catégorie des « inconnues connues ». Bien que ces effets indirects ne soient pas inclus dans les projections CMIP6 pour le XXIe siècle, nous pouvons faire certaines déductions sur la base de publications récentes. Elles suggèrent que les effets solaires indirects pourraient amplifier une anomalie de la TSI par un facteur compris entre 3 et 7. [Shaviv (2008), Scafetta (2013) Svensmark (2019)]. Avec cette amplification une diminution de la température de surface allant jusqu’à 1°C (ou même plus) pourrait se produire avec un minimum de type Maunder.
Alors, a-t-on des scénarios plausibles pour les changements d’origine solaire de la température mondiale au cours du XXIe siècle ? Trois scénarios couvrent à peu près toute la gamme des scénarios plausibles :
Scénario de référence CMIP6 : environ -0,1°C (Matthes et.al 2017)
Scénario intermédiaire : -0,3°C, avec à une estimation forte du minimum de Maunder, mais sans effets d’amplification (Fuelner 2010), ou un minimum plus faible si on a des effets d’amplification.
Scénario fort : -0,6°C avec un scénario de faible activité solaire (mais pas un minimum de Maunder) et une amplification par les effets solaires indirects ( Solheim ).
Les observations des 20 ou 30 prochaines années devraient révéler beaucoup de choses sur le rôle du Soleil dans le climat.
Réflexions de JC
Le GIEC reconnaît une incertitude substantielle dans les changements de la TSI au cours des derniers siècles, déclarant que la TSI entre le minimum de Maunder (1645-1715) et la seconde moitié du 20e siècle a augmenté de 0,7 à 2,7 W/m2, une fourchette qui inclut des ensembles de données de TSI à faible et à forte variabilité. Cependant, l’ensemble de données de forçage recommandé pour les simulations du modèle climatique CMIP6 utilisé dans le RE6 fait la moyenne de deux ensembles de données à faible variabilité (Matthes et al. 2017).
Les implications d’une si grande incertitude dans les STI sur la sensibilité du climat d’équilibre et l’attribution du réchauffement du XXe siècle sont ignorées par le GIEC. Si les ensembles de données de haute variabilité sont corrects, cela a des implications substantielles pour les estimations de la sensibilité climatique au CO2, et l’attribution du réchauffement du 20ème siècle. Cette question ne peut pas continuer à être balayée sous le tapis. D’autres auteurs ne l’ignorent pas.
Voici trois publications récentes qui offrent matière à discussions :
Scafetta : Testing the CMIP6 GCM simulations versus surface temperature records from 1980-1990 to 2010-2020
Connolly et al : How much has the sun influenced Northern Hemisphere temperature trends ?
Girma Orssengo : Determination of the Sun-Climate Relationship Using Empirical Mathematical Models for Climate Data Sets.
Mise à jour :
Frank Stefani : Solar and anthropogenic influences on climate : regression analysis and tentative predictions