Discours prononcé le 7 décembre 2017 à Paris au Contre-sommet des climato-réalistes par Václav Klaus, ancien premier ministre et ancien président de République tchèque.
Ne renonçons pas à combattre l’alarmisme climatique, il n’est jamais trop tard
Mesdames et Messieurs,
Merci pour votre invitation et pour l’occasion qui m’est donnée de participer à cette importante réunion. Il m’est agréable de revenir en France, après bien des années, et de voir à quoi ressemble le Paris de l’époque des migrations de masse.
Je voyage à l’étranger, sans cesse ou presque, mais pas en France. Je ne sais si c’est ma faute ou autre chose. Une raison en peut être mon incapacité à parler le français, ce que je crois une insuffisance regrettable ; une autre raison est cette évidente différence entre mes opinions et la pensée-conforme qui, en France, imprègne beaucoup d’esprits.
J’ai pourtant ces dernières années, été inspiré par les ouvrages de certains auteurs français dont Michel Houellebecq, Pascal Bruckner, Pierre Manent, Alain Finkielkraut, sans oublier mon vieil ami Pascal Salin. Ça m’a donné une motivation nouvelle pour reprendre contact avec la France et ses intellectuels.
J’avoue que je n’étais, jusqu’à une date récente, pas au courant de l’existence de l’Association française des Climato-réalistes, de ses activités, et de sa capacité à organiser des réunions aussi importantes que celle d’aujourd’hui. Je vous remercie de m’avoir fait venir et de me donner l’occasion de m’adresser à cette audience distinguée.
L’alarmisme climatique postule un réchauffement planétaire dû à l’action de l’homme, et qui mettrait en danger l’humanité elle-même ; c’est devenu l’un de mes principaux sujets de préoccupation et d’inquiétude. Je suis absolument en désaccord avec cette doctrine du réchauffement climatique global qui est un ensemble de croyances, une idéologie si ce n’est une religion ; cette doctrine et ces croyances mettent en danger la liberté des hommes et la prospérité de l’humanité. Cette doctrine a une existence indépendante de la climatologie scientifique : les discussions et controverses ne portent pas sur les températures ou sur d’autres observations, mais expriment un conflit idéologique.
Mon approche du sujet se fonde :
- sur l’expérience très particulière que j’ai acquise sous le régime communiste sous lequel j’ai passé les deux-tiers de mon existence. Cette expérience a aiguisé notre regard. Nous sommes devenus hypersensibles aux efforts déployés pour violer nos libertés, supprimer l’utilisation de la raison et le libre-échange des idées, hypersensibles aux efforts pour nous imposer les dogmes de ceux qui se considèrent comme meilleurs que les autres. A l’époque communiste nous avons vécu une situation irrationnelle où la science était à la fois encouragée et interdite, reconnue et valorisée, mais en même temps, manipulée et détournée. Mon sentiment est aujourd’hui le même.
- sur ma qualité d’économiste avec des convictions très fortes quant aux rôles des marchés et des gouvernements dans la société et l’économie, quant au rôle des mains visible et invisible dans le pilotage de notre vie et la préparation de notre futur ; les interventions politiciennes dans le domaine économique sous prétexte de « combattre pour le climat » sont, pour moi, absolument indéfendables.
- sur mon expérience de politicien qui, depuis 25 ans, a toujours combattu toutes les variantes de l’idéologie « verte » et en particulier, son couronnement, la doctrine du « réchauffement climatique global ». J’ai depuis bien des années été mêlé de près à ce débat sur le « réchauffement climatique global » et sur le rôle que l’humanité y pourrait jouer, débat plein de controverses et de manipulations énormes. J’ai été le seul chef d’état à oser exprimer des vues totalement « dissidentes » à l’assemblée générale des Nations Unies, il y a dix ans déjà.
J’ai participé activement à ce débat de bien des façons ; la plus visible est mon livre intitulé « La planète bleue dans des entraves vertes », publié en 18 langues (la version française en est Planète Bleue en Péril Vert, Institut de Recherches Economiques et Fiscales, Aix-en-Provence, 2009). Cette année j’ai publié une suite « Allons-nous être détruits par le climat, ou bien détruits par notre combat « pour » le climat ? »; ce livre est actuellement en tchèque avec une version anglaise à paraître très bientôt.
Je ne suis pas d’accord avec le prétendu « consensus » que proclament les propagandistes de l’alarmisme « climatique ». L’objet de ce consensus est extrêmement limité : les scientifiques, et les individus qui pensent rationnellement, sont d’accord pour dire que les températures moyennes ont, depuis deux siècles, augmenté, et que des activités humaines pourraient y avoir joué un certain rôle. Rien de plus. Il est clair que tant l’amplitude du réchauffement que ses causes sont encore et toujours l’objet des très vifs débats. Il n’y a, à ce sujet, aucune espèce de consensus.
Les politiciens qui, il y a deux ans, ont signé l’accord de Paris, ou bien ne sont pas conscients de l’absence de tout fondement scientifique à cet accord, ou bien ils en sont conscients, mais l’ont signé parce qu’il sert leurs intérêts politiques ou personnels. Et ce peut être les deux, l’ignorance et la malhonnêteté.
Ces politiciens ont compris qu’il est très facile de jouer la carte du réchauffement climatique global, au moins à court et moyen terme. Ils savent bien, comme Keynes l’a dit, qu’à long terme nous serons tous morts. Le problème est que ces politiciens ne veulent pas voir les conséquences à long terme des politiques qui se fondent sur cette doctrine. Ils espèrent que les électeurs apprécieront leur souci pour des sujets plus valorisants que les prochaines élections.
Voici comment l’on peut résumer la doctrine du réchauffement climatique :
- On commence par affirmer qu’il y a un réchauffement global (et pas seulement local), statistiquement significatif, confirmé par les observations, indiscuté et indiscutable.
- On continue en affirmant que la série temporelle des températures globales a une tendance croissante qui domine ses composantes cycliques et aléatoires. Cette tendance est prétendue non-linéaire, et, peut-être même, exponentielle.
- On déclare ensuite que cette tendance est dangereuse pour l’humanité (ce qu’affirment les environnementalistes « modérés ») ou pour la planète (ce qu’affirment les environnementalistes « durs » de la « deep ecology« ).
- On postule ensuite que la croissance de la température globale moyenne est exclusivement, ou essentiellement, un phénomène causé par l’homme et attribuable aux émissions croissantes de CO2venant de l’activité industrielle et des combustibles fossiles.
- La sensibilité de la température « globale » vis-à-vis de petites variations de la concentration de CO2dans l’atmosphère est supposée extrêmement grande.
- La croissance actuelle des températures ne peut être inversée que par une réduction radicale des émissions de CO2, qui devrait être gérée par les organes d’une sorte de gouvernement mondial. Ils oublient de nous dire que ce n’est pas possible sans détruire la démocratie, l’indépendance et la souveraineté des différents pays, la liberté des hommes, la prospérité économique et les espoirs d’éliminer la pauvreté dans le monde.
Je ne crois en aucun de ces six articles de foi et suis heureux de ne pas être le seul. Nombreux sont les scientifiques, tant des sciences de la nature que des sciences de la société, des économistes surtout, qui n’y croient pas plus que moi. La difficulté est que les véritables scientifiques (ou la plupart d’entre eux) font de la science et ne veulent pas être impliqués dans des discussions publiques au sujet de cette doctrine.
Comment provoquer un changement ? J’aurai l’audace de dire que la science toute seule n’y parviendra pas. La doctrine du réchauffement climatique global ne se fonde pas sur la science. Le débat scientifique seul ne peut donc pas suffire à la discréditer.
Je crains aussi qu’un changement décisif ne puisse résulter de nouvelles données d’observation. Il est bien évident que les températures actuellement observées ne confirment pas du tout les prophéties alarmistes et apocalyptiques des croyants du réchauffement climatique global, ni leurs hypothèses « quasi-scientifiques » quant à l’existence d’une relation entre CO2 et température, excluant toute autre cause de variation des températures. Comme nous le savons tous, les données statistiques n’ont, pendant les 18 ans de 1998 à 2015, pas montré de « réchauffement global« .
Discuter de points techniques de façon toujours plus approfondie ne servira pas non plus à grand-chose, parce ça n’intéresse pas les adeptes de la théorie du réchauffement climatique. Leurs idées sont celles d’idéologues, nullement celles de scientifiques ou de climatologues. Des données et des théories, si sophistiquées qu’elles soient, ne les feront pas changer d’avis.
C’est aussi vrai pour la dimension économique du débat. Si quelqu’un veut réduire ou éliminer les émissions de CO2, il doit ou espérer une révolution dans l’efficacité économique [NdT : en € de PIB par quantité d’énergie] qui détermine les quantités de CO2 émises, ou se mettre à organiser une décroissance économique mondiale. Il n’y a aucune autre possibilité.
Une diminution radicale des émissions de CO2 a des conséquences et à court terme et à long terme : les analyser impose de faire très attention aux relations intertemporelles [NdT : taux d’actualisation[1]] et d’examiner les coûts d’opportunité [2]. Il est évident qu’en supposant un taux d’actualisation très faible, presque nul, les promoteurs de la doctrine du réchauffement climatique global négligent de prendre en compte le temps et les opportunités alternatives. [NdT : ces opportunités alternatives sont des investissements plus rentables et utiles.]
Prendre un taux d’actualisation faible dans la modélisation économique du réchauffement climatique global nuit gravement aux générations actuelles, et les désavantage par rapport aux générations futures. Nous ne pouvons pas admettre les affirmations
- que choisir un taux d’actualisation très faible protège les intérêts des générations futures,
- que les coûts d’opportunité sont sans importance, au motif que dans le cas particulier du réchauffement global, nous n’aurions pas la liberté de faire des choix.
Cette façon de penser est étrangère à l’économie, voire antiéconomique et ne doit en aucun cas être acceptée.
L’expérience vécue, personnelle, que j’ai eue de la planification centralisée et des tentatives de gérer la société par des directives venues d’en haut me force à vous mettre en garde contre les arguments et les ambitions des croyants de la doctrine du réchauffement climatique global. Leurs arguments et leurs ambitions sont très semblables à ceux que nous entendions quand nous vivions sous le communisme.
Il nous faut résister et combattre ces idées dangereuses. Ce doit être fait au niveau politique. Voilà ce que nous devons expliquer à nos concitoyens.
(Traduction : Camille Veyres)
[1] Le taux d’actualisation est la formulation technique et précise du populaire “un tiens vaut mieux que deux tu l’auras”. Il permet de prendre en compte le fait que la majorité d’entre nous préfèrent recevoir 100 euros aujourd’hui plutôt que s demain, ou payer 100 euros demain plutôt qu’aujourd’hui. Si je suis indifférent entre recevoir 100 euros aujourd’hui ou 105 euros demain, j’ai un taux d’actualisation de 5%. [Note de Rémy Prud’homme]
[2] Le coût d’opportunité est une façon intéressante de donner un sens à la notion de coût. Nos ressources en argent ou en temps sont toujours limitées. L’argent (ou le temps) que je consacre à ceci, je ne le consacre pas à cela; je me prive donc de l’utilité, du plaisir, de la satisfaction, que m’aurait procuré cela ; cette privation est pour moi le véritable coût de ceci, de « l’opportunité » que j’ai laissée tomber. Le coût d’opportunité des subventions aux renouvelables, c’est l’utilité des dépenses publiques ou privées de santé ou de logement chassées par lesdites subventions. [Note de Rémy Prud’homme]