Gulf Stream : le Jour d’après n’est pas pour demain

Selon deux études parues en avril 2018 dans la revue Nature, la circulation océanique profonde dans l’atlantique (AMOC [1]) serait en train de s’affaiblir risquant de provoquer un refroidissement sévère en Europe et en Amérique du nord [2]. L’une de ces études n’hésite pas à affirmer que le processus  allait s’amplifier au cours des prochaines décennies, conduisant à un point de bascule fatal du système climatique. Le Jour d’après serait-il pour demain [3] ?

La première étude menée par David Thornalley de l’University College de Londres a analysé des carottes de sédiments déposés par les courants au fil du temps sur les fonds marins et conclu que l’AMOC qui était relativement stable entre 400 et 1850 a commencé à décliner vers 1850.

La deuxième étude menée par Levke Caesar, de l’Institut pour la recherche sur l’impact climatique à Potsdam, a utilisé les températures de surface de la mer (SST) comme indicateur pour montrer que l’AMOC s’affaiblit rapidement depuis 1950 en réponse au récent réchauffement de la planète.

Bien qu’utilisant des méthodologies différentes ces deux études se rejoignent dans leurs conclusions : les glaces de l’Arctique canadien et des calottes glaciaires libèrent en fondant de grandes quantités d’eau douce qui abaissent la salinité et donc la densité des eaux de surface provoquant l’affaiblissement de l’AMOC.

On note cependant que la première étude l’attribue le phénomène réchauffement consécutif à la sortie du petit âge glaciaire (en 1850), l’autre à des causes anthropiques.

Le magazine en ligne Sciences et avenir a commenté ces deux études sous le titre racoleur de « Le Gulf Stream est-il en train de disparaître ? »

Le Gulf Stream ne peut pas disparaître

Le Gulf Stream est un courant marin de surface piloté par le vent qui par conséquent ne peut pas s’affaiblir et encore moins s’arrêter. Réagissant aux récurrents assauts de la propagande alarmiste sur cette question, l’éminent océanographe américain Carl Wunsch  avait cru bon de préciser en 2006 au magazine The Economist :

« Tant que le soleil réchauffera la Terre et que celle-ci continuera à tourner, nous aurons des vents, et donc le Gulf Stream (de même que les courant Kuroshio dans le Pacifique ou Agulhas dans l’Océan Indien)…la focalisation sur un hypothétique arrêt du Gulf Stream est un exercice stérile » .

Les études publiées par Nature portent sur la circulation océanique profonde dite AMOC (Atlantic Meridional Overturning Circulation) qui est une circulation océanique de grande échelle (dite thermohaline[4]) engendrée par les différences de densité de l’eau de mer dus aux écarts de température et de salinité. Lorsque les eaux de surface refroidies et salées deviennent plus denses que les eaux qu’elles surmontent, elles s’enfoncent jusqu’à la profondeur correspondant à leur équilibre hydrostatique. C’est ce phénomène de convection que l’on observe en Mer du Groenland dans l’ Atlantique Nord où les eaux de surface plongent jusqu’à une profondeur de 3 500 mètres formant l’eau profonde Nord-Atlantique qui vont se répandre à travers tout l’océan et remonter progressivement vers la surface, dans le Pacifique Nord par exemple pour revenir à leur point de départ en Mer du Groenland.

Circulation thermohaline

Carte de la circulation thermohaline : en bleu, la circulation profonde. En rose et en mauve, le retour en surface (source : futura-sciences)

C’est cette circulation thermohaline et non le Gulf Stream qui contrôle les transports océaniques de chaleur vers les hautes latitudes dans l’Atlantique Nord. La convection en Mer du Groenland créeen effet un véritable « appel d’eau » qui accroit d’autant les débits du courant de Norvège, du courant Nord Atlantique et du Gulf Stream et donc la quantité de chaleur qu’ils transportent vers les hautes latitudes. Que la convection en Mer du Groenland et la circulation thermohaline ralentisse ou s’arrête et c’est tout ou partie de ce flux de chaleur qui serait perdu pour l’Atlantique nord provoquant alors un refroidissement significatif de ces régions.

Les observations ne ne montrent qu’une remarquable variabilité de l’AMOC montré 

Deux  grands programmes d’observation de l’AMOC en Atlantique Nord ont été mis en place : OVIDE et RAPID :

  • Le programme OVIDE propose un index de la MOC entre le Groenland et le Portugal reconstitué dès 1993 à partir de données in-situ et d’observations satellitaires ;
  • Le programme RAPID  (Rapid Climate Change) s’appuie sur un réseau de 22 mouillages mis en place en 2004 à la latitude de 26°N.

Ces deux séries temporelles ne sont pas directement comparables car l’AMOC observée par OVIDE incorpore une variabilité propre au gyre subpolaire dont l’intensité s’élève en moyenne à environ un quart de l’amplitude totale estimée. RAPID met en exergue le signal qui est exporté vers les basses latitudes, avec une variabilité décennale plus faible.

Ovide

Comme le montre la courbe ci-dessous, Ovide ne fait pas apparaître de tendance  significative sur la période 1993-2015, mais révèle en revanche une grande variabilité saisonnière et décennale.

AMOC

RAPID

Les courbes ci-dessous (extraites du document du National oceanography center intitulé « Atlantic Overturning Circulation variability from decades to multi-decades ») font apparaître un affaiblissement sensible sur la période 2004-2016, superposé à une grande variabilité infra-annuelle.

AMOC

Le traitement statistique de la série montre un décrochage en 2008, suivi d’une stabilisation à un niveau inférieur (16 contre 18,8 SV) sur la période 2008-2016).

AMOC

Pas de corrélation entre les mesures Ovide et Rapid

Lors d’un atelier intitulé Observer et comprendre l’AMOC (mai 2017), des experts ont avoué leur compréhension limitée du système.

« aux échelles de temps plus longues que les observations actuelles, nous devrions trouver une corrélation entre les deux séries temporelles via l’export des eaux profondes formées dans le gyre subpolaire et les mers nordiques. De fait, la forte variabilité de la circulation, et de l’AMOC en particulier, propre au gyre subpolaire, masque pour le moment toute corrélation ».

Ils concluent que les séries temporelles  sont trop courtes pour parler de tendance;  au mieux on peut parler de variabilité pluri-décennale.

Un effondrement possible après le  XXIe siècle selon le GIEC

Extraits du Résumé à l’intention des décideurs du 5ème rapport du GIEC (2013) :

« Il n’existe pas d’élément observationnel montrant une tendance de la circulation méridienne océanique de retournement de l’Atlantique (AMOC) sur la base de 10 ans d’observations de l’AMOC, ni sur la base de séries d’observations plus longues des composantes individuelles de l’AMOC. {3.6}

Il est très probable que la circulation méridienne océanique de retournement de l’Atlantique (AMOC) va s’affaiblir au cours du XXIe siècle. Les estimations les plus probables et les plages d’incertitude18 pour le déclin de l’AMOC obtenus à partir de CMIP5 sont de 11 % (1 à 24 %) pour RCP2,6 et de 34 % (12 à 54 %) pour RCP8,5. Il est probable qu’il y aura un déclin de l’AMOC vers 2050. Toutefois, l’AMOC pourrait augmenter au cours de certaines décennies en raison de l’importante variabilité naturelle interne; {11.3, 12.4}

Selon les scénarios pris en compte, il est très improbable que l’AMOC subisse une transition brutale ou s’effondre au cours du XXIe siècle. Le degré de confiance est faible en ce qui concerne l’évaluation de l’évolution de l’AMOC après le XXIe siècle, en raison du nombre limité d’analyses et du caractère ambigu des résultats. Cependant, un effondrement après le XXIe siècle en raison d’un réchauffement important et prolongé ne peut être exclu. {12.5}. »

Conclusion

Dans une note de 2006 l’océanographe Carl Wunsch invitait les experts auto proclamés à ne pas confondre science et science fiction.

En faisant observer que … « L’Union Européenne apparemment convaincue que le Gulf Stream est sur le point de disparaître est en train de dépenser plusieurs dizaines de millions de dollars pour surveiller la circulation de l’Atlantique Nord », Carl Wunsch laisse entendre qu’il y a meilleur usage à faire des deniers publics.

Quel crédit peux-t-on en effet accorder à des prévisions catastrophistes établies sur la base de quelques années d’observations d’une circulation océanique « qui est si lente (quelques millimètres par seconde), qu’elle échappe aux mesures  directes, les eaux profondes de l’Atlantique Nord observées aujourd’hui reflétant les conditions climatiques qui existaient du temps de Louis XIV [5]!  »


[1] AMOC : Atlantic Meridional Overturning  Circulation (circulation méridienne de retournement Atlantique)

[2] Selon le climatologue Richard Seager en cas d’arrêt du transfert de chaleur océanique, les modèles atmosphériques suggèrent une baisse des températures d’environ 4°C aux latitudes moyennes, de chaque coté de l’Altantique

[3] Allusion au film catastrophe “The Day After Tomorrow” (2004) montrait l’Europe et l’Amérique du Nord plongées dans un nouvel âge de glace du jour au lendemain à la suite d’un arrêt du Gulf Stream. Voir aussi la vidéo de l’océanographe français Didier Swingedouw : “Le Jour d’après” est-il pour demain? (https://www.dailymotion.com/video/x6e3ra8)

[4] Si la circulation thermohaline est majoritairement vue comme la circulation liée aux forçages thermique et halin qui lui donnent son nom,  il est maintenant établi que ces seuls forçages ne sont pas suffisants pour maintenir cette circulation et que le mélange turbulent lié au vent et aux marées joue un rôle primordial, notamment dans la remontée des eaux profondes. Progressivement, la notion de circulation méridienne de retournement, ou MOC, s’est substituée à celle de circulation thermohaline. Dans l’océan Atlantique où la circulation méridienne de retournement est la plus intense on parle d’AMOC pour « Atlantic MOC ».

[5] Citation extraite de l’ouvrage “Atmosphère, océan et Climat” – Ed Belin page 146

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