La France a connu fin juin un épisode caniculaire au cours duquel des records de 2003 ont été battus dans une dizaine de stations du Sud-Est et notamment à Gallargues-le-Montueux dans le Gard où Météo-France a enregistré une température de 45,9°C le 28 juin 2019. Le précédent record était détenu par Conqueyrac dans le Gard (44,1 °C le 12 août 2003).
Survenant à la fin du mois de juin, avec le seuil de 45°C franchi pour la première fois en France, cette canicule a frappé les esprits : « La chaleur de la peur » titrait Libération le 24 juin 2019. Elle est présentée comme la préfiguration de ce que deviendront nos étés sous l’effet du réchauffement climatique.
Les pouvoirs publics ont sur réagi plusieurs jours avant l’événement. On a vu ou entendu la ministre de la santé nous inviter à « adapter nos codes vestimentaires », le ministre de l’éducation nationale reporter d’une semaine les épreuves du brevet, etc. Il est douteux que cette posture infantilisante ait évité un seul décès ; il est certain en revanche quelle a accentué le sentiment d’anxiété dans la population.
L’objectif de cet article n’est pas de prendre partie sur l’attribution de cet épisode caniculaire au réchauffement climatique. Il est de fournir des informations factuelles et historiques permettant de mettre cet événement en perspective.
Une canicule de courte durée et très localisée
Annoncée à cor et à cri plusieurs jours à l’avance, cette canicule aura donc duré une semaine ( du 24 juin au 01 juillet 2019) et culminé le 28 juin. Ci-dessous la carte ( établie par le réseau info-climat ) des températures le 28 juin à 16 heures.
Température sous abri (°C) 28/06/2019 14h UTC 16h CET (Source info climat)
On remarque que les pics de chaleur ont été enregistrés dans un périmètre géographique réduit centré sur le Gard et l’Héraut, comme le montre la carte suivante :
Température sous abri (°C) 28/06/2019 14h UTC 16h CET (Source info climat)
De la météorologique au climat
Cette vague de chaleur fut classique dans sa configuration météorologique : une arrivée d’air très chaud provenant du Sahara apportée par un vent d’altitude résultant d’une dépression sur le proche Atlantique et d’un anticyclone sur le nord de l’Europe. En même temps que la masse d’air saharienne recouvrait l’Europe occidentale, une masse d’air froid s’est écoulée vers le sud et l’est de l’Europe, comme le montre la carte suivante :
Ecarts de température par rapport à la normale le 29 juin 2019 à 12 heures ( Source : WeatherBell.com )
Cette carte montre l’ampleur des variations météorologiques naturelles (jusqu’à 25° C), comparée à l’anomalie ( supposée climatique) de température moyenne mondiale qui n’était selon le Dr Roy Spencer que de +0,3 °C pour ce mois de juin.
L’histoire climatique est mouvementée mais la mémoire des événements naturels est courte.
Avant 1855, les relevés météorologiques n’existaient pas. Il n’est donc pas possible de connaître les températures de l’Optimum Médiéval, ni celles des étés caniculaires du XVIIIe siècle décrits par l’historien du climat Emmanuel Leroy Ladurie, ni celles des 500 années de sécheresse étudiées par Emmanuel Garnier. On sait que l’on processionnait beaucoup pour la pluie au Moyen Âge, et que cette pratique a perduré jusqu’au milieu du XIX° siècle comme le montre cette chronique.
Aussi Nous n’évoquerons que les canicules du XXème eu XXI° siècle qui sont bien documentées et quantifiées.
La canicule de 1911 qui fut une catastrophe dans toute l’Europe a duré plus de deux mois et causé la mort de 40.000 personnes en France notamment chez les enfants en bas âge. « Il faudra marquer cette année 1911 d’une croix noire » écrivait à la fin de l’été, un médecin du département de la Seine inférieure.
La canicule de 1947 a commencé dès le 25 avril dans tout le sud-ouest ( 32° à Mont-de-Marsan, 31°à Biarritz et Bordeaux ). Du 29 mai au 4 juin il fait 33° à Paris et Angers, 34° à Reims et Angoulême, et 35° à Biarritz. Du 24 au 29 juin : la chaleur devient vraiment torride et les 35° sont souvent dépassés. On atteint par exemple 38° à Paris, Bordeaux et Reims, et 40° à Auxerre. Du 27 juillet au 5 août une chaleur saharienne envahit tout le pays et les journées du 27 et 28 juillet sont historiques avec des températures de 40° à Angoulême, Toulouse, Bourges, Angers, Tours, Château-Chinon, Orléans, Chartres et Paris (record absolu depuis 1873), 41° à Poitiers. Le 1er août, il fait encore 40° à Toulouse, Pau et Montélimar, 39° à Angers et Poitiers, 38° à Bourges, Limoges et Clermont Ferrand. Le 14 août, la chaleur revient et persiste jusqu’au 20 août où de violents orages provoquent parfois d’importants dégâts, notamment sur Paris. Mais l’été n’est pas terminé et une dernière vague de chaleur concerne le pays du 11 au 20 septembre : pendant une semaine, il fait de nouveau plus de 30° à Paris, et les 33° sont dépassés du 11 au 18 septembre.
La canicule de 1976 qui est restée dans la mémoire collective comme une grande sécheresse ( cf. le Journal Télévisé de Roger Gicquel, sur le mode « La France a peur » s’est étalée de mai à juillet en 3 vagues de chaleur. Du 6 au 9 mai, une première vague très précoce affecta surtout le Nord de la France : il a fait plus de 30° sur la Normandie, la Picardie, la Région parisienne, la Champagne et la Lorraine. Du 6 au 15 juin, une deuxième vague toujours sur la moitié nord dura 6 jours, les températures dépassent 30°. Une troisième vague s’installa sur la France pendant 2 semaines consécutives du 22 juin au 8 juillet : les températures atteignirent ou dépassèrent 35° sur toutes les régions du nord et du nord-ouest. Les 15 et 16 juillet il a fait 38° en Aquitaine, 37 ° à Toulouse et 36° en Lorraine.
La canicule de juillet 1983 qui a affecté l’Italie et le Sud-Est de la France touchant particulièrement Marseille où les températures maximales sont restées du 9 au 31 juillet comprises entre 35 et 41 degrés. Si les français ont perdu la mémoire de cette canicule, en Italie en revanche, elle est considérée comme l’une des plus importantes vagues de chaleur qu’ait connu le pays depuis la Seconde Guerre mondiale.
La canicule d’août 2003 a duré deux semaines du 1er au 13 août. Elle fut remarquable par son intensité, son extension géographique et la sur mortalité qu’elle causa (chez les personnes âgées contrairement à celle de 1911). Le record absolu de température en France a été enregistré par les stations de St Christol-les-Alès et à Conqueyrac dans le Gard, avec 44,1°C, battant le précédent record qui était détenu par Toulouse-Francazal (44,0°C le 8 août 1923).
Températures réelles et températures ressenties
Un taux d’humidité élevé est venu accentuer la sensation de chaleur dans certaines régions de France. Une nouvelle unité de mesure (dérivée de l’indice Humidex) s’est ainsi imposée dans certains médias : la température ressentie. Une carte, diffusée par La Chaîne Météo et BFM TV dimanche 23 juin, montrait le nord de la France, Paris incluse, recouvert de noir, avec la mention « 48 °C ».
Source : BFM TV du 24 juin 2019
Explications de Pascal Scaviner, chef du service prévisions de la Chaîne Météo :
« Si l’on prend une température moyenne de 36 °C l’après-midi […] avec un air sec, c’est-à-dire un taux d’humidité de 30 %, votre corps va ressentir une température de 40 degrés. Par contre, si l’on prend la même température avec une humidité beaucoup plus élevée, de 60 %, votre corps va ressentir une température de 50 degrés, un inconfort maximal, un véritable danger pour la santé ».
Sébastien Léas prévisionniste à Météo France est heureusement venu corriger la présentation racoleuse de la chaîne Météo :
« Les prévisionnistes de Météo France ont “déjà des doutes et des incertitudes sur le niveau des températures de la semaine”. “Si on n’a pas de certitude sur les températures, vous imaginez bien que nous n’en avons encore moins sur l’indice humidex ».
Températures réelles et températures mesurées
Les températures enregistrées par une station météorologique, aussi professionnelle soit elle, ne doivent pas nécessairement être inscrites dans le marbre, sinon Météo-France ne procéderait pas régulièrement à l’homogénéisation des températures, un traitement statistique qui a pour but de détecter et corriger les biais présents dans les séries de données observées qui peuvent être du même ordre de grandeur que le signal climatique que l’on cherche à mesurer. Le dernier jeu de séries homogénéisées de référence date de 2014.
Il est donc permis de questionner le nouveau record de 45.9°C enregistré le 28 juin 2019 à Gallargues-le-Montueux par une station du réseau secondaire de Météo-France. Car il se trouve qu’une station du réseau collaboratif Info Climat située à un autre emplacement sur cette même commune donne une valeur différente : 44,1°C.
Le site meteo-paris.com indique que les stations de Météo-France sont classées sur une échelle de 1 à 5 : un site de classe 1 est considéré comme un site de référence, tandis qu’ il est déconseillé d’effectuer des mesures météorologiques sur un site de classe 5. La station Météo-France de Gallargues est de classe 3. Il n’est donc pas interdit de penser que le franchissement de ce seuil symbolique de 45°C ne soit qu’un artefact des mesures.
L’effet d’îlot de chaleur urbaine
Sous l’effet d’îlot de chaleur urbaine la température en ville est plus élevée que dans les zones rurales alentour, en particulier la nuit. En région parisienne cet écart est de l’ordre de 2 à 3 °C en moyenne annuelle. Selon Météo France, lors de la conjonction de paramètres météorologiques (notamment en période de fortes chaleurs) l’effet d’îlot de chaleur urbaine peut atteindre près de 10 °C en Île-de-France.
A cet égard il serait intéressant de savoir combien parmi les 554 stations météorologiques du réseau RADOME de Météo-France (une tous les 30 km) sont affectées par l’effet dit d’îlot de chaleur urbaine.
Ajoutons à cela que la vague de chaleur de juin 2019 est survenue peu de temps après le solstice d’été au moment où les journées sont les plus longues. Or, c’est justement durant la nuit que le mercure baisse. Ainsi, plus les nuits sont courtes, moins les températures ont le temps de se rafraîchir.
La fréquence des canicules augmente t-elle ?
C’est ce que suggère la science officielle : Jean Jouzel, ex-vice-président du GIEC, n’en doute pas : « Les vagues de chaleur sont le marqueur du réchauffement planétaire… et clairement le diagnostic est qu’elles vont devenir plus précoces, plus intenses, plus fréquentes ».
De façon plus nuancée Météo France pronostique une augmentation très probable du nombre de jours de vagues de chaleur au XXIe siècle : « alors qu’on comptait en moyenne moins de 5 jours de vagues de chaleur sur la période 1976-2005, on estime qu’il y a 3 chances sur 4 pour que ce nombre augmente au moins de 5 à 10 jours supplémentaires dans le sud-est et de 0 à 5 ailleurs à l’horizon 2021-2050 » ( une vagues de chaleur étant définie comme une période de 5 jours consécutifs avec une température maximale supérieure de 5 degrés à la normale 1976-2005).
Il est logique que dans un monde qui se réchauffe même de façon minime ( entre 0,8°C et 1,2°C depuis le début de l’ère industrielle selon le GIEC ), et quelle que soit la cause, naturelle ou anthropique de ce réchauffement, la fréquence des épisodes caniculaires puisse aller en augmentant.
Dans un article du 01 juillet, la Chaine Météo fournit un visuel qui compare les canicules en fonction de leur durée et de leur intensité.
On voit que 2019 se situe bien derrière les canicules de 1911, 1947 et 2003.
Mais l’été 2019 ne fait que commencer.