Par Rémy Prud’homme
Ite missa est. La grand-messe, ou kermesse, climatique de Glasgow est terminée. Les quelques 30 000 valeureux croisés partis sauver la planète dans un 26ème combat de la dernière chance sont rentrés chez eux, en avion. On retiendra deux choses de leur combat : son échec ; et surtout qu’il a creusé le fossé qui sépare pays riches et pays pauvres en matière de climat.
L’objectif principal de la COP 26 était de forcer tous les pays du monde à réduire vite et beaucoup tous leurs rejets de CO2, et en particulier à fermer d’ici 2030 ou 2040 toutes les mines de charbon et tous les puits de pétrole (le gaz naturel, qui rejette moitié moins de CO2 que le charbon, ce qui n’est pas rien, était épargné, au motif inavoué qu’il est indispensable pour pallier l’intermittence de l’éolien et du solaire). Pour beaucoup de pays du monde, qui ont besoin d’énergie et/ou qui ont des mines de charbon et des puits de pétrole, un tel objectif est inacceptable. Les dirigeants de la Chine et de la Russie, deux pays qui rejettent presque 40% du CO2 anthropique, ont marqué leur opposition en refusant de venir à Glasgow – se privant ainsi des magnifiques discours de Boris Johnson et d’Emmanuel Macron. L’objectif absurde et inatteignable de la COP 26 n’a bien entendu pas été atteint. On dit d’une entreprise qui n’atteint pas ses objectifs qu’elle a échoué.
On pourrait en dire autant de toutes les COP précédentes, qui ne sont jamais parvenues à inverser la courbe du CO2. Mais habituellement, les conférenciers s’efforçaient de déguiser l’échec en succès, et de crier victoire. A Glasgow, ils ont à peine essayé cet exercice de camouflage. Et leurs efforts en ce sens ont été pathétiques. On en donnera un exemple. Depuis la COP 21, chaque pays était censé présenter tous les cinq ans une « déclaration » relative à l’évolution prévue de ses rejets de gaz à effet de serre. Document purement déclaratif, sans vérifications, sans engagements, sans sanctions. Au terme de 15 jours et 15 nuits de négociation, la COP de Glasgow a décidé que cette déclaration inutile serait dorénavant présentée tous les deux ans ! Même les plus crédules des militants voient la vanité de tels coups d’épée dans l’eau. En fait, et c’est une première, à peu près tous les organisateurs et les activistes de la COP 26 ont reconnu – et déploré – son flop.
Cette COP, cependant, fera date. Elle a fait apparaître au grand jour une contradiction majeure entre pays riches et pays pauvres en matière de politique climatique. A Glasgow, le cave s’est rebiffé, les pays en développement ont dit : non.
Ils le pensaient depuis longtemps. La lutte finale contre le CO2 est une croisade de riches. Elle est née aux Etats-Unis, en Suède, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France. Sa dimension eschatologique implique le « quoi qu’il en coûte ». Et il en coûte beaucoup. A peu près toutes les mesures préconisées concernent des produits ou des technologies qui augmentent les coûts. L’électricité solaire est plus chère que l’électricité thermique. Le bio que le traditionnel. La voiture électrique que la voiture à essence. La pompe à chaleur que le chauffage au gaz. La preuve en est qu’aucun de ces produits ne se développe sans subventions budgétaires. Rien à voir avec toutes les innovations des deux derniers siècles (machine à vapeur, électricité, chemins de fer, engrais, médicaments, automobile, etc.) qui ont fait sortir de la misère les pays aujourd’hui développés. La transition énergétique, ou comme disent les Anglais le « net zéro carbone », implique donc une baisse, ou une moindre croissance, du niveau de vie. Les pays riches peuvent peut-être se payer ce luxe. Les pays pauvres ne le peuvent pas.
Il faut comprendre que cela leur coûte encore plus cher qu’à nous, relativement au niveau de vie. Une éolienne (de 2 MW) coûte autant d’euros en Inde qu’en France, environ 3 millions. Mais cette somme est l’équivalent du produit annuel par habitant de 90 personnes en France et de 1800 personnes en Inde – 20 fois plus.
Ignorant délibérément cette réalité, les pays riches ont longtemps essayé d’imposer leurs politiques climatiques: en expliquant aux pays pauvres qu’ils avaient beaucoup à y gagner (ce qui est faux) ; en cherchant à les acheter avec la promesse subventions (jamais été mises sur la table) ; en les menaçant de lourdes taxes carbone (qui les empêcheraient d’exporter) ; en interdisant aux agences d’aide et aux banques privées de prêter à ces pays pauvres les fonds qui leur permettraient de s’électrifier (interdiction qui est un bon moyen de les maintenir dans la misère). Pendant longtemps, les pays pauvres ont supporté en silence ce colonialisme sans colons, courbé la tête en attendant que l’orage passe. Ils ont au contraire vu cet orage redoubler d’intensité.
La COP 26 a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase, la COP de trop. C’est l’Inde qui a été le porte parole de la rébellion. Narendra Modi, son premier ministre, a fait le voyage de Glasgow, mais ça a été pour dire, calmement et clairement, ce que tous pensaient : ça suffit. Nous, pays pauvres, ferons passer le développement avant le climat. Vous pouvez obéir aux injonctions de Greta Thunberg tant que vous voulez ; mais nous, nous avons choisi d’obéir à nos peuples qui veulent vivre décemment. La Chine, qui s’est beaucoup développée en rejetant beaucoup de CO2, s’est rangée dans le camp des pauvres. Biden, Johnson, Macron, Guterres, le pape François, dans le camp des riches. La COP 26 a ainsi aggravé, ou révélé, le chiasme entre le Nord et le Sud de la planète. C’est sans doute à ce titre qu’elle entrera dans l’histoire.