Un article de Paul Driessen [1]
Les sénateurs et les groupes de pression corporatistes qui les soutiennent obtiennent l’enterrement d’un projet de réduction des quotas obligatoires de biodiesel proposé par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).
Malgré les divers articles que j’ai pu écrire au fil des années (ici, ici et encore là par exemple) et que je pensais suffisamment persuasifs, la législation sur l’éthanol, le maïs et autres biocarburants restent ancrés dans la loi américaine.
Nous le savons bien, une fois qu’un programme gouvernemental est créé, il devient pratiquement impossible d’y mettre fin, ou même simplement de le réviser ou le dégraisser. Mais nous espérions que cette année, verrait la fin de cette «règle de la perpétuité». Sous l’impulsion de MM. Trump et Pruitt, l’Agence de protection de l’environnement (EPA [2]) a proposé d’utiliser son « droit à dérogation » pour réduire de 15% (soit de 315 millions de gallons[3]) les quotas obligatoires de biodiesel en 2018 et (éventuellement) en 2019 d’en réduire le montant total au seuil minimal de un milliard de gallons exigé par le Congrès. Cette proposition ne visait pas le maïs et ne modifiait pas les obligations en matière de production et de mélange d’éthanol (malgré les problèmes croissants liés à l’incorporation de proportions toujours plus grandes d’éthanol dans l’essence).
La législation sur le biodiesel s’inscrit dans une réalité complexe. La fabrication du biodiesel coûte 1,30 US$ de plus que celle du diesel fabriqué à partir de pétrole. Malgré ce surcoût son rendement (en miles par gallon) est plus faible que celle du diesel conventionnel. Les producteurs américains ne sont pas en mesure de produire suffisamment de biodiesel car leur production est d’au moins 250 millions de gallons inférieure à la quantité exigée par la législation ; le reste est donc importé, plaçant les Etats-Unis sous la dépendance des fournisseurs étrangers.Selon certaines études la production américaine de biodiesel serait même en réalité inférieure d’un milliard de gallons à ce qu’exige la législation. Quoi qu’il en soit, les États-Unis doivent importer massivement pour atteindre les quotas prescrits. Le biodiesel étant fabriqué à partir de soja, d’huile de palme, de canola, de lin, de tournesol et autres huiles végétales, sa production exige la mise en culture de millions d’acres[4] et nécessite d’énormes quantités d’eau, d’engrais, de pesticides et d’énergie (le biodiesel est également fabriqué à partir d’huiles végétales et de graisses animales, mais dans des proportions tout à fait marginales.)
Or la demande de biodiesel est en baisse : le « dieselgate « Volkswagen a réduit la demande de voitures équipées de moteurs diesel au profit de véhicules électriques ou hybrides. Des soupçons de fraude planent également sur l’établissement des documents justifiant la production et la vente de chaque gallon de biodiesel. De plus, les principaux arguments qui militaient en faveur du biodiesel (et des autres biocarburants) sont frappés de caducité : les technologies du fracturation ont mis fin aux inquiétudes relatives à un épuisement imminent des ressources pétrolières ; de nombreux indices tendent à montrer que le supposé dérèglement climatique résulte de la projection de modèles informatiques (voire de la manipulation des données) et ne doit rien aux émissions anthropiques de dioxyde de carbone (rappelons le, nutriment des plantes). De plus, la production de biodiesel à l’extérieur des frontières des Etats-Unis génère de nombreux problèmes sociaux et environnementaux. Le développement du palmier à huile en Indonésie, par exemple, entraîne déforestation, érosion des sols, pollution de l’eau et de l’air, pertes d’habitat pour les espèces sauvages et troubles sociaux. Certains planteurs et investisseurs réussissent bien et s’enrichissent, mais d’autres, notamment les petits propriétaires traditionnels souffrent de la baisse de leurs revenus, de la réduction de leurs droits à l’utilisation de leurs terres, de la hausse des prélèvements et de celle du prix des terres cultivées dont ils dépendent pour leur survie. En outre, comme tout carburant à base de carbone, le biodiesel émet du dioxyde de carbone lorsqu’il est brûlé. Tout au long de leur cycle de vie (culture, récolte, transformation en carburant, transport et finalement utilisation comme carburant), l’éthanol et le biodiesel émettent autant de CO2 que le pétrole tout en occupant une superficie infiniment plus grande.
Ceux qui pensent que le sens des réalités la logique et le bon sens prévalent dans les décisions de politique publique se trompent sur la façon dont fonctionne le microcosme de Washington (DC). Les programmes publics et les dispositifs d’obligations légales et de subventions qui en résultent engendrent un système de trafic d’influences et de prébendes par lesquels les industriels et des lobbyistes obtiennent en échange de dîners, voyages et contributions au coût des campagnes électorales le vote de lois favorables à la perpétuation de ces programmes. Aussitôt que l’EPA eût annoncé son projet de réductions du biodiesel, les voix du microcosme se sont élevées unies dans une vertueuse colère indignée. Plusieurs sénateurs américains ont ainsi menacé de bloquer la confirmation des candidatures à la direction de l’EPA proposés par le Président Trump, sauf si l’agence renonçait à ses projets. L’EPA a dû céder : les quotas de biodiesel sont maintenus et même seront augmentés. Le microcosme de Washington a gagné, cette fois encore. On comprend aisément pourquoi le sénateur démocrate de l’Illinois, Tammy Duckworth, est parti en guerre contre l’EPA à propos du biodiesel : sa circonscription est un état agricole, comptant de nombreux fermiers de distillateurs du big business du biocarburant, son parti étant devenu farouchement opposé aux hydrocarbure et anti-Trump. Les démocrates s’opposent unanimement aux forages, aux pipelines et aux raffineries (bien qu’ils se montrent peu soucieux de réduire leur propre consommation de combustibles fossiles dans leurs maisons, bureaux, véhicules ou dans l’utilisation des transports aériens). Cependant, la défense des biocarburants et le blocage des candidatures EPA sont devenus des thèmes bi partisans. Le sénateur républicain Charles Grassley (Iowa) est à la tête de ce combat : ce puissant sénateur républicain préside le Comité Judiciaire de son parti et siège aux commissions Agriculture, Budget, Finances et Fiscalité. Autrefois «éleveur de porcs» autoproclamé, il s’est lui et sa famille reconverti dans la culture du maïs pour l’éthanol et du soja pour le biodiesel. La famille Grassley a ainsi pu capter 1,4 million de dollars de subventions agricoles entre 1995 et 2014. La sénatrice républicaine Joni Ernst (également Iowa) a également pris en marche le train du blocus des nominations : elle a été élevée dans une ferme porcine et a ainsi appris à drainer les marécages, tuer les porcs et pousser des cris d’orfraie pour promouvoir ses intérêts privés (souvenons nous de sa célèbre campagne publicitaire sur la castration des porcs). Mais elle est également au Comité de l’Agriculture de l’Etat (et l’Iowa est l’Etat du maïs). En vérité l’éthanol produit chaque année aux Etats Unis nécessite que le maïs soit mis en culture sur une superficie équivalente à celle de l’Iowa (14 millions d’hectares). Ces sénateurs (et nombre de leurs collègues à la Chambre ou au Sénat) sont résolus à ce que les quotas d’éthanol, de biodiesel et autres biocarburants aillent toujours dans le même sens : vers le haut. Tous sont convaincus que le moindre changement, aussi minime qu’il puisse être et concentré sur les seules importations de biodiesel, constitue une menace potentielle pour l’ensemble du programme de biocarburants, y compris leur programme de prédilection : la production d’éthanol de maïs (pire encore, la proposition de l’EPA pourrait menacer le financement de leurs campagnes électorales et leurs perspectives de réélection.). Ils ont promis de s’opposer à tout effort de réduction des quotas de mélange d’éthanol dans l’essence ou toute mesure susceptible de saper les programmes de biocarburants. Ils ont menacé de rejeter les candidatures à la présidence de l’EPA, sauf si l’agence renonce totalement à son plan de réduction des quotas obligatoires et des importations de biodiesel. Ils affirment que ces actions sont nécessaires pour protéger l’innovation énergétique, la diversité énergétique et les emplois. Certains maintiennent même que les biocarburants éviteront l’épuisement du pétrole et les dérèglements climatiques. Peut-être fument t-ils tous ce tabac spécial vendu à Boulder (Colorado). Mais ils ont des positions élevées, des amis puissants, et ils veulent faire des affaires. Donc l’EPA et la Maison Blanche ont capitulé. La législation sur les normes relatives aux carburants renouvelables (RFS) s’inscrivait à ses débuts dans un programme environnemental. Elle est devenue une machine à générer des subventions agricoles (et une source essentielle de financement des campagnes électorales). Elle fausse les lois du marché en créant des flux de trésorerie dont dépendent les moyens de subsistance, le modes de vie et les frais de lobbying de nombreuses personnalités.
Dans le cas de l’éthanol, il faut cultiver du maïs qui nécessite des millions d’acres de terre, des milliards de litre s d’eau et de grandes quantités de pesticides, d’engrais, de carburant et de gaz naturel, pour produire de l’énergie qui fait grimper le prix des denrées agricoles, endommage les petits moteurs pour un rendement au kilomètre parcouru d’un tiers inférieur à celui de l’essence. Les niveaux de production de biodiesel qui sont imposés par le Congrès sont inutiles et irréalistes. Ils sont bien au-dessus de ce que les agriculteurs ont la capacité de cultiver et produire aux États-Unis et même des quantités dont nous avons besoin. Et pourtant, la legislation exige que la production de biodiesel, d’éthanol de maïs et de biocarburants dit de deuxième génération (biomasse, etc.) grimpe régulièrement au fil des ans.
Pour une fois, nous avions à l’EPA des personnalités qui pouvaient – et devaient – remettre en question ces pratiques et lancer un programme de réduction réaliste et justifié des niveaux de biocarburants nationaux et étrangers. Nous ne devrions pas assujettir ces programmes à des obligations légales axées qui nuisent à l’environnement et aux consommateurs américains. Mais nous l’avons fait, le microcosme de Washington a gagné, c’est ainsi !
Cependant, la bataille n’est pas terminée, elle vient à peine de commencer. La prochaine fois, il n’y aura peut-être pas de candidatures à prendre en otage.
[1] Paul Driessen est analyste au CFACT (Committee For A Constructive Tomorrow) Il est l’auteur de l’éssai Eco-Imperialism: Green power – Black death and d’autres ouvrages sur les politiques publiques).
[2] EPA : Environmental Protection Agency (note du traducteur)
[3] Un gallon égale 3,785 litres (note du traducteur). 315 millions de gallons font soit 1.2 milliard de litres soit 1.2 million de m3,
[4] 100 acres égalent 40,5 hectares (note du traducteur).