Par Samuel Furfari
L’UE n’importe pas beaucoup de charbon russe et celui-ci peut provenir de n’importe où dans le monde à un prix compétitif (même s’il est en hausse). Se priver du pétrole russe est beaucoup plus difficile, c’est pourquoi les sanctions sont reportées de plusieurs mois. Il est vrai que le pétrole et les produits pétroliers (notamment le diesel) ont toujours procuré à la Russie des revenus bien plus importants que le gaz naturel, car c’est un produit plus noble, plus recherché.
Mais comment se passer du pétrole russe, dont les raffineries dans les pays d’Europe centrale et orientale ont été construites dans les années 1950 et 1970 pour traiter ce type particulier de pétrole ? Voilà pourquoi la Hongrie refuse cet embargo. Pays enclavé, il aura plus difficile que d’autres à importer du brut alors que l’oléoduc Druzhba lui apporte chez lui l’or noir bon marché. L’article 122 du traité de Lisbonne a beau traiter de la solidarité entre les États membres “notamment dans le domaine de l’énergie” (sic), lorsqu’il s’agit de la sécurité de l’approvisionnement énergétique, l’esprit de solidarité s’estompe. Bien sûr, les raffineries peuvent être adaptées à d’autres types de pétroles, mais cela demande du temps et des investissements. Les entreprises se demandent à juste titre si ces investissements pour traiter d’autres bruts seront rentables. Ce n’est pas évident, car un jour – au plus tard lorsque Vladimir Poutine ne sera plus au pouvoir – du pétrole russe bon marché sera à nouveau importé dans l’UE. N’est-ce pas ce qui a été fait avec le pétrole du Moyen-Orient ou de la Libye après les crises respectives? N’est-ce pas ce que Joe Biden prévoit actuellement avec l’Iran et le Venezuela et qui fait dire au Wall Street Journal que Biden dance avec un dictateur d’Amérique latine ? Le pétrole est tellement vital (92% de l’énergie de notre système de transport) que son vaste marché finit toujours par l’emporter, et la Russie dispose évidemment d’une arme imprenable : ses faibles coûts de production et ses pipelines amortis depuis des décennies.
Embargo européen sur le pétrole russe : un coup d’épée dans l’huile ? L’UE essaye de rendre la Russie responsable des prix élevés que les citoyens doivent malheureusement payer pour leur carburant, leur gaz domestique et leur électricité. Cette absurdité ne résiste pas du tout à l’analyse.
Avons-nous vraiment oublié la flambée des prix du pétrole et du gaz naturel au cours du dernier trimestre de 2021, alors qu’il n’y avait pas de guerre en Ukraine ? Entre avril et décembre 2021, le prix du pétrole brut est passé d’environ 40 dollars le baril ($/b) à environ 80 $/b et, pendant la même période, le prix du gaz naturel a été multiplié par dix. Le prix du charbon a également doublé sur la même période et, en octobre 2021 il a même triplé, car il a été utilisé massivement pour remplacer le gaz devenu trop cher. Comme le prix de l’électricité est déterminé par le prix marginal du dernier kWh produit pour répondre à la demande (qui est généralement celui produit avec du gaz), il a également suivi la tendance (voir mon article Crise de l’énergie ou crise de la politique ? dans Diplomatie 113 jan-févr. 2022).
Les prix avaient fortement augmenté en raison de la forte reprise en Chine et en Asie en général. Lorsque la reprise a commencé dans l’UE, le marché n’a pas pu répondre à la demande et il était normal que les prix augmentent. Constatant que l’UE ne pouvait rien faire pour inverser cette situation mondiale dictée par le marché, le Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021 et le Conseil “Énergie” du 26 octobre 2021 n’ont rien décidé de concret, laissant les États membres prendre des mesures sociales pour tenter de minimiser l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur les ménages.
Outre la forte demande, il existe une raison plus pernicieuse : le manque d’investissement dans une industrie qui a toujours fonctionné en flux continu. Contrairement, par exemple, à une méga-usine Tesla ou à une centrale nucléaire, la production d’hydrocarbures nécessite des investissements continus dans la prospection et l’exploration. Pourtant, l’UE a décrété dans sa stratégie Fit55que les combustibles fossiles (qui répondent aux trois quarts de notre demande d’énergie) devaient être progressivement interdits et remplacés par des énergies renouvelables, principalement l’éolien et le solaire, alors que tous les efforts déployés au cours du dernier demi-siècle n’ont permis de satisfaire que 2,9 % du bilan énergétique primaire grâce à elles. Elle s’apprête même à interdire les véhicules thermiques d’ici 2035. C’est bien sûr une erreur industrielle, car le reste du monde, et pas seulement l’Afrique, continuera à utiliser des produits pétroliers, les populations n’ayant pas assez d’électricité pour passer à la mobilité électrique, sans parler des nouvelles contraintes géopolitiques sur les matériaux. Les Chinois pourront vendre leurs voitures thermiques à la place de nos constructeurs.
On aurait pu penser que la guerre en Ukraine allait ouvrir les yeux de l’UE sur sa fuite en avant, mais la communication REPowerEU de la Commission européenne du 18 mai accélère la course vers le précipice, allant même jusqu’à ignorer totalement la principale source d’électricité de l’UE – l’électricité nucléaire ― afin de ne promouvoir que les énergies renouvelables. Le « RE » signifie évidemment Renewable Energy. Un correspondant m’a fait observer que REPowerEU va conduire à RIP…EU.
Ce contexte anticombustible fossile dans l’UE suscite l’appréhension de l’industrie des hydrocarbures puisque les politiciens semblent déterminés à éliminer les combustibles fossiles. Ils n’oublient pas que Jo Biden a annoncé pendant sa campagne électorale que les États-Unis devraient se passer de pétrole. Cela a eu un impact immédiat sur les foreurs américains qui ont arrêté ou fortement limité leurs investissements face à l’assaut réglementaire de Washington. Il est compréhensible que le risque de se retrouver avec des actifs échoués soit pris au sérieux. Ils n’ont plus la garantie que les milliards qu’ils doivent investir pour maintenir le flux de production dont le monde a besoin pourront être remboursés. Cela a un fort impact sur les marchés, qui perçoivent cela comme un abandon des énergies fossiles. L’ancien ministre tunisien de l’Énergie,Kamel Ben-Naceur, estime qu’en moins de cinq ans, les investissements dans les hydrocarbures en amont ont chuté de 50 %, “ce qui est presque du jamais vu. Il faut remonter au milieu des années 1980 pour voir ce genre de tendance ». Joe Biden et Ursula von der Leyen/Frans Timmermans portent une lourde responsabilité dans la hausse des prix de l’énergie.
A cela s’ajoutent les politiques des banques occidentales qui se veulent “vertes” et limitent donc leurs crédits aux projets d’énergies fossiles, pourtant indispensables pour que le monde “tourne”, puisque les énergies fossiles représentent 85% de la demande mondiale. En outre, les conseils d’administration des entreprises énergétiques doivent désormais faire face à la pression des investisseurs “verts”, comme ce fut le cas lors de la dernière assemblée générale du géant ExxonMobil et en France avec le changement de nom de TotalEnergies pour éviter l’image de l’affreux pétrolier. Cela décourage les jeunes de se lancer dans l’industrie des combustibles fossiles, et un nouveau phénomène apparaît aux États-Unis : une pénurie d’ingénieurs et de techniciens dans des professions hautement techniques et innovantes.
L’UE n’étant plus le centre du monde, la demande de combustibles fossiles va se poursuivre, de sorte que les prix de l’énergie ne devraient pas rester longtemps à leurs niveaux élevés, d’autant que la guerre en Ukraine prendra fin tôt ou tard. Le monde dispose de nombreuses réserves de combustibles fossiles et les entreprises non européennes produiront suffisamment d’énergie pour satisfaire le monde entier. Le monde ne va pas s’arrêter de tourner à cause des sanctions contre la Russie. Par nature cyclique, le marché sera inondé d’énergie et les entreprises de l’UE regarderont passer le train.
La guerre en Ukraine va-t-elle faire prendre conscience que le monde continuera à dépendre des combustibles fossiles, comme le disait l’Agence internationale de l’énergie pendant des années, avant de revenir sur son analyse, car elle n’était plus politiquement correcte ? L’OPEP a déclaré en mars dernier que « L’AIE a compromis son analyse technique pour l’adapter à son discours ». Respectable et respectée jusqu’il y a peu, elle sera elle aussi victime du rêve renouvelable. Qui osera dénoncer ce nivellement par le bas ? La récente décision de la BaFin, le régulateur financier allemand, est-elle un épiphénomène ou une nouvelle tendance ? Elle vient de retarder l’adoption de la taxonomie allemande qui était censée décréter quels fonds d’investissement sont durables.
Quoi qu’il en soit, l’UE paie un lourd tribut à son désarmement énergétique unilatéral.
Bonjour,
Merci de votre analyse bien argumentée et lucide.
Je pense qu’il se prépare une chose dont les politiciens ne se doutent pas. Les sans dents moquées par un nommé Hollande dit Flamby ou les inutiles mangeurs de Yulan Noah Harari risquent de ne pas apprécier bien longtemps cette dictature énergétique.
Il est grand temps que cela cesse.
Bien cordialement.
Le terme de taxonomie des énergies devient obsolète; il faudra parler dorénavant de détaxonomie des énergies; ne seront durables que celles qui ne recevront pas des fonds de subvention des états trop endettés ou celles qui seront taxées un max pour cause de contribution au réchauffement climatique ; pour ces dernières , les fossiles , n’en profiteront que les classes les plus aisées
L’AEI n’a d’internationale que le nom, elle est fille de l’OTANistan.
Elle est à présent seulement bien alignée sur le discours officiel
Merci pour cet article qui met sur la place des vérités qui ne sont pas reprises par les voies officielles.
L’énergie est devenue une marchandise à forte spéculation, qui fait le bonheur des traders sur les places de marché, et de divers pays producteurs; La guerre, ou devrais-je dire les guerres, car oui, il y a un paquet de conflit dans le monde, n’y est pas pour grand chose, juste une excuse solide, un rideau de fumé, pour profiter de la situation. D’ailleurs, la Russie profite pleinement de ce jeu de dupe et augmentant sensiblement ses revenus. Les USA et son vassal qu’est l’UE, font semblant de se rouler par terre, criant au déni de démocratie poutinien, tout en finançant tout ce bazar…
Mais voilà, un mur se profil à l’horizon. Un mur que nombre de gouvernement redoute, car souvent à l’origine de mouvement populaire difficilement contrôlable… : A la fin de l’année, au début de l’hiver, nombre de foyers en France et en Europe, devront faire le choix entre se chauffer (remplir leur cuve de fioul ou de gaz), ou remplir le frigo…
Notre gouv anticipe cela en évoquant dés aujourd’hui un “chèque alimentation”, mais, cela ne suffira pas.
D’une façon générale, la spéculation des matières premières, et les contraintes soit disant écologiques, vont mettre notre pays (mais pas seulement) à genoux. Et il sera alors trop tard.
Que se passera-t-il alors ? Nul ne le sait réellement. Mais, ce que nous savons avec certitude, c’est que nous ne sommes pas dans une situation d’avenir !
Les écolos occidentaux (c’est un pléonasme) peuvent en ce moment pousser des cris d’orfraie, se rouler par terre, trépigner en hurlant à l’irresponsabilité et à l’apocalypse thermique dans quelques années si l’interdiction de TOUS les combustibles fossiles n’est pas universellement imposée à la totalité de la planète, ils seront rapidement balayés, bâillonnés, rendus inaudibles dans quelques années, quand l’Occident sera redescendu de l’Olympe où son aura démocratique, philosophique, scientifique et culturelle l’avait placé à la fin du 19e siècle et d’où il prétendait dominer la pensée planétaire. En moins d’un demi siècle de nouvelles élites autoproclamées aux idéologies brumeuses, utopiques mais séduisantes aux yeux des masses éduquées dans les “usines à crétins” et nourries aux mamelles de la démagogie politicomédiatique ont remplacé les esprits cartésiens. Ceux qui savent compter et ont encore un regard ouvert sur des réalités intangibles entrevoient déjà sans peine les prémisses des années sombres où nous ont mené tous ces marchands d’illusions.
La lucidité de Monsieur Furfari est très bien étalée ici, en contrepoids des tendances wokiste et annihiliste à la Xi Jinping et qui se répandent dans nos fragiles démocraties. Merci et gratitude pour ces généreux partages. Mais, individuellement, que faire entre les occupations professionnelles, familiales, de santé et qui bouffent presque tout notre temps ?
S.H. du Yukon (https://infoviolence101.org)