À propos des inondations catastrophiques de Valence

Le 29 octobre 2024, dans la région de Valence, troisième agglomération d’Espagne, un orage stationnaire (appelé orage en V) particulièrement virulent a persisté durant plusieurs heures sur le secteur, déversant d’énormes quantités de précipitations. On a relevé jusqu’à  490,6 mm à Chiva à l’Ouest de Valence en seulement 8 heures dans la journée du 29 octobre dont 343 mm en 4 heures entre 16h30 et 20h30 et 630mm à Turis, une station située en plein cœur de l’orage (données Météo Paris).

Ces précipitation ont provoqué la crue de la totalité des cours d’eau du secteur en fin de journée du 29 octobre, les inondations emportant tout sur leur passage sur une large partie Ouest de la région de Valence. A ce jour (3 novembre 2024), 217 morts ont été répertoriés.

Les régions méditerranéennes sont exposées à ce type d’événements

Lorsque le vent chaud et humide venant de la Méditerranée rencontre une langue d’air froid venant du pôle Nord, comme cela s’est passé le 29 octobre, une configuration météorologique appelée dépression isolée à haute altitude (« Dana » en espagnol) ou « goutte froide », qui provoque des pluies torrentielles d’autant plus extrêmes que l’air est chargé de millions de tonnes d’eau du fait de la hausse des températures. Ainsi autour de Valence, durant plus de huit heures, ce sont près de 500 litres au mètre carré qui sont tombés, une intensité exceptionnelle correspondant à un an de précipitations.

De tels orages se produisent chaque année, en général durant l’automne, lorsque des masses d’air plus fraîches en altitude se propagent au-dessus des eaux encore chaudes de la mer méditerranée, permettant la formation d’orages destructeurs peu mobiles qui peuvent déverser d’énormes précipitations sur un secteur donné, en général près des reliefs.

Les cartes ci-dessous montrent la vulnérabilité de la côte méditerranéenne espagnole à ce type d’événements extrêmes.

Les inondations, un phénomène récurrent notamment en Espagne

Selon Wikipedia, 75 inondations ont eu lieu à Valence au cours des sept derniers siècles. Mais l’événement resté dans la mémoire collective est l’inondation survenue le 14 octobre 1957 qui a provoqué d’importants dégâts matériels et la mort d’au moins 81 personnes. En réponse à cette tragédie, le gouvernement espagnol avait détourné le cours principal de la ville, le Turia.

Toute la côte espagnole méditerranéenne est concernée. La crue du Rubí à Barcelone en 1962 qui est la pire jamais survenue en Espagne, a tué plus de 800 personnes avec des précipitations de 200 mm de pluie en 2 heures. Le nombre élevé de victimes peut s’expliquer par la très grande vulnérabilité des personnes qui vivaient dans les plaines inondables d’un ruisseau errant et éphémère (un oued) sujet aux crues soudaines.

La France est également exposée à ce type d’événements pluvio-orageux. L’un des épisodes s’apparentant à la catastrophe de Valence est l’inondation des 8 et 9 septembre 2002 dans le Gard. Durant un peu plus de 24 heures, plusieurs orages stationnaires s’étaient en effet formés sur le département, déversant des quantités énormes de précipitations avec des cumuls atteignant 508 mm en 12h à Cardet et 528 mm à Généragues. On avait également pu relever jusqu’à 687 mm entre le 8 et le 9 septembre à Anduze, soit l’équivalent d’une année de pluie à Paris. Cet événement extrême avait provoqué des inondations catastrophiques.

Moins connu car s’étant produit au début de la 2e guerre mondiale, l’Aiguat de 1940 dans les Pyrénées-Orientales qui s’est déroulé sur 4 jours, du 16 au 20 octobre 1940 et pendant lequel on a enregistré jusqu’à près de 2000 mm cumulés près de la frontière franco-espagnole, est l’un des plus violent orage méditerranéen de l’histoire de la météorologie française.

Un système d’alerte défaillant, une urbanisation galopante artificialisant les sols

Une alerte tardive

Libération suggère que des dizaines de morts auraient pu être évitées si l’alerte avait été donnée par les autorités, signifiant aux habitants qu’ils ne devaient surtout pas prendre la route, ni descendre dans les parkings, ni rester dans les rez-de-chaussée, nombre des victimes seraient toujours vivantes, la plupart d’entre elles étant mortes noyées dans leur voiture partie à la dérive sous la puissance des flots. « Nous savons qu’une alerte notifiée vingt-quatre heures avant l’arrivée d’une tempête ou d’une vague de chaleur peut réduire de 30 % les dommages qui s’ensuivent », indiquait à Libération Celeste Saulo, secrétaire générale de l’Organisation météorologique mondiale.

C’est donc la conjonction de ces pluies diluviennes et de mauvaises décisions prises par les autorités qui ont conduit à une catastrophe de si grande ampleur.

A Valence, un million de logements se trouveraient en zone inondable

Selon L’Express, un million de logements se trouvent en zone inondable, dont plus du quart dans la seule province de Valence. Le détournement du cours du fleuve Turia, à la suite de la grande crue de 1957, a permis de préserver le centre-ville de Valence. Revers de la médaille, les débits de la crue se sont reportés sur les faubourgs environnants, à Chiva, Picanya, Paiporta.

Au cours des dernières décennies, la région a connu une transformation accélérée dans le sillage du tourisme de masse qui a également conduit à une augmentation excessive de la population et de l’espace urbain. Le risque d’inondation est devenu le risque naturel numéro un dans la région.

Les rues bétonnées ont remplacé les vergers

Selon une étude espagnole réalisée par le géographe Victor Soriano en 2014, les deux tiers du verger de l’agglomération de Valence ont été supprimés depuis 1956. Clément Gaillard, docteur en urbanisme confirme que près de 9 000 hectares de vergers ont été détruits, remplacés par des espaces bétonnés qui « ont contribué au ruissellement de 13 500 000 m3 d’eau supplémentaires, qui se sont déversées en plus dans les rues et les maisons et qui ont aggravé cette inondation et ses conséquences ». Serge Zaka, agro-météorologue, explique de son côté que « l’urbanisation a clairement créé un toboggan géant entre la ville de Valence et son amont, là où l’orage a stationné ». L’eau a ainsi pu converger plus rapidement, plus intensément, et dans des volumes beaucoup plus importants vers les zones habitées, parfois situées en zones inondables, créant des dommages sans précédent.

Quel est le rôle du réchauffement climatique ?

La température de la mer Méditerranée a augmenté au rythme d’environ 0,4ºC par décennie entre 1985 et 2006

La responsabilité du réchauffement climatique est invoquée, l’argument étant que plus l’atmosphère est chaude, plus elle peut contenir de la vapeur d’eau (selon la règle empirique, +1 degré supplémentaire = 7% d’eau précipitable en plus).

De fait, la méditerranéenne se serait réchauffée de 1,4º C par rapport à la période préindustrielle (environ 0,03º C par an). Entre 1985 et 2006, la température de la mer Méditerranée a augmenté d’environ 0,4º C par décennie. Selon Pastor et al. (2020), la température de surface de la mer (SST) du La Méditerranée a augmenté de 1,3º C entre 1982 et 2019.

Canicule de la Méditerranée en 2023 et 2024

Pendant les étés 2023 et 2024 le réchauffement de la Méditerranée s’est accéléré, au point que l’on parle de canicule marine, ce que montre le diagramme ci-dessous.

Le 15 août 2024, la température médiane à la surface de la mer a atteint 28,9° C, dépassant de 2,7° C la médiane des quarante dernières années, bien au-delà de l’année précédente, et même des températures atteintes lors de la canicule de 2003.

Le pic de température de 2023/2024 ne peut pas être imputé au réchauffement global.

Le pic de température de 2023/2024 ne peut être imputé au réchauffement climatique. Gavin A. Schmidt directeur du GISS (Goddard Institut of space studies), branche bien connue de la NASA, l’a reconnu dans un article publié le 19 mars 2024 dans la revue Nature, article intitulé « Les modèles climatiques ne peuvent expliquer l’énorme (huge) anomalie de température de 2023 (lire ici la traduction de cet article).

Certains auteurs suggèrent donc que l’éruption du volcan Tonga en janvier 2022 pourrait être à l’origine du pic de chaleur mondial des années 2023-2024 en raison de la masse gigantesque de vapeur d’eau (puissant gaz à effet de serre) injectée dans la stratosphère.

Une variabilité naturelle déjà détectée dans les séries séculaires

Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’une variabilité naturelle est également à considérer.

Une étude publiée le 28 avril 2022 dans la revue European Geosciences Union sous le titre Influence of warming and atmospheric circulation changes on multidecadal European flood variability (traduction ici) suggère que la fréquence et l’intensité des crues européennes évoluent à l’échelle multi décennale. Les inondations étaient plus fréquentes au XIXe (Europe centrale) et au début du XXe siècle (Europe occidentale) qu’au milieu du XXe siècle et encore plus fréquentes depuis les années 1970. 

Débit de pointe annuel moyenné des rivières avec des crues de saison froide (bleu) et des crues de saison chaude (orange), lissées avec une moyenne mobile sur 30 ans. Les barres pointillées grises marquent les intervalles de 30 ans choisis pour l’analyse.

Les auteurs constatent qu’au cours du 19e et du début du 20e siècle, les changements de circulation atmosphérique ont conduit à des valeurs maximales de convergence du flux d’humidité élevées. La circulation était plus propice à des épisodes de précipitations fortes et durables qu’au milieu du XXe siècle. Ces changements se reflètent également en partie dans la circulation moyenne saisonnière et sont reproduits dans les simulations de modèles atmosphériques, indiquant un rôle possible de la variabilité océanique. Pour la période postérieure à 1980, l’augmentation de la teneur en humidité dans une atmosphère en réchauffement a conduit à une convergence extrêmement élevée du flux d’humidité. 

Une autre étude publiée dans Nature (Blösch et al., 2020) qui analyse les séries historiques de crues en Europe de 1500 à 2016 a identifié 9 périodes riches en inondations. Les périodes remarquables incluant 1560-1580 (ouest et centre Europe), 1760-1800 (la majeure partie de l’Europe), 1840-1870 (Europe occidentale et méridionale) et 1990-2016 (Europe occidentale et centrale).

La variation séculaire des inondations dans la région nord-ouest de la Méditerranée avait également été analysée dans le cadre du projet SPHERE (Benito et al., 2004) qui a identifié des périodes anormales d’inondations catastrophiques principalement concentrées autour du Petit Âge Glaciaire (Barriendos et al., 2003 (Llasat et al., 2005), ce qui serait conforme aux observations de Blösch et al. (2020). L’analyse détaillée de l’oscillation de Maldá, caractérisée par le nombre élevé d’inondations entre 1760
et 1800, a montré une anomalie dans l’indice NAO (Barriendos et Llasat, 2003) liée à la circulation atmosphérique dans l’Atlantique nord. Barrera-Escoda et Llasat (2015) ont étendu l’analyse aux variations de l’activité solaire, trouvant une corrélation négative significative (-0,42 pour la saison d’automne).
Les derniers épisodes d’inondations qui ont touché la côte méditerranéenne espagnole pourraient donc s’inscrire dans la variabilité climatique à grande échelle du bassin méditerranéen, en partie associée à des schémas de circulation tels que l’oscillation arctique (AO) et l’oscillation nord-atlantique (NAO), qui contrôlent une partie des flux d’humidité sur les bassins méditerranéens occidental et oriental (Tramblay et Hertig, 2018).

Que dit le GIEC sur les inondations ?

Nous laissons la conclusion au GIEC, qui s’agissant des inondations, se montre d’une grande prudence.

En résumé, il est très probable que des inondations plus importantes que celles
enregistrées depuis le XXe siècle se soient produites au cours des 500 dernières années en
Europe du Nord et centrale, dans la région de la Méditerranée occidentale et en Asie
orientale. Il est toutefois moyennement certain qu’au Proche-Orient, en Inde, dans le centre de
l’Amérique du Nord, les grandes inondations modernes soient comparables ou supérieures
aux inondations historiques en termes d’ampleur et/ou de fréquence. (AR5, 5.5.5, p. 425).

En résumé, il y a toujours un manque de preuves et donc une faible confiance concernant le signe de tendance dans l’ampleur et/ou la fréquence des inondations à l’échelle mondiale. » (AR5, 2.6.2.2, p. 214).

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6 réflexions au sujet de « À propos des inondations catastrophiques de Valence »

  1. Un document intéressant à consulter est “chronique des crues catastrophiques du rio Turia à Valencia” (crónica de las catastróficas riadas del turia en valència) José ángel núñez mora. AemeT en la comunIdad ValencIana.

    https://www.divulgameteo.es/fotos/meteoroteca/Riadas-catastr%C3%B3ficas-Turia.pdf

    Des, au moins, 50 crues du Turia, quelques une ont été spécialement virulentes et on généré une grande quantité de documents, dont de nombreux sot déposés dans les archives historiques municipales de Valencia, dans la bibliothèque valenciane et dans les archives de la cathédrale de Valencia.
    La première grande crue dont on a la trace après la conquête de la cité par le roi Jaime I se produisit le 16 octobre 1321…

  2. Bonjour,
    Pouvez vous indiquer le chapitre de l’AR6 dont cous citez un passage en conclusion ?
    Merci, et merci aussi pour l’ensemble de l’analyse.

  3. Une marque noire à plus de 1,80 m du sol est tracée sur un mur de la cour intérieure de la mairie de Cassis (Bouches du Rhône) pour commémorer un déluge épouvantable qui s’est abattu en octobre 1858 sur ce qui n’était alors qu’un modeste village. Aucune donnée pluviométrique n’était alors disponible, mais les archives notent que l’église paroissiale toute proche fut remplie de 4 mètres d’eau (!). Elle fut démolie quelque temps plus tard, remplacée par un nouvel édifice construit plus en hauteur.
    L’écoulement naturel des eaux en ces lieux en forme d’entonnoir, bordés à l’Ouest par le massif des Calanques et à l’Est par la masse imposante des falaises Soubeyranes (“Cap Canaille”, 416m d’altitude), passant par la grand rue centrale donnant sur le port, on peut très bien imaginer qu’un cataclysme de même nature puisse se produire de nos jours, emportant des centaines de véhicules du parking situé en amont et formant barrage dans cette rue et dans les rues adjacentes.
    Malgré des travaux importants réalisés en profondeur pour améliorer l’évacuation des eaux de pluie, il est encore fréquent de voir certains jours d’orage un torrent de plus de 50 centimètres d’eau dévalant la rue principale et emportant dans le port les tables et chaises des restaurants qui la bordent, avec les imprudents qui osent s’aventurer à le traverser.

  4. Bonjour,
    D’accord avec l’article, mais il manque un chapitre : l’ensemencement des nuages.
    C’est un sujet fondamental.
    – On peut éteindre des faux de forêts : https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/les-stim-expliquees/quest-ce-que-lensemencement-des-nuages
    – Inonder le Sahara : https://www.bbc.com/afrique/articles/cwyle18y2gno
    – Inonder une ville d’Arabie Saoudite : https://www.leparisien.fr/meteo/arabie-saoudite-les-images-impressionnantes-des-pluies-diluviennes-et-des-inondations-22-08-2024-IV37UB7SFBG5DLYJH4YUGEDWKM.php
    – Etc…
    Bien cordialement

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